L’intelligence artificielle représente désormais un nouvel enjeu éthique pour le monde du livre. La Fédération européenne et internationale des libraires (EIBF) vient de franchir une étape décisive : elle publie sa Charte sur l’intelligence artificielle, un texte fondateur qui pose un cadre éthique à l’usage de ces technologies dans l’écosystème du livre.
Le 31/10/2025 à 12:00 par Nicolas Gary
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Publié le :
31/10/2025 à 12:00
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Présentée à l’occasion de la Journée mondiale de la littérature et de l’information, cette charte ambitionne de garantir un équilibre entre innovation, respect des droits d’auteur et protection de la diversité culturelle.
L’intelligence artificielle transforme déjà les pratiques du secteur : recommandation de lecture, traduction automatisée, gestion des stocks, rédaction assistée… Pour les libraires européens, il est urgent de baliser ces usages. « Nous croyons au potentiel des outils d’IA, mais pas à n’importe quel prix », déclare l’EIBF, qui regroupe plus de 25 000 librairies à travers le monde.
La charte met en garde contre une automatisation incontrôlée qui pourrait fragiliser la chaîne du livre et les métiers qui la composent. « L’intelligence artificielle ne doit pas remplacer la créativité humaine, mais la soutenir », peut-on y lire.
Les libraires appellent à une approche responsable, respectueuse de la propriété intellectuelle et de la transparence. Ils insistent sur la nécessité d’une gouvernance claire, d’une éducation numérique adaptée et d’un encadrement réglementaire à l’échelle européenne.
La EIBF plaide également pour une traçabilité des données et une identification claire des contenus générés par l’IA, afin d’éviter toute confusion entre création humaine et production algorithmique. « Les lecteurs ont droit à la vérité sur ce qu’ils lisent, tout comme les auteurs ont droit à la reconnaissance de leur travail », souligne la fédération.
En publiant cette charte, l’EIBF espère nourrir un dialogue constructif entre libraires, éditeurs, auteurs, institutions et concepteurs de technologies. L’organisation appelle les États et l’Union européenne à établir un cadre harmonisé pour assurer que l’IA serve le bien commun et non la seule logique commerciale.
« Cette charte est un outil de confiance », résume l’organisation. « Elle rappelle que le progrès technologique doit rester au service des valeurs humaines et culturelles qui fondent le livre. » Pour les libraires, l’enjeu est clair : il ne s’agit pas de freiner l’innovation, mais d’en faire un levier durable, transparent et respectueux des acteurs du livre.
La Charte de l'EIBF est disponible ci-dessous en anglais.
ActuaLitté a procédé à une traduction (avec ses défauts, mais pour rendre le propos accessible au plus grand nombre) des 11 points des Principes fondamentaux :
Sans une protection adéquate de la propriété intellectuelle et du droit d’auteur, l’ensemble de l’écosystème du livre cesserait d’exister. En ce sens, les libraires s’appuient sur un cadre solide garantissant les droits exclusifs des créateurs et des ayants droit.
Les œuvres protégées par le régime de propriété intellectuelle — ainsi que les auteurs et créateurs qui en vivent — sont précisément ce qui rend possibles les innovations technologiques telles que l’intelligence artificielle.
Le règlement européen sur l’intelligence artificielle (AI Act) constitue une base solide pour une IA digne de confiance et transparente, mais son succès dépend d’une application cohérente et efficace.
Les décideurs politiques doivent suivre attentivement les évolutions et maintenir un dialogue constant avec notre secteur afin d’assurer une mise en œuvre juste et appropriée, de protéger les droits des créateurs et de préserver des principes éthiques centrés sur l’humain. L’EIBF appelle à une mise en œuvre rigoureuse et à une supervision effective pour concrétiser les engagements de ce règlement.
Les développeurs d’outils d’intelligence artificielle générative doivent être tenus de publier les sources de données qu’ils ont utilisées pour entraîner leurs systèmes. Les législateurs doivent veiller à la protection des œuvres protégées par le droit d’auteur appartenant aux écrivains, artistes et autres professionnels de la création, dont la créativité rend ces systèmes possibles. Seuls les êtres humains peuvent créer des œuvres bénéficiant de la protection du droit d’auteur.
Les lecteurs méritent d’être informés en toute clarté lorsqu’ils achètent un livre : tout contenu produit par un système d’intelligence artificielle doit être clairement identifié comme tel. L’EIBF estime que cette transparence devrait être portée par une initiative de labellisation menée par le secteur, garantissant à la fois flexibilité et innovation.
Un système d’étiquetage standardisé, lisible par machine et intégré dans les métadonnées, permettrait de diffuser une information cohérente dans les catalogues, sur les plateformes de commerce en ligne et dans les points de vente.
Les libraires et le secteur du livre dans son ensemble sont profondément préoccupés par les effets du changement climatique. Tous les acteurs, et en particulier les petites et moyennes entreprises, réalisent des investissements importants pour se conformer à des législations écologiques ambitieuses.
Les développeurs et fournisseurs d’outils d’intelligence artificielle, qu’elle soit d’assistance ou générative, doivent respecter les mêmes règles et ambitions, reconnaître les défis environnementaux et atténuer l’impact provoqué par la consommation excessive de ressources de leurs services et centres de données.
La grande majorité des entreprises du secteur du livre en Europe sont de taille moyenne, petite ou même microscopique. La compétitivité européenne et les investissements publics dans les solutions d’IA innovantes doivent être envisagés en tenant compte de cette réalité. Dans le même esprit, les initiatives réglementaires doivent viser à offrir des conditions de concurrence justes et équitables pour tous.
La protection et la souveraineté des données dans le commerce de détail doivent être garanties. Cela signifie, par exemple, que les solutions d’intelligence artificielle destinées aux librairies doivent traiter les données clients, les historiques de lecture et les secrets commerciaux dans le respect du RGPD et des règles de propriété intellectuelle, et ce, uniquement dans le cadre d’usages clairement définis.
Le consentement d’un auteur doit être obtenu avant que son œuvre soit utilisée par un système d’IA, conformément au droit d’auteur en vigueur. L’EIBF soutient le modèle « opt-in » (adhésion volontaire) plutôt que le modèle « opt-out » (retrait après coup), fondement même du droit d’auteur, afin de garantir que les créateurs soient consultés avant toute utilisation de leur travail.
Les développeurs et opérateurs d’IA doivent obtenir des licences pour utiliser des œuvres protégées par le droit d’auteur. Le marché de ces licences se développe rapidement, proposant des licences individuelles et collectives fondées sur le consentement des auteurs et des ayants droit.
L’IA a le potentiel de rationaliser les opérations et d’alléger la charge de travail dans un environnement de plus en plus complexe. L’EIBF reconnaît que l’IA générative offre des opportunités précieuses en matière d’innovation et d’efficacité.
Cependant, il est essentiel que son développement et son utilisation demeurent éthiques et reposent sur une législation contraignante, garantissant la protection du droit d’auteur et des droits des créateurs.
Le développement des systèmes d’intelligence artificielle demeure opaque, et son impact sur la société — de l’économie à la psychologie, jusqu’à la maîtrise de la lecture — reste encore mal connu. Des études préliminaires mettent déjà en garde contre un lien possible entre l’usage croissant de l’IA générative et la diminution de la capacité à penser de manière critique.
De bonnes compétences de lecture, associées à une réelle aptitude à l’analyse et à la réflexion critique, sont essentielles pour préserver nos démocraties. Sans elles, les citoyens deviennent plus vulnérables à la désinformation. L’EIBF appelle donc à renforcer la recherche sur les effets liés à l’expansion de l’intelligence artificielle.
Crédits illustration : Мелия CC 0 (image réalisée avec une IA non précisée)
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
1 Commentaire
NAUWELAERS
31/10/2025 à 20:47
Et voilà un article de tout premier plan, qui doit absolument circuler partout...!
Cela va dans le bon sens et merci à ActuaLitté pour toutes ces informations essentielles que malgré mon microscope dernier modèle ultraperfectionné confectionné avec l'aide d'une IA générative, je n'ai pas encore détectées dans la presse française, toutes sensibilités confondues -autrement dit: tant celle détenue par tel milliardaire de droite que celles dans le giron de tel milliardaire de gauche...
Sérieusement: en tant que lecteur lambda, je souhaite un label clair et sans ambages signalant les oeuvres générées avec ou sans IA, sans tourner autour du pot.
Et à partir de là (ce «là» étant absolument essentiel...), à chacun et chacune de poser ses choix quant à ses lectures (et autres oeuvres artistiques évidemment).
Les miens sont établis, bien entendu.
L'humain prime, point barre.
CHRISTIAN NAUWELAERS