À la veille de la fête nationale, ce 5 juillet, Alger promettait une grâce collective, ciblant 6500 prisonniers. Or, une précision clé rendait les perspectives sombres pour Boualem Sansal et d'autres. En effet les personnes « ayant porté atteinte à l’unité nationale » seraient automatiquement exclues . Sansal était hors-jeu. L'écrivain reste incarcéré à Koléa, malgré les attentes... et aucun appel en Cassation ne se profile, l’option légale semble épuisée .
Le 05/07/2025 à 18:12 par Nicolas Gary
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05/07/2025 à 18:12
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Arrivé à l'aéroport d’Alger à la fin de novembre 2024, Boualem Sansal, naturalisé français quelques mois plus tôt, se retrouve soudain dans ce qu’on nomme pudiquement un « procès-fantôme ». Motif retenu : « atteinte à l’intégrité du territoire », après avoir évoqué, lors d'une interview à Frontières, la légitimité des frontières algériennes issues de l’époque coloniale.
Âgé de 75 ans (ou autour de 80 selon d’autres sources), atteint d’un cancer de la prostate, Sansal s’enfonce dans un système judiciaire opaque : fiché, privé de droit consulaire, et placé en isolement total pendant des jours. Ce traitement tranche avec celui réservé aux officiels algériens, un écart qui alimente l’ironie pernicieuse : un écrivain mieux traité qu’un diplomate français, mais soumis à la justice spéciale.
Quelques faits biographiques enrichissent la toile de fond : ancien haut fonctionnaire devenu romancier tardif, Sansal publie en 1999 Le Serment des barbares, puis en 2015 2084 : la fin du monde, ouvrage applaudi et craint pour sa critique virulente contre le pouvoir algérien et l’islamisme. Alternant les registres politiques, il s'impose comme une voix libre, subversive, invitant ses lecteurs à l’irritation et à la réflexion. Mais pour Alger, rien n'y fait : aucune libération n'interviendra pour ce dangereux criminel...
Boualem Sansal, 80 ans, intellectuel franco-algérien de renom, est arrêté le 16 novembre 2024 à son arrivée à l’aéroport d’Alger. Le pouvoir lui reproche des propos tenus peu avant sur Frontières, un média français d’extrême droite, où l’écrivain a affirmé qu’au temps colonial la France avait rattaché à l’Algérie des territoires auparavant marocains.
Ces déclarations, jugées offensantes par Alger, surviennent dans un climat politique déjà lourd. L’étau s’est resserré sur les voix dissidentes : journalistes, avocats, militants et même poètes se retrouvent accusés de terrorisme sur la base de simples opinions critiques. La liberté d’expression est devenue une denrée rare sous ces latitudes.
Dès son arrestation, Boualem Sansal est lui-même inculpé sous l’implacable article 87 du code pénal pour « atteinte à l’unité nationale », mais aussi « insulte à corps constitué » et autres chefs d’accusation aux formulations floues. Le pouvoir algérien n’a pas lésiné sur la panoplie répressive : il s’agit de faire un exemple.
Après plusieurs mois de détention préventive – dont une partie à l’hôpital pénitentiaire en raison d’un cancer de la prostate qui ronge l’écrivain – le verdict tombe fin mars 2025. Le tribunal de Dar El Beïda, à Alger, condamne Boualem Sansal à cinq ans de prison ferme et 500 000 dinars d’amende.
Le procureur avait requis dix ans (pour un entretien jugé déplaisant, rien de moins). Lors de l’audience, l’écrivain se défend calmement : « Mes commentaires ou mes écrits n’étaient qu’une opinion personnelle, et j’ai le droit de le faire comme n’importe quel citoyen algérien », plaide-t-il devant la cour.
En face, la sentence apparaît implacable malgré un dossier purement verbal. Les observateurs dénoncent un procès politique expédié au mépris des droits de la défense. Boualem Sansal, affaibli, assiste à son jugement l’air vieilli de cinq ans en quelques jours. Sa femme, gravement malade en France, lui est inaccessible.
La sévérité de la peine suscite l’indignation hors d’Algérie : le président français Emmanuel Macron la qualifie d’« incompréhensible et injustifiée » et appelle Alger à faire preuve de « sens commun et d’humanité » en libérant Sansal pour qu’il se soigne.
Des écrivains de stature mondiale – Salman Rushdie, Annie Ernaux, Orhan Pamuk, Wole Soyinka, entre autres – cosignent dès novembre 2024 une lettre ouverte pour réclamer sa remise en liberté immédiate.
« Cette nouvelle tragique reflète une réalité alarmante en Algérie, où la liberté d’expression n’est plus qu’un souvenir face à la répression, à l’emprisonnement et à la surveillance de toute la société », écrivent-ils, stupéfaits de voir un romancier primé traité en criminel. Dans le box des accusés, la littérature partage le banc des indésirables.
Sans surprise, Boualem Sansal fait appel de sa condamnation. Mais le 1ᵉʳ juillet 2025, la cour d’Alger confirme le verdict : cinq ans de prison, ni plus ni moins. L’auteur, désormais condamné en appel, reste incarcéré dans la prison de Koléa près d’Alger. À ce stade, sa détention dépasse les sept mois.
L’affaire Sansal s’est entre-temps muée en un véritable casus belli diplomatique. En France, l’opinion publique se mobilise largement en faveur du romancier. Des rassemblements de soutien ont lieu, une vaine tentative a même visé à l’élire à l’Académie française pour braquer les projecteurs sur son sort.
Jean-Christophe Rufin, écrivain et ami de Sansal, confie son inquiétude : l’octogénaire « a pris cinq ans en quinze jours » tant l’épreuve l’a diminué. À l’international, le cas Sansal devient symbole. En janvier 2025, le Parlement européen adopte une résolution exigeant sa libération immédiate.
Aussitôt, le Parlement algérien dénonce une ingérence « paternalisante », accusant les Européens d’instrumentaliser l’affaire pour nuire à l’image de l’Algérie. Alger crie au complot étranger, classique réflexe de siège. De fait, la détérioration inédite des relations entre Alger et Paris sert de toile de fond : expulsions réciproques de diplomates, restrictions de visas… la tension est à son comble.
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Des analystes estiment que Boualem Sansal paie ainsi le prix collatéral de la brouille : en soutenant le Maroc sur la question du Sahara occidental, Paris a froissé Alger, qui riposte en faisant de l’écrivain un otage diplomatique. Le président Tebboune lui-même s’acharne publiquement contre celui qu’il traite d’« imposteur qui ne sait pas qui il est, ne connaît pas son père et vient dire que la moitié de l’Algérie appartient à un autre État ».
Dans ce climat explosif, la justice algérienne apparaît moins indépendante que jamais. Côté français, on tente l’apaisement en coulisses : pas de rupture fracassante, Paris préfère jouer la carte de la patience diplomatique – en vain. Le 4 juillet au matin, le Premier ministre François Bayrou se prend encore à espérer « des mesures de grâce […] en fonction de la santé de notre compatriote ». Tous les regards se tournent vers une date : le 5 juillet, Jour de l’Indépendance en Algérie, synonyme traditionnel d’amnistie.
Le 5 juillet, fête nationale algérienne, devait offrir une issue humanitaire. Chaque année, à la veille des célébrations, le président accorde des grâces en masse aux détenus de droit commun. Famille, avocats, comité de soutien – tout le monde avait les yeux rivés sur cette échéance cruciale. Le gouvernement français lui-même semblait tabler sur ce geste de clémence pour tirer Sansal d’affaire.
Mais la nouvelle tombe le 4 juillet au soir comme une douche froide : une grâce présidentielle est bien annoncée pour près de 6 800 prisonniers… excepté les personnes condamnées pour des crimes jugés « anti-étatiques », au premier rang desquels l’atteinte à l’unité nationale. En clair, Boualem Sansal est exclu du décret de grâce.
L’espoir s’évanouit brutalement, laissant proches et soutiens désemparés. « Il semblerait qu’en effet Boualem Sansal n’ait pas été gracié ce soir, ce qui est pour nous un immense atterrement », réagit Arnaud Benedetti, fondateur du comité de soutien international de l’écrivain. Sa stratégie de négociation prudente avec Alger a échoué : l’heure n’est plus aux discours feutrés.
Dans un communiqué amer, le comité de soutien conclut que « le temps des gestes d’apaisement est révolu » et presse désormais Paris et Bruxelles d’« actions fortes et déterminées » pour obtenir la libération de Sansal.
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Les réactions indignées fusent dans la classe politique française. « Un écrivain emprisonné pour ses idées, privé de grâce, c’est un pays privé de parole et de liberté. Soutien à Boualem Sansal, victime d’une décision sans grandeur. Libérez Boualem Sansal », écrit par exemple l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, fustigeant une atteinte criante à la liberté d’expression.
D’autres évoquent une « humiliation » infligée à la France et le « dernier clou dans le cercueil » de la relation franco-algérienne. Joyeuse fête d’indépendance… En Algérie, l’impitoyable réalité reprend le dessus : Boualem Sansal est reconduit dans sa cellule de Koléa, où il croupit toujours en ce mois de juillet.
Malgré la déception, ses soutiens veulent croire qu’il reste une dernière carte : une grâce pour raisons médicales, que le président Tebboune pourrait théoriquement accorder à tout moment. Eux-mêmes n’y croient qu’à moitié. L’écrivain, de son côté, décide de ne pas former de pourvoi en cassation devant la Cour suprême algérienne, ultime recours légal dont il doute de l’efficacité. Le sort de Boualem Sansal ne dépend plus que d’une volonté politique qui, pour l’instant, fait défaut.
L’affaire Boualem Sansal jette une lumière crue sur l’Algérie contemporaine. Plus de soixante ans après l’indépendance, l’utopie démocratique du « peuple libre » a laissé place à une gouvernance sourcilleuse, prête à châtier quiconque remet en question le récit national officiel. Critiquer l’État est redevenu un crime de lèse-majesté.
L’écrivain paye cher son franc-parler : ses romans, qui pourfendent l’extrémisme et l’immobilisme post-colonial, étaient déjà interdits de publication dans son propre pays depuis 2006. Désormais, c’est sa personne qu’on muselle derrière les barreaux. Il est loin d’être un cas isolé. Selon des organisations de défense des droits humains, des centaines de citoyens algériens – journalistes, défenseurs des droits, artistes – ont été poursuivis et emprisonnés ces dernières années pour des délits d’opinion similaires.
INTERNATIONAL - Le paradoxe Sansal : couronné pour son œuvre, emprisonné pour ses mots
Le sort réservé à Boualem Sansal, figure de proue des écrivains engagés du monde arabe, symbolise cette dérive autoritaire. Beaucoup, y compris au sein du peuple algérien, estiment qu’aucun écrivain ne devrait finir en prison pour ses idées. L’indignation internationale grandissante montre que sa voix n’est pas étouffée pour tout le monde.
Des prix Nobel de littérature aux parlementaires européens, en passant par de simples lecteurs, une véritable chaîne de solidarité s’est formée autour de lui. Si ce 5 juillet 2025 restera comme le jour d’un espoir trahi, il n’est peut-être pas la fin de l’histoire.
L’épreuve de Boualem Sansal rappelle que la soif de liberté ne s’éteint pas si aisément : en Algérie, des marges d’espoir subsistent, tenaces, portées par ceux qui refusent l’oubli. Un régime peut bâillonner un homme ; il ne fera pas taire les questions que son sort soulève sur l’avenir des droits et des libertés dans le pays. Et quelque part, au-delà des barreaux, la plume de Boualem Sansal continue de défier la peur.
Crédits photos : ActuaLitté - CC BY SA 2.0 (illustration de Cabu)
Par Nicolas Gary
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12 Commentaires
NAUWELAERS
05/07/2025 à 19:46
Excellentissime bilan de l'interminable affaire Sansal, une terrible illustration de ce que la «real politik» peut impliquer d'épouvantable, des droits de l'homme élémentaires qui sont broyés, écrasés...
Cela est à vomir et soutien à ce très grand écrivain et martyr de la liberté d'expression.
Lola
08/07/2025 à 17:53
Quand est-ce que vous vous démenez pour demander la libération dr Georges Ibrahim Abdallah libérable depuis 1999 ? Et les plus de 2000 ressortissants français emprisonnés à travers le monde pour rien ? Il n’y a que ce pseudo-écrivain mandaté pour écrire du contenu haineux et islamophobe et contre toute l’Algérie (même le peuple dont il est issu) qui vous intéresse uniquement parce qu’il crache H24 sur l’Algérie. S’il avait soutenu son pays, dans ses écrits et prises de parole, vous l’auriez pourfendu, assurément. C’est votre haine de l’Algérie qui vous fait solidaire de ce traître à sa nation. De + Sansal est un algérien et il est jugé dans SON pays pour atteinte à la souveraineté nationale et intelligence avec l’ennemi. Et pour conclure occupez-vous de vos oignons ! L’Algérie est libre et souveraine et elle applique les lois en vigueur dans ses frontières !
Mettez-vous dans le crâne que le temps des colonies est bien fini en tout les cas c’est un fait pour l’Algérie ! La France donneuse de leçons alors qu’elle a été l’une des nations les plus barbares, malgré « les droits de l’homme de 1789 », qu’elle a piétine le droit international, qu’elle est complice d’un génocide, qu’elle vire à l’autoritarisme, vous devriez vous la fermer une bonne fois pour toutes !
NAUWELAERS
08/07/2025 à 23:10
Lola: beurk, c'est tout.
Une honte, ce que vous écrivez.
Quand vous arriverez à la cheville de ce «pseudo-écrivain» (sic !), on en reparlera.
CHRISTIAN NAUWELAERS
Lola
10/07/2025 à 12:58
C’est vous qui êtes à vomir !!! Pseudo-humaniste, défenseur d droits de l’homme de pacotille! Défendre ce Boualem sang-sale un collabo avec la france et israel pays tous deux pays de colonisateurs assassins génocidaires dans leur ADN. Mais vous adorez les collabos apparemment puisque la majorité d français étaient des collabos en 39-45!
Les collabos méritent la perpétuité. Ce sang-sale a beaucoup de chance de n’avoir que 5 ans. On s’en fou de vous de vos aboiements ! L’Algerie avance malgré vos jérémiades ! Continuez à aboyer bandes de d’imposteurs !!! 🤮🤮🤮
NAUWELAERS
10/07/2025 à 19:53
Lola,
Vous défendez un régime totalitaire abject..
Soutien total au grand Boualem Sansal et honte à vous.
CHRISTIAN NAUWELAERS
Lannabi
09/07/2025 à 11:27
Lire « l'Algérie, pays libre », c'est déjà très drôle en soi, mais lire plus loin que la France vire à l'autoritarisme ! J'ai ri, comme dirait Sophia Ch. Vous devriez faire du stand-up. En Algérie, parce qu'ici, vous ne récolteriez que de maigres applaudissements (10-12 % pas plus)…
Lannabi
07/07/2025 à 09:29
Merci Nicolas Gary. Courage à Boualem Sansal et à ses proches.
seingelt
07/07/2025 à 10:07
oui ... Sauf que la gauche politique académique artistique intellectuelle et médiatique s'est ridiculisée une fois de plus, pris en tenaille par son biais anti-colonial et socialisant : vous citez Frontière revue d’extrême droite, certainement, mais à la honte de toute cette gauche caviardée par ses certitudes de supériorité morale, eux et bien d'autres de droite, ont été au front : Voltaire a changé de camp : je vois toute cette affaire Sansal comme une nouvelle affaire Dreyfus : il serait temps de mettre toute cette clique incompétente de tartuffe dans les latrines de l'histoire.
Marie
07/07/2025 à 17:07
Tous les commentaires sont vains. Cet écrivain est privé de liberté, point. Sait-il seulement l'immense mouvement de soutien, sympathie.. dont il est le sujet??.Mais au fond, à quoi sert ce mouvement? La honte commence à me gagner devant l'inutilité, l'inefficacité de ce mouvement...
Sandrine mehrez
10/07/2025 à 08:46
Beaucoup se demande pourquoi Boualem Sansal est revenu alors qu’il connaissait l’issue de ce dernier voyage. Depuis quelques mois tout était encore plus compliqué avec Alger. Je pense qu’il a voulu servir de fusible. Se savant malade, cette action ultime de secouer le monde sur le régime algérien et le sort réservé aux intellectuels et journalistes est son ultime combat.
La mobilisation est belle. Sincère et importante. N’est ce pas après tout la réussite de celui qui défend ses idées depuis des années dans ses livres et sur les plateaux télé.
La parole de Boualem est désormais portée par des milliers d’individus dans le monde, soucieux de ne pas en faire un martyr de la liberté d’opinion.
seingelt
10/07/2025 à 11:59
Je ne veux pas polémiquer, je suis globalement d'accord avec vous : deux choses : "servir de fusible" : on appelle ça une victime émissaire, un auto-sacrifice pour une cause, une coupure de connexion d'un courant : il a joué le jeu du scapegoat, en français du bouc émissaire. Il va mourir pour l'expiation d'un péché : à vous de trouver lequel et de broder autour : c'est ainsi que les causes vivent.
C'est pourquoi je ne comprend pas votre phrase : "La parole de Boualem est désormais portée par des milliers d’individus dans le monde, soucieux de ne pas en faire un martyr de la liberté d’opinion."
Pourquoi "être soucieux de ne pas en faire" : un bouc émissaire est un martyr, il rend témoignage : si votre cause est "la liberté d'expression" Sansal-Voltaire en devient automatiquement un.
Quelle est donc la cause pour laquelle Sansal-Voltaire serait revenu en Algérie pour y mourir comme "fusible" ?
Lola
10/07/2025 à 12:03
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