ActuaLitté : Quelles sont les spécificités historiques du marché du livre en Espagne ?
Le 04/04/2019 à 09:19 par Nicolas Gary
Publié le :
04/04/2019 à 09:19
ENTRETIEN – La librairie Jaimes, située à Barcelone a été créée en 1941, par les grands-parents de Montse Porta. La proximité du Lycée français fit que très vite ils ouvrirent la porte aux livres en français. Ils commencèrent en imprimant des cahiers avec les rayures françaises, les fameuses « rayures Seyès », pour les élèves et ils importèrent les livres scolaires. En 1951, ils ouvrirent un nouvel établissement dans l’artère la plus importante de Barcelone, le Passeig de Gràcia. Grâce à une belle galerie d’art, une papeterie, avec la présence spéciale du livre scolaire et une librairie toute renouvelée, ils en firent un espace de référence. Les livres français commencèrent à occuper de plus en plus de place.
Depuis 2009, le contact avec la communauté française qui a été privilégiée – elle qui, auparavant, préférait acheter ses livres lors de ses voyages en France ou en ligne, en travaillant main dans la main avec les associations, institutions, établissements français… « Pour nous, l’importance de la connaissance de notre public est primordiale afin de pouvoir conseiller des livres en fonction du goût de chacun », précise la libraire à ActuaLitté.
En 2013, un nouveau déménagement s’est imposé. L’espace actuel est clair, chaleureux et coloré, avec au fond de la librairie, un espace privilégié pour toutes nos activités, expositions, présentations, clubs de lecture, séances de lectures poétiques... « Notre librairie est aujourd’hui un pont culturel entre la Catalogne et la France », nous indique Montse Porta.
Montse Porta : La première caractéristique du marché du livre à Barcelone est l’existence de deux langues locales et donc d’une production éditoriale double : en catalan et espagnol. La production éditoriale est énorme puisqu’on compte plus de 90 000 nouveautés par an avec le handicap que la population locale lit ici bien moins qu’en France. Pour ce qui est de la distribution, on observe une forte polarisation des grands groupes locaux.
Cette grande production éditoriale à une influence pour la librairie : on subit des offices à n’en plus finir… Concernant les remises accordées aux libraires, elles sont plus faibles qu’en France. En effet, la remise de base est fixée à 30 % et il est impossible pour une librairie moyenne comme la nôtre de monter au-dessus.
Montse Porta : Nos problématiques sont diverses. D’abord, la mise en place du « prix libre » du livre scolaire qui provoque un énorme chaos dans ce marché et le retrait progressif des librairies indépendantes qui ne peuvent pas faire face à la concurrence. En effet, seules les grandes surfaces de supermarchés et des chaînes de librairies peuvent travailler avec le livre scolaire.
Ensuite, des coéditions faites pour certaines grosses méthodes de français entre des maisons d’édition françaises et espagnoles, permettent à l’éditeur de faire passer l’ouvrage dans la catégorie « scolaire » et de lui attribuer un prix libre. Le prix final du livre augmente dans ces cas-là à 50 € à peu près alors que l’original français n’en coûte que 22… Cette pratique est tristement habituelle avec certains livres des éditions Didier et de Clé international…
Les maisons d’origine françaises ne veulent pas entendre parler de nous servir en direct. On a donc perdu beaucoup de ventes pendant cette dernière rentrée scolaire, car les élèves sont passés par Amazon, ne voulant en aucun cas nous acheter les ouvrages en version locale à 50 €. L’idéal serait que nos interlocuteurs français, au cas par cas, nous permettent d’acheter l’édition française quand on sait que nous n’arriverons pas à vendre l’édition locale.
Enfin, l’existence d’Amazon fait que les clients ne veulent plus attendre les 15 ou 20 jours dont nous avons besoin pour faire venir un livre de Paris. Il serait positif de voir avec nos partenaires la chaîne du traitement de commandes afin de la rendre plus rapide.
Montse Porta : Nous sélectionnons les ouvrages que nous présentons dans la librairie grâce aux représentants avec qui nous sommes en contact par mail ou lors de leurs visites. Sinon, nous nous renseignons grâce à la presse spécialisée et aux journaux de critique littéraire. Nous proposons également les auteurs français traduits en langues locales.
Montse Porta : Nos relations avec les distributeurs sont bonnes, de manière générale. Ils font tout ce qu’ils peuvent pour nous aider. Cependant, le problème du turnover des équipes complique beaucoup les choses pour nous, libraires de l’étranger : à chaque changement d’équipe, il faut recommencer le travail à zéro, faire ses preuves… Évidemment, on aimerait qu’ils soient plus à notre écoute sur la rapidité de l’envoi des commandes, la vitesse de saisie, la souplesse des retours, les surremises et les délais de paiement pour les grosses commandes nouveautés… Il serait aussi important que nous soyons écoutés en cas de problèmes de prix avec les versions locales des ouvrages FLE, comme déjà signalé.
Montse Porta : La question de la surproduction de nouveautés est le premier point important. On observe un phénomène de fuite en avant de la production de livres. Les nouveautés arrivent en masse chez les libraires qui doivent les payer avant la vente ou le retour des livres. Ce processus à l’export est d’autant plus embêtant, sachant que les livres mettent parfois un mois à arriver après date de facture. Ce système est arrivé à un tel point, qu’il s’avère compliqué pour le libraire de maintenir les nouveautés sur les tables des librairies aussi longtemps qu’elles le mériteraient, surtout que les traductions, donnent chez nous une deuxième vie au livre, quelques fois un ou deux ans après.
Un autre problème qu’il me semble important de relever quand on parle de surproduction est la question de la copie des bonnes idées entre éditeurs, bonnes idées qui du coup cessent de l’être… Je pense par exemple aux multiples collections de biographies sur les femmes rebelles, ou les livres à puces sonores pour bébés…
Montse Porta : Tout d’abord le moyen de communiquer avec les libraires de pays différents qui ont bien souvent des problématiques semblables aux nôtres. Mais aussi la possibilité de participer à des rencontres interprofessionnelles qui ont fait bien souvent avancer les choses. Enfin, l’occasion de partager nos connaissances sur des marchés parfois différents, parfois semblables. L’AILF permet également de parler d’une seule voix et d’avoir un seul interlocuteur lors des grands débats interprofessionnels.
Montse Porta : Nous faisons tout notre possible pour fidéliser nos clients, en attirer de nouveaux, diversifier notre offre. Pour ceci nous n’arrêtons pas de faire des animations, des présentations, des clubs de lecture, des ateliers à destination des enfants ou des ados, des ateliers d’écriture, des expositions d’originaux de livres illustrés, d’albums pour enfants et adultes ou BD… Nous fidélisons aussi les clients, en les connaissant et en leur proposant des livres en fonction de leurs goûts.
Nous insistons aussi avec nos fournisseurs sur la nécessité de nous envoyer au plus vite les commandes. Nos ventes, et ce malgré les difficultés de ces deux dernières années à Barcelone (attentats, troubles politiques, etc.) se maintiennent ou augmentent.
Nous travaillons avec tout ce qui bouge en français à Barcelone ! Les Instituts, les écoles de langues, la langue à l’école, les associations françaises, la radio française, Le Petit journal, les entrepreneurs français…
Montse Porta : Pour les élections, nous souhaitons promouvoir un débat pour l’échange des idées, dans le respect, la diversité, tolérance et contre les intégrismes de tout bord. Nous animons déjà de manière régulière des ateliers pour les enfants, que nous comptons décliner sur la thématique de l’Europe. D’autre part, nous suivons naturellement les manifestations de l’Institut français à ce sujet.
Nous allons pour la première fois au salon de la BD, El Saló del Còmic, le week-end du 5,6 et 7 avril et nous allons promouvoir et inviter des auteurs européens et des locaux qui ensuite iront au salon du livre de Genève [Montse Porta sera également présente au salon de Genève pour une rencontre spéciale entre éditeurs suisses romands et libraires francophones, Ndlr]…
En collaboration avec un galeriste, Perspectives art9, depuis quelque temps, nous faisons des présentations de livres, avec en même temps des expositions d’originaux en parallèle. Ce sont des auteurs locaux, qui publient ici ou en France, mais aussi des auteurs français, belges… Nous établissons un réel échange, des rencontres croisées entre illustrateurs d’ici et d’Europe, car chaque fois nous demandons à un autre illustrateur de venir faire la présentation. Ces illustrateurs locaux seront aussi présents au Salon de Genève début mai.
Enfin, nous avons aussi ébauché lors du Salon du livre de Paris en mars dernier des pistes de collaboration avec nos collègues européens pour imaginer ensemble des actions communes !
En partenariat avec l'AILF
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Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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