Sous les plafonds de l’Hôtel de Ville de Saint-Étienne, le visiteur pénètre dans un monde d’enchantement et de symboles. Dragons, fées, ogres et licornes y côtoient sorcières et fantômes dans une exposition issue de L’Encyclopédie du Merveilleux, collection dirigée par Benjamin Lacombe aux éditions Albin Michel Jeunesse.
Le 11/10/2025 à 17:50 par Hocine Bouhadjera
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Présentée dans le cadre de la 39ᵉ Fête du Livre de Saint-Étienne, cette exposition inédite rassemble des planches originales, des peintures et des reproductions signées par quelques grands noms de l’illustration contemporaine — Justine Brax, Étienne Friess, Minji Kim, Isabelle Mazzanti, Stan Manoukian, et bien sûr Benjamin Lacombe lui-même.
« J’ai décidé de créer la collection L’Encyclopédie du Merveilleux sous l’impulsion de Marion Jablonski, directrice chez Albin Michel. Cette collection explore les grandes figures mythiques qui peuplent notre imaginaire : sorcières, ogres, monstres... », explique Benjamin Lacombe. Elle se fonde sur un fil conducteur simple : un enfant guide le lecteur dans le monde du merveilleux. Un principe qu’on retrouve au cœur de l’exposition, où chaque section évoque non seulement un imaginaire, mais aussi une émotion : la peur, la mémoire, la liberté, la différence.
L’artiste et directeur de collection voit dans ces figures fantastiques une métaphore de nos propres émotions : « Derrière chaque mythe se cache un reflet de l’humanité. La sorcière incarne l’émancipation féminine ; l’ogre, la peur de la dévoration et de la perte de contrôle ; les monstres, la confrontation à la différence et la difficulté de l’accepter. »
Les scénaristes Cécile Roumiguière et Sébastien Perez donnent voix à ces créatures, tandis que les illustrateurs les réinventent avec leurs propres sensibilités. « Revenir aux sources de ces légendes, c’est plonger dans l’imaginaire pour éclairer le réel », conclut Benjamin Lacombe, dont l’univers visuel oscille entre la douceur du rêve et la gravité du symbole.
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Derrière le mot « sorcière », il y a tout un monde. Celui des contes et des peurs enfantines, mais aussi celui des luttes et des héritages oubliés. Dans Les Sorcières, premier volume de L’Encyclopédie du Merveilleux, Cécile Roumiguière et Benjamin Lacombe offrent à ces femmes longtemps diabolisées une nouvelle voix — celle de l’indépendance et de la connaissance.
« Je vis avec les sorcières depuis longtemps », confie la scénariste. « Adolescente, j’en ai fait des amies. Plus tard, j’ai découvert les guérisseuses du Moyen Âge : des femmes veuves ou célibataires, n’obéissant à aucune autorité masculine, apprenant de la nature le soin et le poison, à l’écoute des humains, des corps comme des esprits. De lecture en lecture, j’ai suivi leur chemin, et j’ai eu envie, à mon tour, de leur rendre hommage. »
Benjamin Lacombe confie : « La sorcière me fascine depuis toujours. Elle n’est pas définie par son âge, son balai ou ses sortilèges, mais par son indépendance. Même une reine, comme dans Blanche-Neige, devient sorcière lorsqu’elle est veuve. Cette marginalité en fait un symbole d’émancipation féminine. »
Les œuvres exposées à l’Hôtel de Ville — Lilith, La Mère Shipton, Cheveux de lune ou encore Yama et le cerisier — témoignent de ce dialogue entre texte et image. Dans ces gouaches et huiles denses, le féminin s’affirme à la fois mystique et charnel, ancestral et contemporain. « La sorcière, dit Lacombe, c’est l’éternel combat entre la lumière et l’ombre. Elle détient le savoir de la nature et, en même temps, elle effraie parce qu’elle est libre. »

Après la magie des sorcières vient la part d’ombre. Celle des monstres, des créatures qui font peur et fascinent à la fois. Avec Les Monstres, Sébastien Perez et Stan Manoukian plongent dans ce bestiaire universel pour en tirer une réflexion sur la différence et la tolérance.
« Longtemps, on l’a utilisé pour imposer la peur, tracer la frontière entre le normal et l’anormal. Mais quand on regarde de plus près, le monstre, c’est celui qu’on rejette parce que son physique dérange, celui qu’on ne comprend pas. J’ai voulu leur redonner une âme, une parole, un point de vue », explique Sébastien Perez.
Son personnage, Lucas, figure-miroir du lecteur, découvre peu à peu que « la vraie monstruosité n’est pas celle qui se voit, mais celle des actes ». Dans les vitrines de l’exposition, les planches au crayon de Stan Manoukian rendent justice à cette idée : Méduse, Cthulhu, le Kraken ou le monstre du Loch Ness, tous semblent prêts à dialoguer avec nous.
« Depuis l’enfance, je vis entouré de monstres », sourit Manoukian. « Ils ne m’ont jamais vraiment effrayé. Pour moi, ils sont maladroits, sensibles, parfois drôles. Ce projet m’a permis de leur rendre justice, de les rendre vivants. Et de rappeler que nos monstres, au fond, ne sont souvent que le reflet de nous-mêmes. »

À quelques pas, Les Fantômes, signés Sébastien Perez et Isabella Mazzanti, baignent dans une lumière rouge et grise. « Le fantôme existe dans toutes les cultures », constate en préambule, le premier. « Par lui, j’ai voulu parler de la mémoire, des secrets de famille, de ces blessures qui se transmettent sans mots. Le fantôme est une figure de passage : pour se libérer lui-même, il doit libérer les vivants. »
L’histoire de Maï, fillette japonaise hantée par la présence d’un enfant invisible, devient une parabole douce-amère sur la nécessité de rompre le silence. Isabella Mazzanti, illustratrice italienne, a voulu traduire cette tension entre absence et présence : « J’ai dessiné des fragments, des profils à travers une porte, des photographies effacées… comme si le souvenir lui-même dessinait le contour du fantôme. La couleur rouge, choisie avec Benjamin, ramène la mémoire à la vie, avec toute sa douleur. »
Dans Les Ogres et Ogresses, Cécile Roumiguière et Étienne Friess renouent avec la grande tradition du conte. « Les ogres touchent à nos pulsions les plus archaïques », assure la scénariste. « Ils représentent la peur d’être avalé, englouti, effacé. Mais ils nous font aussi rire. Parce que ces géants grotesques, colériques, ne sont finalement que des miroirs de nos propres excès. »
L’illustrateur Étienne Friess, lui, a « toujours été fasciné par ces figures massives. Elles me rappellent les monstres des histoires que j’écoutais enfant : effrayants, mais si bêtes qu’on ne peut s’empêcher de les aimer. » Dans ses gouaches, on croise Grýla l’ogresse islandaise, un Oni du printemps aux allures de samouraï déchu, ou encore une cabane de Siam où l’humour se mêle à la peur.

Le merveilleux reprend des teintes lumineuses avec Les Licornes. Sous les pinceaux de Justine Brax et la plume de Cécile Roumiguière, la créature légendaire redevient ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un être libre, indomptable, ambigu. « Quand on parle de licornes, on imagine de gentilles créatures arc-en-ciel », s’amuse Cécile Roumiguière. « Mais la licorne est loin d’être une mignonnerie ! C’est un animal sauvage, indomptable, symbole de perfection et de danger. »
Les œuvres exposées, mêlant aquarelle, pastel et mine de plomb, restituent la sensualité et la puissance de cet animal mythique. « J’ai voulu explorer chaque généalogie de licorne, leur donner à chacune une individualité », explique Justine Brax. « Il y a la licorne pure, celle des tapisseries médiévales, mais aussi la rebelle, la sombre, la blessée. Chaque peinture devait raconter sa propre légende. »

L’exposition se conclut sur une explosion d’univers. Dans Les Mondes fantastiques, Sébastien Perez et Minji Kim s’intéressent non plus aux êtres, mais aux lieux : les paysages intérieurs du rêve. « Les lieux aussi ont une identité merveilleuse », explique Sébastien Perez. « Ils reflètent nos désirs, nos peurs, nos blessures. Ils peuvent être refuge ou prison. Certains, comme l’arbre-monde, symbolisent l’unité ; d’autres, comme les mondes quantiques, traduisent la perte de repères. »
Des sorcières aux monstres, des ogres aux licornes, des fantômes aux mondes fantastiques, chaque œuvre révèlerait donc une émotion primitive — la peur, la curiosité, la mémoire, le désir de liberté. Pour Benjamin Lacombe, c’est précisément là que réside la force du projet : « Ces récits, presque fondateurs, nous aident à mieux comprendre notre monde. Revenir aux sources des légendes, c’est plonger dans l’imaginaire pour éclairer le réel. »

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Présentée à l’Hôtel de Ville dans le cadre de la Fête du Livre de Saint-Étienne 2025, l’exposition est à découvrir jusqu'au 30 octobre.

Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
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Par Hocine Bouhadjera
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