Invité au Festival international de géographie pour présenter son livre Palestine, notre blessure, le journaliste Edwy Plenel s’est retrouvé au centre d’une polémique inattendue. Un arrêté préfectoral a instauré un périmètre de sécurité et interdit toute manifestation pendant l’événement, au nom de la « prévention du risque terroriste ». La mesure, dénoncée par La Découverte, qui publie l'ouvrage, et la Ligue des droits de l’homme, interroge également le journaliste sur l’état de la liberté d’expression en France.
Le 13/10/2025 à 17:42 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
13/10/2025 à 17:42
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Chaque année, le Festival international de géographie (FIG) fait de Saint-Dié-des-Vosges un lieu de rencontre entre chercheurs, écrivains, enseignants et lecteurs. Cette édition pourtant, qui s'est tenue du 3 au 5 octobre dernier, c’est un arrêté préfectoral - et non un débat académique - qui a fait parler de lui.
Le 30 septembre, la préfète des Vosges, Valérie Michel-Moreaux, a signé un texte instaurant un périmètre de protection policière autour du festival, assorti d’une interdiction générale de manifester. Une mesure jugée « préventive », justifiée par le maintien du plan Vigipirate au niveau « urgence attentat », et par les thèmes abordés cette année : les frontières, la géopolitique, et... la question israélo-palestinienne.
C’est dans ce contexte qu’Edwy Plenel, le cofondateur de Mediapart, était invité à présenter son ouvrage Palestine, notre blessure (La Découverte). Ce livre, écrit dans la continuité de son essai Le jardin et la jungle, explore les fractures de notre époque à travers le prisme du conflit israélo-palestinien et du regard que la France porte sur lui. L’auteur y interroge notre capacité à voir, « à nommer et à comprendre une tragédie qui se joue sous nos yeux ».
Le journaliste, dans un texte publié après l’événement, dit avoir découvert la situation après coup, et de s'étonner que son livre et sa présence « avaient été invoqués dans une décision de justice pour justifier une restriction des libertés du public participant au festival ».
Saisie par la Ligue des droits de l’homme (LDH) et trois habitants de Saint-Dié, la justice administrative a reconnu le caractère fragile de la justification préfectorale. Le juge des référés de Nancy a souligné dans son ordonnance « le peu d’éléments fournis par la préfecture » et admis qu' « en l’absence de circonstances particulières, un festival consacré à la géographie ne saurait être regardé comme justifiant à lui seul un périmètre de protection ».
Malgré ces réserves, le juge a choisi de ne pas suspendre l’arrêté, car « il n’est pas contesté que l’affluence attendue est supérieure à 30.000 personnes, et qu’une table ronde sur le Moyen-Orient doit accueillir des personnalités dont Edwy Plenel, auteur du livre Palestine, notre blessure. Eu égard au risque général, aux tensions liées au conflit israélo-palestinien et à la reconnaissance récente par certains pays de l’État de Palestine, la préfète a pu légalement instituer un périmètre de protection. »
Pour Edwy Plenel, le problème dépasse sa personne. Il assure : « S’il ne s’agissait que de moi, je prendrais avec philosophie cette décision qui promeut un livre et son auteur en potentiels troubles à l’ordre public. » Mais il poursuit : « Ici, il ne s’agit ni de moi ni de mon livre, mais d’un principe. Cette mésaventure témoigne de ce que vivent en France depuis deux années celles et ceux que le sort fait à la Palestine et à son peuple n’indiffère pas. »
Selon le journaliste, cette affaire est révélatrice d’un glissement inquiétant : celui d’une société qui, sous couvert de sécurité, s’habitue à restreindre la parole critique. Il évoque son passage récent en Italie, au festival international du journalisme d’investigation de Modène, où il a pu débattre librement : « La solidarité avec la Palestine put s’y exprimer sans aucune limite ni censure. On le sait, d’expérience douloureuse, le meilleur allié des bascules autoritaires, c’est l’habitude. Il semble qu’en France, on s’habitue plus qu’ailleurs. Et c’est, à tout le moins, inquiétant. »
La LDH a rappelé, dans sa requête, que « le festival n’accueillait aucune personnalité dont la présence conduirait habituellement à des troubles » et qu'Edwy Plenel, « invité régulier des médias et des débats publics, ne suscite pas d’émotion exacerbée ». Mais cette argumentation n’a pas suffi : le Conseil d’État, saisi en urgence, a rejeté le recours le 4 octobre, sans audience.
En raison de l’arrêté préfectoral, l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) s’est vue interdire toute présence au Festival de Saint-Dié-des-Vosges : aucun stand n’a pu être tenu, aucun rassemblement organisé.
Les Éditions La Découverte ont de leur côté exprimé leur « vive préoccupation ». Elles rappellent que le festival « est un moment exceptionnel de rencontres et de transmission » et que « restreindre la liberté d’expression dans un cadre intellectuel et culturel pacifique » revient à criminaliser le débat d’idées. Selon la maison, « aucun débat, aucune parole, aucun sujet ne devrait être traité comme un risque d’ordre public. La liberté de débattre, de publier et de contester est la condition même de la vitalité démocratique. »
Un constat partagé par la Ligue des droits de l’homme, qui alerte sur un usage abusif des lois antiterroristes pour restreindre les libertés publiques, même en l’absence de menace réelle. En conclusion, Edwy Plenel met en garde : « En France, on s’habitue à la peur. Et c’est la peur qui, peu à peu, fait taire la démocratie. »
Contactée par ActuaLitté, l’Association pour le développement du Festival international de géographie (ADFIG) indique ne pas souhaiter commenter la décision de la préfecture. Elle se contente de souligner que la table ronde s’est tenue comme prévu, dans le calme et sans incident, rappelant ainsi le caractère serein et apaisé de l’événement.
Également contactée par ActuaLitté pour recueillir des précisions sur sa démarche visant à contester l’arrêté préfectoral, la Ligue des droits de l’homme n’a pas encore donné suite à nos sollicitations.
À LIRE - Pourquoi Raphaël Enthoven annule-t-il sa venue au salon du livre du Mans ?
Depuis plusieurs mois, la question israélo-palestinienne suscite en France des réactions institutionnelles de plus en plus prudentes, dès qu’elle s’invite dans l’espace public. Dans un communiqué signé avec dix-neuf autres organisations, la Ligue des droits de l’homme alertait dès 2023, sur ce qu'elle juge comme un glissement : « Le droit de s’exprimer et de se réunir sur la question palestinienne en France doit être garanti. Aucun sujet, aucune parole ne saurait justifier la censure ou la répression. »
Crédits photo : Alain Stival (CC BY-SA 4.0)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
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13 Commentaires
Aurélien Terrassier
13/10/2025 à 22:14
Décision injuste et inquiétante pour la démocratie et la liberté d'expression. Edwy Plenel ainsi que l'AFPS ont été victime de censure et je m'étonne qu'il n'y a que la LDH pour s'indigner contre ce qui est injustifiable. RSF aurait du aussi soutenir Edwy Plenel!
Rose
14/10/2025 à 06:34
On se demande qui exacerbe ces peurs dans une tendance répressive, le truc malsain qui divise pour mieux contrôler et provoquer le ressentiment. Les échanges entre citoyens, même dans l'affect, entraînent une réconciliation et peut-être même une réparation nécessaire ; car, humains, nous vivons tous sur la même planète.
seingelt
14/10/2025 à 07:14
Les manipulations lamentables du flic Plenel qui tombent à plat le jour du triomphe de Trump en Israël, soutenu par tous les pays Arabes et Musulmans : où l'on va s'apercevoir retrospectivement que la folie collective du Free Palestine n'était qu'une gigantesque escrocrerie hallucinatoire.
Kidoun
14/10/2025 à 07:34
Edwy Plenel…
La liberté d’expression commence là où s’arrête celle d’Edwy Plenel !
Ce type, ses méthodes sont dignes de l’Inquisition et de Robespierre !
Il n’informe pas, il dénonce quitte à, dans le meilleur des cas manipuler les faits et dans le pire les inventer.
Le jugement Sarkozy en étant la dernière preuve le tribunal reconnaissant que le papier de Médiapart « était probablement un faux ».
Ce type et son médias calomniateur sont une insulte aux journalistes et à la déontologie de ce métier.
Une seule chose l’intéresse : faire tomber des têtes.
Que ses interventions soient problématiques est la rançon de ses méthodes et par ailleurs ses prises de positions sur le conflit au Proche-Orient ne sont mues que par ce raccourci guillotinaire :
Juif = Génocidaire
Il a beaucoup de chance que…
Bref…!
Le médiathécaire
14/10/2025 à 13:15
Bonjour Monsieur,
Je tiens à apporter une petite précision quant au fameux "faux document"...
"Attaqué depuis sa publication, ce document a fait l’objet d’une bataille judiciaire. Cette dernière a été remportée par Mediapart, lorsqu’en janvier 2019, la Cour de cassation avait rejeté le recours de Nicolas Sarkozy qui accusait Mediapart d’avoir produit un « faux » en 2012. La plus haute juridiction judiciaire avait alors définitivement confirmé le non-lieu ordonné en faveur du journal d’investigation à deux reprises, par les juges d’instruction puis par la cour d’appel."
Source : https://www.leparisien.fr/politique/condamnation-de-nicolas-sarkozy-cest-quoi-ce-document-probablement-faux-de-mediapart-attaque-par-lancien-president-29-09-2025-ZEZTT67QOVBP5MEO6P7OK4QCZM.php
Vous vous attardez sur un élément alors que l'enquête dure depuis plus de dix ans et que Nicolas Sarkozy, Brice Horfeteux et Claude Guéant ont été condamnés pour avoir « négocié avec un terroriste libyen recherché par la France, Abdallah Senoussi, un pacte de corruption dans la perspective du financement occulte de la campagne présidentielle de 2007 ».
Faire cela alors qu'on vise la présidence... Quelle indignité...
Luna
14/10/2025 à 09:13
On lèche les bottes d'Enthoven qui plébiscite le génocide utile et on botte en touche Edwy Plenel qui pleure la mémoire de Badinter.
Tout va bien chez les vichystes de la macroni en effet
D. L.
14/10/2025 à 09:15
La France répressive pour l'humanisme et protectrice pour le fascisme !
Toutes les idées en faveur de la Palestine ont été violemment réprimées, de nombreuses personnes blessées, enfermées.
Les manifestations de groupes d'extrême droite ont été encadrées, protégées.
Quelle est cette France?
Vichy, te revoilà !
Quand la France sera de nouveau gouvernée par le racisme, l'homophobie, le mensonge et le mépris, il sera trop tard.
Je vis dans une ville gouvernée par la ligue du sud depuis 30 ans, je peux en parler.
Le père a tenu 26 ans, puis a enfin été condamné malgré tous les recours. Aujourd'hui, c'est le fils, biberonné aux idées malsaines qui a repris la tradition, maire à la place du père. À tel point que lui aussi sera jugé en décembre pour des histoires d'argent, d'emplois fictifs, bref, la tradition familiale.
Ne jouons pas avec le feu, nous savons ce qu'il produit.
Non à la peste brune
Henry client de chez Le Havana BAR PMU FDJ TABAC
14/10/2025 à 12:16
Saint-Dié-des-Vosges ?
on s'en cogne les rouflaquettes
les périmètres de sécurité ?
c'est bon pour les PMR
pas Heidegger qui nous contredira
_ henry vinteuil, vendangeur tardif
Ravachol
18/10/2025 à 12:06
Enthoven partout, Plenel nulle part, c'est la circulaire préfectorale et le credo du régime et de ses affidés de l'establishment piliers de la "liberté d'expression".
Aurélien Terrassier
18/10/2025 à 13:31
S'agissant d'Enthoven, ça fair deux vendredis maintenant qu'il n'est plus invité dans "Pour tout dire" sur T18. Ouf même si maintenant y a toutefois Jean Quatremer, ça change un peu.
Luna
19/10/2025 à 12:39
Tant que sa snipeuse de femme, dont les comportements inappropriés en termes d’agressivité sont légion, est toujours en tête de France Inter.
Rien ne changera, au contraire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ad%C3%A8le_Van_Reeth
Aurélien Terrassier
19/10/2025 à 14:51
Inter, c'est autre chose même au delà d'Adèle Van Reeth, la purge contre les "gauchistes" ou les gens qui dérangent vraiment a commencé sous l'ère Sarkozy avec Val qui vire Porte, Guillon et Dahan. S'en suit Mermet en 2014 et plus récemment Meurice. Aujourd'hui il y a en effet une droitisation de la station au logo rouge et blanc car mis à part des gens comme Matthieu Vidart et Charline Vanoedecker où sont les gens de gauche en dehors des techniciens? Nulle part... France Inter est en train de doubler sa petite sœur France Culture sur le terrain de la droitisation avec des débats de société parfois de très faible qualité.
nath
20/10/2025 à 07:52
" l’Association pour le développement du Festival international de géographie (ADFIG) indique ne pas souhaiter commenter la décision de la préfecture. Elle se contente de souligner que la table ronde s’est tenue comme prévu, dans le calme et sans incident, rappelant ainsi le caractère serein et apaisé de l’événement."
Je ne comprends pas bien certains commentaires, E. Plenel a présenté son livre, sans aucune restriction .
Pourquoi parler de censure ?