L’un et l’autre écrivent pour comprendre et pour réparer : l’un par la fiction poétique, l’autre par le récit de soin. Dans ce dialogue, leurs voix se répondent autour des thèmes de la vulnérabilité, de la mémoire, du silence et du rapport au corps — autant de façons de raconter la condition humaine. Jean-Baptiste Andréa et Baptiste Beaulieu sont nos invités pour un podcast exceptionnel
Le 11/10/2025 à 16:26 par Nicolas Gary
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Publié le :
11/10/2025 à 16:26
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Ils ont en commun d’écrire à partir du réel, mais chacun le transfigure à sa manière. Jean-Baptiste Andréa, ancien cinéaste devenu romancier, scrute la fragilité et la beauté du monde à travers des récits d’enfance, de mémoire et d’émotion. Baptiste Beaulieu, médecin et écrivain, explore la part d’humanité qui se cache dans la souffrance, la maladie, la relation à l’autre.
Un rendez-vous inédit, pour la première fois en podcast, alors que les deux écrivains n'avaient jamais participé à une table-ronde l'un avec l'autre. Une émission très spéciale, à écouter ci-dessous :
Beaulieu, sourire discret, évoque le passage du grand format au poche comme un retour aux origines. Pour lui, c’est une affaire de symboles autant que de justice sociale : « Je viens d’une famille où on n’avait pas toujours les moyens d’acheter des grands formats ; j’ai grandi avec les livres de poche. Savoir que mes romans peuvent être lus à prix doux, c’est une joie immense. » Jean-Baptiste Andréa, prix Goncourt 2023, acquiesce : le poche, dit-il, prolonge la vie d’un livre vers d’autres mains, d’autres vies.
Mais très vite, la discussion glisse vers ce mot qui les obsède tous deux : la réparation. Chez Beaulieu, le médecin et l’écrivain se confondent. « Si je peux aider des gens sans les rencontrer, sans qu’ils me tendent leur carte vitale, alors je suis heureux. Mes livres sont une autre forme de soin. » Andréa sourit : lui s’évanouit à la vue du sang, mais se soigne par l’écriture. « J’écris pour corriger un monde qui ne me va pas ; c’est ma manière d’y réinjecter une part de lumière sans nier la noirceur. »
Pour Baptiste Beaulieu, chaque geste, même minuscule, contient une étincelle d’espérance. Il raconte cette nuit de garde où une jeune fille s’est donnée la mort, tandis qu’à quelques kilomètres, un autre enfant venait au monde. Deux cris opposés dans la même minute. « On a entendu le premier cri du bébé à travers la radio du SAMU. Je venais de vivre quelque chose d’humainement signifiant. » De ce contraste naît sa conviction que la beauté subsiste même au cœur du tragique.
Andréa, lui, se souvient de l’enfant qu’il était à neuf ans, déjà décidé à écrire. Ce qu’il cherche, dit-il, c’est la justesse d’un regard, une manière de remettre le monde à l’endroit. Il répète que la majorité des gens disent : le monde va mal, alors qu’il ne cesse d’y voir des miracles discrets. « L’empathie n’est pas un mot vague. C’est une aptitude qui se cultive ; elle change notre perception du monde et notre rapport à la violence. »
Les deux hommes s’accordent : lire, c’est éprouver d’autres vies. Beaulieu le formule comme une évidence : « Pendant deux ou trois cents pages, on vit des existences qui ne sont pas les nôtres ; on comprend d’autres humanités, et en refermant le livre, quelque chose en nous s’est agrandi. » Andréa renchérit : l’enfance, dit-il, nous relie tous, car elle contient la foi naïve que tout est possible et la capacité de se relever. Cette hypersensibilité qu’on reproche aux adultes, il la revendique comme une force.
L’entretien se poursuit, parfois grave, souvent lumineux. Les deux écrivains s’interrogent sur la solitude contemporaine, sur la difficulté à dire ses émotions. Beaulieu observe : « Dans le métro, chacun se débat en silence contre quelque chose qu’il tait. Lire permet de se sentir moins seul. » Andréa approuve : exprimer ce qu’on ressent reste l’un des plus grands défis de la relation à autrui, et la littérature offre un espace sûr pour le faire.
Quand la conversation s’aventure du côté de l’humanisme, les mots s’embrasent. Ils évoquent la bienveillance comme une discipline quotidienne : se souvenir chaque matin de ce qui compte, lutter contre la noirceur tapie en soi. Andréa le dit avec franchise : « Notre pire ennemi est déjà en nous. Chaque jour, je combats cette part impatiente qui voudrait descendre de sa voiture pour crier. » Beaulieu rit et répond : « Je suis comme toi ! » Leurs rires ponctuent cette confession partagée.
Tous deux rejettent la tiédeur. Beaulieu veut que le lecteur soit remué : « Quand je dépense vingt euros pour un livre, je veux être bousculé. Je veux vivre d’autres vies que la mienne. » Andréa acquiesce : l’indifférence le trouble plus que la critique. « Quand quelqu’un me dit : j’ai bien aimé votre livre, c’est presque une gifle ! J’aurais préféré qu’il me déteste. »
Au fil des minutes, une même conviction se dessine : la littérature est une manière de tendre la main. Andréa évoque Stefan Zweig, dont la sensibilité lui semble « presque féminine, d’une intelligence du cœur rare ». Beaulieu, lui, cite Pessoa : Le Livre de l’intranquillité comme viatique pour les âmes blessées. Entre eux, tout se répond : le soin, la fragilité, la beauté du monde.
L’entretien se clôt comme il a commencé : sur un éclat de rire et une gratitude discrète. Ces deux hommes, que la vie aurait pu opposer — l’un médecin, l’autre rêveur — s’accordent sur l’essentiel : la littérature, loin d’être un refuge, est un geste de réparation. Un souffle de colibri, dirait Andréa, qui ajoute : « À notre échelle, on peut toujours bouger un atome pour rendre le monde meilleur. »
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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1 Commentaire
Laurence
24/10/2025 à 18:25
Ah zut, zut... j'ai beau écouter et re-re-re-écouter la fin de cet entretien, je n'arrive pas à comprendre le proverbe arménien dans lequel il est question d'une grande cuiller.
Est-ce que quelqu'un ou quelqu'une pourrait m'aider ?
D'avance Merci ;o)