L’édition suisse romande : un rayonnement régional ?
Le 26/04/2019 à 15:32 par Camille Cado
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26/04/2019 à 15:32
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SDLGENEVE19 – La Suisse romande, c'est le lac Léman, un terroir riche et varié composé de nombreuses spécialités culinaires, sans oublier Genève, son salon littéraire et l'Orchestre de la Suisse romande. Mais c'est aussi une petite région, de plus de 9000 km2, qui regorge de nombreux lecteurs. Quelles spécificités et quels enjeux pour cette édition à la croisée des mondes ?
Un avis que Jean-Baptiste Dufour, directeur du diffuseur/distributeur Servidis, déplore : « Il y a beaucoup de maisons d’édition pour un si petit territoire. Le secteur est très dynamique. »
Si pour l’une, la petitesse de son marché rime avec l’étanchéité de ses frontières, pour l’autre, cette dimension régionale assure un rayonnement beaucoup plus large. « Si les livres traitent de ce qui intéresse la Suisse romande, les diffusions croisées permettent de faire un succès avec un auteur suisse et une maison d’édition suisse. Il y a une résonance, qui serait peut-être moins vraie avec les éditeurs québécois par exemple, due justement à cette proximité territoriale. »
Et d’ajouter : « C’est un laboratoire de jeunes talents, qui pourront ensuite aller dans des maisons d'édition françaises. Il y a vraiment ce côté incubateur pour certains auteurs. L’édition suisse sert à découvrir de jeunes talents ».
De la même manière, de nouvelles maisons d'édition, jeunes et audacieuses, émergent. Caroline Coutau nous explique que « des jeunes directeurs et directrices relèvent le défi de reprendre des maisons plus anciennes comme Labor et Fides, La Baconnière, tout récemment Metropolis ».
Surtout, ajoute-t-elle, que « dans un deuxième temps, ces lecteurs s’aperçoivent qu’auteur et éditeur sont suisses et hochent la tête, pensifs et songeurs, et éventuellement admiratifs… »
Jacques Maire, des éditions Jouvence, maison spécialisée dans le secteur de livres pratiques, de santé, d’alimentation et de développement personnel, relève également les problématiques liées à ce secteur restreint qu’est l'édition suisse francophone : « C'est un marché étroit qui vit de subventions. La Suisse romande et les cantons font beaucoup pour soutenir cette culture locale. »
« Nous, on ne demande jamais de subventions, c'est un principe. On fait des livres pour rendre les gens plus autonomes et responsables, alors on joue le jeu. Et c'est un handicap pour une personne d'être subventionné parce qu'elle perd la nécessité de se remettre en cause », affirme-t-il.
Les éditions Jouvence appartiennent cependant à 80 % à Albin Michel, groupe français, ce qui peut expliquer la démarche distincte concernant les subventions et son expansion française.
Du local au polar : les secteurs de l’édition suisse romande
Puis, en 2017, Qui a tué Heidi ?, lui aussi numéro 1 des ventes en Suisse pendant plusieurs semaines. Mais aussi Joël Jenzer, avec Enflammés ou encore Sébastien Meier, auteur des Casseurs d’os.
« Plusieurs choses m’ont poussé à écrire ce livre et inventer un pays : j’ai écrit une première trilogie ancrée en Suisse qui plonge dans tous les côtés les moins reluisants de la Suisse. Les crimes sont en col blanc chez nous… » avait-il affirmé au micro de France Culture pour la sortie de son ouvrage.
« Les éditions suisses romandes non spécialisées se basent sur un patrimoine local, que les gens aiment se voir remémorer, c’est une valeur sûre », analyse Jacques Maire, qui a fait le choix de se développer davantage en France. « Normalement, les éditeurs suisses romands vendent 90 % de leurs ouvrages en Romandie. À l’inverse, 8 % de nos ventes viennent de Suisse contre 92 % de France. »
« Mes lecteurs sont en France. On édite beaucoup d’auteurs suisses de santé et de développement personnels, certes, mais c’est un savoir qui n’est pas forcement en lien direct avec les traditions locales. Ces sujets n’ont pas de frontières. » Et pour les thématiques transfrontalières, il s’agit de se développer sur le marché où les lecteurs sont les plus nombreux.
Un monde de lecteurs, avant tout
« La tabelle n’empêche jamais un lecteur modeste d’acquérir un livre » reprend Caroline Coutau. Remarque étonnante que le PDG de Payot explicite : « L’enjeu majeur depuis 9 ans c’est le taux de change avec l’euro qui est différentiel, et qui pose des soucis. Depuis 2010-2011, on est habitué à vivre avec ça, on est obligé puisque 80 % des livres que l’on vend sont importés de France. Alors oui, nous sommes obligés de vendre nos livres plus chers, mais cela correspond aussi au salaire et au pouvoir d’achat, plus élevés en Suisse. »
Il faudrait d'ailleurs partir d'un simple constat : « On ne peut pas être compétitif par le prix, mais on met en place des stratégies pour pallier ce facteur. Le premier levier est la qualité de l’offre dite immédiate du produit. Nos librairies ont beaucoup de fonds, le client peut donc, dans le plus souvent des cas, repartir avec son livre directement.»
Ainsi, en 2015, Payot a fusionné deux boutiques « pour en créer une plus importante, augmenter notre offre, et satisfaire les clients. Le second levier, c’est l’expérience des clients sur tous les services que l’on propose. Pour le dire trivialement, il faut qu’il reparte avec le sentiment d’en avoir eu pour leur argent. Le service doit avoir de la valeur pour justifier le prix plus élevé ».
Un constat que partage Josée Cattin, directrice Interforum Suisse : « Le livre a toujours de beaux atouts et reste cher au cœur des lecteurs, qui restent de fidèles clients des libraires malgré la place acquise par la vente en ligne ».
Des habitudes acquises et qui ne semblent laisser aucune chance à l’instauration du prix unique, déjà refusée en votation populaire le 11 mars 2012. « Nous avons bataillé pour cela [le prix unique] sept années durant jusqu’à une votation populaire fédérale, les Suisses romands l’ont plébiscité, mais ils étaient minoritaires par rapport à un net refus alémanique. La démocratie a aussi ses défauts », déplore Caroline Coutau, directrice des éditions Zoé.
Un constat que l’on pourrait contester, sur le territoire romand. Après avoir fortement progressé entre 2010 et 2012 (à partir du « basculement » du taux de change), aurait plutôt stagné — suite à une prise de conscience des consommateurs des « méfaits » d’Amazon. Les Suisses romands sont manifestement plus sensibles que les Français — de là à croire que l’éthique est un sport de riches… Par ailleurs, le fameux accord avec La Poste Suisse n'a pas abouti, et l'implantation est donc ajournée sine die.
L’entreprise américaine serait alors plus certainement en léger recul en Suisse depuis l’entrée en vigueur de la réforme de la loi sur la TVA et l’abolition de la franchise au début de cette année. Pour exemple, la croissance du site Payot.ch affiche deux chiffres pour 2018 et la même chose fin mars, avec des prévisions supérieures encore pour la fin avril. S’il n’est plus, pour l’instant en tout cas, un sujet de grande inquiétude, on peut relativiser le fait que l’opérateur marque vraiment des points.
1 Commentaire
Olivier Clerc
07/05/2019 à 17:45
Pour info, Jouvence fête ses 30 ans et n'appartient à Albin Michel que depuis 4 mois !
La remarque de la journaliste concernant le choix de Jacques Maire de ne jamais solliciter aucune subvention ne tient donc absolument pas à cette très récente appartenance à ce grand groupe français.
On peut au contraire saluer la démarche de Jouvence / Jacques Maire qui a su, dès le départ, rester cohérent avec la politique éditoriale de la maison.