Édouard Launet signe avec Victor à bâbord une singulière odyssée littéraire où la navigation devient enquête métaphysique. Journaliste et navigateur, l’auteur met en scène sa propre obsession : suivre à la trace Victor Hugo dans l’archipel de la Manche, « cinquante ans de sa vie à traquer Victor Hugo lors de ses navigations dans cet archipel » — autant dire une vie entière à guetter « son ombre sur la mer ».
Tout commence par une photo, « miraculeusement glissée » dans le lot d’un ami photographe : elle reproduit sans le savoir un lavis d’encre de Victor Hugo, Évocation d’une île (1870). Cette coïncidence ouvre la voie à un récit à la frontière du réel et du fantastique : « Hugo était bel et bien avec nous autour de cette table », affirme Launet, réconciliant superstition et raison. L’incipit installe ce doute poétique que le livre tout entier explorera : comment l’esprit du poète irrigue-t-il encore la mer qui l’exila ?
De Granville à Guernesey, les chapitres s’enchaînent comme autant d’escales intérieures. Dans « Tout va bien », la tempête et la jeunesse se mêlent : « Nous avons passé la nuit à louvoyer face à une mer passablement agitée. » Launet écrit la mer comme Hugo écrivait la tempête – dans une langue ample, charriant le sublime et la peur. La syntaxe, sinueuse, épouse les flux marins ; les phrases, longues, accumulatives, alternent descriptions techniques et fulgurances poétiques : « Le marin baigne alors dans un état de semi-conscience émaillé de rêveries. »
Au fil des pages, Victor à bâbord devient autant essai qu’autoportrait : le narrateur s’efface derrière son modèle, jusqu’à l’aveu : « À moins que ce ne fût l’inverse : Hugo m’aurait poursuivi. » Ce renversement fonde la beauté du texte : Hugo n’est plus un sujet d’étude, mais une présence spectrale, un interlocuteur marin.
Les dialogues avec l’œuvre du poète, notamment Les Travailleurs de la mer, sont constants. Launet cite : « Qui a vu l’archipel normand, l’aime ; qui l’a habité l’estime », avant de commenter : « Ces îles, Les Travailleurs de la mer me les a rendues encore plus proches et plus mystérieuses. » L’analyse se fait réminiscence, la critique devient navigation. Le lecteur, emporté, suit la dérive du style : érudit, mais jamais sec, ironique parfois, toujours précis dans la notation maritime et sensible à l’élévation poétique.
Ainsi Victor à bâbord est-il plus qu’un livre de mer : c’est un voyage dans la littérature, une tentative d’habiter la même houle que Victor Hugo. Dans ces pages où « les plus belles révélations surviennent souvent au terme des pires épreuves », Édouard Launet réinvente la biographie en odyssée intérieure : à la barre, Hugo ; à bâbord, son fidèle marin, possédé et reconnaissant.
Publiée le
29/10/2025 à 14:14
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Paru le 27/08/2025
224 pages
Flammarion
19,90 €
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