Un classique yiddish au présent : Peretz Markish, enfin en français

Rachel Ertel, Peretz Markish

Le 3 octobre 2025, les Éditions de l’Antilope ont rouvert une porte longtemps restée close : celle d’une grande voix yiddish du XXᵉ siècle, Peretz Markish. Au programme, deux parutions simultanées : un gros roman, inédit en français, Une génération passe, une génération vient, traduit par Rachel Ertel, et le recueil bilingue, relié, Le Tas et autres poèmes, traduit et rassemblé par Batia Baum. Deux livres qui, d’emblée, replacent la littérature yiddish au cœur de notre présent de lecteurs. 

L’éditeur est formel sur le premier : il s'agit d' « un grand roman russe, écrit en yiddish par l’immense Peretz Markish ». Il y ranime une bourgade d’Ukraine, avant et après 1917 : juifs et non-juifs cohabitent, la guerre puis la révolution bousculent les usages, les pogroms brisent les continuités. On suit Mendl le meunier et son fils Ezra, décidé à échapper à la conscription, mais aussi Reb Sender et Solomon Bielkin, aspirant aux sommets du pouvoir. La chronique familiale glisse vers la saga historique, et l’on comprend ce que Rachel Ertel appelle, à propos de Markish, un « roman de poète » — maîtrise des rythmes, densité des images, et cette langue qui sait nommer le tremblement du monde. 

En miroir, Le Tas prend la parole à la verticale : poème moderniste né face à l’horreur des pogroms de 1919–1920. Peretz Markish y voit ce « tas » de cadavres comme un anti–Mont Sinaï : renversement terrible du don de la Loi, gifle théologique et cri politique. Le texte — publié d’abord à Varsovie en 1921, puis en édition kyivienne (Kultur‑lige) en 1922 — fit scandale par son audace formelle et sa charge blasphématoire, tout en s’inscrivant dans la tradition des lamentations. La nouvelle édition de l’Antilope, bilingue yiddish/français, permet de mesurer l’électricité de ces vers.

Revenir à Peretz Markish, c’est aussi rouvrir un chapitre tragique du XXᵉ siècle. Né à Polonne (aujourd’hui en Ukraine) en 1895, figure de l’avant‑garde yiddish, il fut exécuté à Moscou le 12 août 1952, lors de la « Nuit des poètes assassinés », qui frappa les écrivains du Comité antifasciste juif. Son destin, sa réhabilitation posthume en 1955, disent l’âpreté d’une époque et la ténacité d’une œuvre. Relire ses textes aujourd’hui, c’est se tenir au point d’impact entre histoire, langue et mémoire.

Il faut saluer ici les passeurs. Rachel Ertel, grande voix de l’étude et de la traduction du yiddish en France. Batia Baum, disparue en 2023, dont l’engagement a tant compté pour la diffusion de la poésie yiddish. 

En plaçant, le même jour, un roman inédit en français et un choix de poèmes sur la table des libraires, l’Antilope compose un diptyque : d’un côté, la trame romanesque où s’éprouvent familles, pouvoirs, modernité ; de l’autre, la ligne de feu d’un poème qui fait du deuil une forme — et de la forme, un défi.

 
 

Une michronique de
Hocine Bouhadjera

Publiée le
21/10/2025 à 18:14

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Une génération passe, une génération vient

Peretz Markish trad. Rachel Ertel

Paru le 03/10/2025

512 pages

L'Antilope (Paris)

24,50 €

Le tas et autres poèmes

Peretz Markish trad. Batia Baum

Paru le 03/10/2025

192 pages

L'Antilope (Paris)

24,50 €