Dans Le Gardien de Téhéran, Stéphanie Perez, grand reporter à France Télévisions, prête sa plume à un épisode méconnu de l’histoire iranienne : celui du musée d’Art contemporain de Téhéran et de son gardien, Cyrus Farzadi. À travers ce personnage fictif inspiré d’un homme réel, elle retrace la survie inespérée d’une collection inestimable pendant la Révolution islamique de 1979.
Le roman s’ouvre sur une scène de fin du monde : « Dehors, en ce froid matin de 1979, Téhéran se recouvre peu à peu de noir. » Les révolutionnaires approchent, et Cyrus, jeune gardien pétri d’angoisse, sent le danger frôler les murs du musée désert. En quelques lignes, la tension s’installe : il devra sauver, au péril de sa vie, « les tableaux de l’impératrice », symboles honnis d’un régime déchu.
Perez tisse son récit sur un va-et-vient constant entre l’Iran fastueux du chah et le pays plongé dans la ferveur révolutionnaire. En 1977, la capitale vibre au rythme du disco et des films américains ; deux ans plus tard, la « valse des corps voilés » efface brutalement cette modernité.
Autour de Cyrus gravitent des personnages denses : Farah Diba, l’impératrice mécène ; Donna Stein, experte américaine fascinée par la Perse ; ou encore Azadeh, photographe insurgée, dont les cicatrices racontent la brutalité du régime. Ces destins s’entrecroisent dans un décor qui oscille entre faste et ruine. L’autrice parvient à humaniser chacun de ses protagonistes : la foi obstinée du gardien répond à la ferveur idéaliste d’Azadeh, comme si l’art et la liberté partageaient la même flamme.
Le style de Stéphanie Perez porte la marque du reportage. Les phrases, souvent brèves, frappent comme des instantanés ; d’autres, plus amples, rétablissent le souffle du récit. Sa syntaxe limpide épouse la rigueur journalistique, mais la narration se pare d’élans poétiques : la « lumière douce » des monts Alborz, le « vieux film en Technicolor » des souvenirs. La langue oscille entre réalisme minutieux et lyrisme contenu, sans emphase inutile.
Les dialogues, sobres et crédibles, rythment un texte dominé par la pudeur. Le vocabulaire, précis, restitue aussi bien la sensualité d’un tableau que la sécheresse d’un interrogatoire : « Si seulement on pouvait réparer le monde avec des ourlets », murmure la mère de Cyrus, phrase-symbole d’une humanité brodée à la main.
Ce premier roman s’impose comme un hommage vibrant à ceux qui protègent la beauté dans la tourmente. Cyrus, en sauvant les toiles menacées, incarne la résistance silencieuse des humbles. Lorsque, à la fin, il confie : « Je ne sais toujours pas expliquer pourquoi j’ai été touché en plein cœur », Perez rejoint la vérité universelle de l’art : sa force de consolation et de mystère.
Le Gardien de Téhéran n’est pas seulement un roman historique ; c’est une méditation sur la mémoire et le courage. Derrière les murs d’un musée, c’est tout un peuple qui cherche à sauver sa lumière.
DOSSIER - Lire en Poche 2025 : édition spéciale 20e anniversaire
Publiée le
09/10/2025 à 18:12
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Paru le 29/08/2024
240 pages
8,10 €
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