Dans Folie entre mes doigts, Alice Botelho franchit un seuil où la littérature cesse de nommer la douleur pour la faire vivre. Dès les premières pages, sa narratrice — Alice — entre dans une clinique psychiatrique « de son plein gré », mais tout, dans la prose, contredit cette idée de volonté. Le corps ne décide pas, il subit : « Je ne suis pas sortie de la chambre depuis mon arrivée. » Un enfermement physique et mental qui structurera le livre entier.
Botelho écrit la folie depuis le dedans, sans diagnostic ni métaphore. Ce que le texte dissèque, c’est la mécanique sociale de la prise en charge — le tri, la hiérarchie, l’indifférence. « Même ici, l’argent est un patient », remarque-t-elle, ramenant la clinique à une miniature du monde : la souffrance se monnaie comme une chambre seule. Le roman déplie alors un théâtre clinique où des visages de la désobéissance mentale, ces « folles » changées « gladiatrices ». Chacune a sa syntaxe de la chute, sa grammaire de la survie.
Mais la puissance du récit ne tient pas qu’à ce portrait collectif : elle réside dans la précision avec laquelle Botelho fait du corps un espace de résistance et de mémoire. Le récit de l’enfance — d’un père sculpteur qui « brûle les pieds » et « enfonce des clous » dans des poupées Barbie — donne à comprendre que la folie n’est pas un accident, mais une sédimentation.
Tout est déjà inscrit sous la peau : « Il invente de la douleur sur mon corps. » À partir de là, le roman devient archéologie du traumatisme, fouille de l’intime par fragments de sensations.
L’écriture, d’une clarté nerveuse, se tient toujours au bord de l’éclatement. Une tension continue entre précision clinique et vacillement poétique. Le rythme épouse les cycles de la conscience : la stupeur, la sidération, puis ces rares sursauts de vie — « Quelque chose vit en moi. Discret et silencieux, mais vivant. » Botelho fait entendre cette ligne de fuite ténue, cette survivance dans la parole même.
En refermant Folie entre mes doigts, on comprend qu’il ne s’agit pas d’un récit de guérison, mais d’un exercice d’incarnation. La folie y devient forme d’attention extrême au réel — une lucidité qui consume, mais éclaire.
Combien de romans, aujourd’hui, traquent aussi loin dans la description du trouble, sans fard ni posture. Ici, la littérature ne soigne pas : elle constate, elle palpe, elle tremble. Et c’est dans ce tremblement que tout se joue.
Publiée le
28/10/2025 à 09:57
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Paru le 21/08/2025
168 pages
Mercure de France
18,00 €
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