Le sénateur Jean-Raymond Hugonet (Essonne, Les Républicains), rapporteur spécial sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du ministère de la Culture, a livré ce mercredi 2 juillet quelques éléments de ses travaux de contrôle sur le soutien de l’État aux acteurs de la chaîne du livre. Il en salue l'efficacité et la frugalité, tout en appelant à quelques évolutions du côté du Centre national du livre, mais reste vague sur les dispositions pour répondre à la paupérisation des auteurs ou aux conséquences de l'austérité budgétaire.
Le 02/07/2025 à 16:48 par Antoine Oury
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02/07/2025 à 16:48
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Cela faisait près de quinze ans que la commission des finances du Sénat ne s'était pas penchée sur la politique du livre mise en œuvre par l'État, a rappelé le sénateur Jean-Raymond Hugonet pour commencer sa présentation de son propre rapport spécial sur le sujet.
En un peu plus de 90 pages, son travail (accessible en fin d'article) dresse un panorama du soutien public apporté au secteur culturel et à l'industrie, lequel s'incarne essentiellement dans des mécanismes de régulation normative. Le prix unique du livre — doublé par celui du livre numérique — est sans doute le plus connu de ces instruments et en constitue le premier axe.
Vient ensuite la lecture publique, par l'intermédiaire de la Bibliothèque nationale de France, qui mobilise 245 millions €, et par le réseau des bibliothèques publiques, confié aux collectivités territoriales, qui mobilise 1,7 milliard €.
« Le soutien de l'État à la filière du livre ne représente donc qu'un effort financier assez modeste », estime Jean-Raymond Hugonet, « à l'exception du taux réduit de TVA ». Fixé à 5,5 %, il constitue « le premier instrument de soutien direct de l'État à la filière du livre ».
Son coût pour les finances publiques atteint 600 millions € de moindres recettes par an, et ce taux réduit « ne constitue pas un instrument pertinent en termes de justice fiscale », estime le rapporteur spécial. Ainsi, « le décile de population le plus riche bénéficie du taux réduit de TVA à hauteur de 294 millions d’euros par an, contre 84 millions d’euros pour le premier décile ». Il en déplore le faible suivi par le ministère de la Culture et par celui de l'Économie, appelant à y remédier dans ses recommandations par une « analyse plus fine ».
Dans l'ensemble, le sénateur qualifie le livre de « bon élève », puisqu'il reste le premier secteur, en termes de chiffre d'affaires, parmi les industries culturelles, tout en étant le « moins directement aidé », avec un taux d'intervention très inférieur à celui des autres secteurs culturels, qui « gagneraient à s'en inspirer ».
Estimant que la filière du livre « est en réalité peu subventionnée », Jean-Raymond Hugonet rappelle que les aides directes versées par le Centre national du livre (CNL), en 2024, s'élèvent à 22 millions € seulement, pour 4,8 millions € octroyés par les Directions régionales des affaires culturelles.
Opérateur de l'État pour le soutien économique aux acteurs du livre, le CNL bénéficie au total d'un budget de 28 millions €, dont 2/3 consacrés à l'intervention directe auprès du secteur. 20 % des 3000 aides accordées reviennent aux auteurs, 23 % aux éditeurs et 16 % aux librairies (le reste se répartissant entre les manifestations littéraires, les structures ou encore les prêts). Les librairies reçoivent en moyenne des aides deux fois supérieures à celles accordées aux auteurs et aux éditeurs.
S'interrogeant sur un possible effet de « saupoudrage » [des aides trop nombreuses, aux montants trop faibles pour être véritablement efficaces, NdR], le sénateur estime que, « [s]ans l'écarter, l'analyse des données va dans le sens d'un ciblage pertinent des aides », puisque les librairies qui les reçoivent sont structurellement moins rentables que les autres. Néanmoins, l'une de ses recommandations invite à « relever le montant minimal d’aides, actuellement fixé à 500 euros pour la plupart des aides et non revalorisé depuis 2018 ».
Sur le processus d'attribution des aides, le sénateur le juge, « quoique transparent, très lourd » et recommande de « supprimer la possibilité, pour le CNL, d'accorder des prêts ». « Le volume de prêts reste réduit, certes (2,3 millions € en 2024 pour 67 projets), et il existe d'autres acteurs dont c'est le cœur de métier. Le rôle du CNL devrait ainsi être recentré sur l'attribution de subventions », selon lui.
Le rapport et son auteur reviennent sur la crise sanitaire et les mesures de protection du secteur du livre qui l'accompagnèrent. « Comme pour nombre de secteurs économiques, l'État a réagi à chaud », relève Jean-Raymond Hugonet, « en débloquant dans l'urgence des montants de crédits conséquents. Au total, entre 2020 et 2022, 43 millions € d'aides exceptionnelles auront été accordés à la filière du livre via le CNL. »
En 2020, 42 % des librairies françaises ont perçu une aide des DRAC ou du CNL, « contre 7 à 9 % en période normale », indique le sénateur, qui note que les ventes de livres ont atteint des niveaux exceptionnels pendant cette même période. « Une part non négligeable des fonds d'urgence n'a pas été consommée et a été redéployée. En outre, on constate une surrentabilité des librairies en 2020, leur permettant même d'obtenir un taux de marge moyen plus élevé que pour le reste du commerce de détail. »
Fort de ses observations, le sénateur souligne que ce déblocage massif d'argent public n'aurait « sans doute pas été indispensable pour beaucoup de librairies », a posteriori.
Au sujet du Pass Culture, une autre importante mesure en direction des industries culturelles, Jean-Raymond Hugonet renvoie au rapport de la Cour des Comptes, et remarque que l'« impact économique du Pass Culture sur la filière du livre peut s'apparenter à une aide d'État massive », avant de rappeler « que le Pass Culture n'a jamais eu vocation à financer les industries culturelles ».
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Selon lui, « le manque de contrôle financier a été évident » et le dispositif aurait manqué ses objectifs initiaux. « J'aurais préféré, à titre personnel, connaissant un peu le milieu de la culture, que l'argent qui a été déversé sur le Pass Culture [...] soit utilisé de façon plus précise et plus ciblée sur l'éducation artistique et culturelle, qui est quelque chose qui fonctionne dans les territoires. »
Se félicitant des effets vertueux de la décentralisation dans le domaine du livre et de la lecture publique, Jean-Raymond Hugonet évoque dans son rapport « un instrument ad hoc pour la politique du livre : les structures régionales pour le livre », sans toutefois y mentionner la fragilisation de ces dernières suite aux désengagements des collectivités territoriales - ni de proposition pour éviter leur disparition.
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Parmi ces structures en péril, citons évidemment, dans les Pays de la Loire, Mobilis, dont les subventions ont été considérablement réduites, tout comme ses possibilités d'action. Interrogé sur l’hypothèse, pour l'État, de renforcer son soutien au secteur, le sénateur Les Républicains rappelle « le vide sidéral financier », tout en l'assurant : « Je pense que les collectivités qui baissent leur aide à la culture [...], je pense que c'est une profonde erreur. »
Néanmoins, le secteur devra composer avec l'austérité annoncée : « Il y aura des efforts à faire, la culture ne peut pas y échapper. J'engage les collectivité à bien regarder, et je crois que sur la politique du livre et la lecture publique, je ne pense pas que ce soit le secteur le plus visé par ces baisses budgétaires. »
Sollicité quant à la paupérisation des artistes-auteurs et à la problématique du partage de la valeur dans la chaine du livre, et aux outils mobilisables par l'État pour rééquilibrer la balance, le rapporteur spécial reconnait qu'« en période de crise, ce sont des gens absolument indispensables qui souffrent, parce que le secteur est très éprouvé ».
« Des pistes, il y en a, il y a des aides, notamment du côté du Centre national du livre, qui doit vraiment resserrer [...]. Ce sont des choix délicats, ce sont des choix artistiques qui doivent être prononcés », souligne Jean-Raymond Hugonet, qui aura également un mot pour les traducteurs, « qui sont plus que dans la difficulté », notamment avec le développement de l'intelligence artificielle.
Son rapport, notons-le, évoque « plusieurs pistes d’amélioration portant sur le renforcement de conditions sociales et environnementales dans l’attribution des aides » du CNL, qui pourrait se traduire par de « bonnes pratiques » à respecter par les éditeurs, notamment sur le minimum garanti versé aux auteurs ou les pourcentages de rémunération.
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Au sein de la commission des Finances, assure-t-il, « nous avons cela [la situation compliquée des artistes-auteurs] en tête. Le moment financier que nous vivons est très difficile, tout va être question d'équilibres et de curseurs. »
Le rapport, dans une version provisoire, est accessible ci-dessous.
Photographie : Dôme Tournon depuis la rue de Tournon (Sénat, CC BY-NC-ND 2.0)
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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ninja
03/07/2025 à 07:08
Ce sénateur nous écrit « à l'exception du taux réduit de TVA ». Fixé à 5,5 %, il constitue « le premier instrument de soutien direct de l'État à la filière du livre ».
Il faut quand même être un bureaucrate de première grandeur (et dépourvu de vergogne) pour oser dire sans rire qu'un impôt de 5,5% est un "soutien direct".
Rappelons donc que le marché du livre représente à peu près 4,5 milliards d'euros en France, c'est à dire qu'un impôt de 5,5% représente à peu près 250 millions d'euros d'impôts payés les auteurs et les éditeurs.
On sait d'autre part que le budget achat des bibliothèques représente moins de 10% du budget des bibliothèques, le reste représentant les salaires et le coût des bâtiments. C'est à dire que les 2 milliards d'euros utilisés par les bibiliothèques (BNF+le reste) ne représentent (au mieux) que 200 millions d'euros de chiffres d'affaires pour les libraires (et derrière à peu près 100 millions pour les éditeurs et les auteurs). (en notant que la BNF reçoit gratuitement les dépôts légaux)
Nous négligerons le fait que la mise à disposition gratuite des livres (dont les bandes dessinées) en bibliothèque conduit dans certains cas à une réduction des ventes pour les auteurs, les traducteurs et les éditeurs.
Faisons l'hypothèse (généreuse) que les 100 millions de chiffre d'affaires provenant des bibliothèques génèrent une marge de 30 millions pour les auteurs et les éditeurs.
Rajoutons (royalement) les 20 millions d'euros octroyés par le CNL.
On voit assez facilement que les auteurs et les éditeurs sont des contributeurs nets au budget de l'état pour environ 200 millions et que le soutien de l'état au livre est en fait négatif. Il s'agit d'une ponction (pas vraiment magique)...
Necroko
03/07/2025 à 10:57
https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/france/un-manque-a-gagner-de-600-millions-d-euros-pour-l-etat-les-plus-riches-principaux-beneficiaires-du-taux-de-tva-reduit-sur-les-livres_AD-202507020717.html
Ninja
05/07/2025 à 10:37
@Necroko
Le taux moyen de TVA dans le monde sur le livre est de 5%, de nombreux états sont à zéro. Il n’y a pas en soi de taux de TVA légitime ou normal, il n’y a qu’une imposition imposée par un état à la population qu’il contrôle. Le taux dit réduit en France n’est qu’un taux moyen au niveau mondial.
Par exemple la Corée a un taux de TVA à zéro sur le livre et soutient donc bien mieux le livre que l’état français. On notera également que le système scolaire coréen a de bien meilleur résultats (sans parler de leur industrie…)
Notons aussi que la majorité des états américains ne taxent pas les manuels scolaires à la différence de la France.
Si vous reversiez la TVA sur le livre en France aux auteurs vous pourriez donner 40 000 euros à chacun des 5000 auteurs déclarés comme tels en France. Ça vous ferait des pages de manuscrits (ou de planches graphiques) à publier… je dis ça, je dis rien…
Necroko
05/07/2025 à 10:55
je voulais juste montrer le député qui "jette bêtement une idée en l'air pour voir", je suis pas du tout pour une augmentation de 15% de la TVA sur le livre.