Historien spécialiste du livre et de l’édition, Jean-Yves Mollier adresse à ActuaLitté un texte qui met les pieds dans le plat et les points sur les I(A) : avec l'intelligence artificielle, quel avenir pour le livre audio ? Et plus largement, qu'est-ce que le développement de ce format dit de l'industrie de l'édition à l'heure actuelle ?
Le 01/07/2025 à 09:01 par Auteur invité
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01/07/2025 à 09:01
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Malgré l’embellie constatée à la sortie du confinement en 2021-2022, le nombre de livres vendus en Europe diminue chaque année. Seul le livre audio résiste face à un tassement du livre numérique et à un recul du livre papier. Dans ce contexte morose, les éditeurs et les auteurs dénoncent l’arrivée de l’IA et le refus des GAFAM de respecter les droits de ceux qui écrivent et vendent les livres.
En mai 2000, au 26e congrès international des éditeurs réuni à Buenos Aires, le vice-président de Microsoft, Dick Brass, affirmait aux 700 professionnels réunis pour l’entendre qu’en 2018, on ne vendrait plus un seul livre ni un seul journal imprimé sur du papier. La nouvelle fit le tour du monde mais l’angoisse retomba quelques mois plus tard, et l’ordinateur portable cessa, pour un temps, d’être considéré comme le fossoyeur du livre.
Avec l’entrée en scène des tablettes numériques, puis des liseuses, en 2007-2008, la crainte se précisa, et c’est le livre électronique qui concentra les nouvelles phobies. Celles-ci semblèrent se confirmer, en 2014, lorsqu’aux États-Unis, la vente de romans dématérialisés dépassa, pour la première fois, celle des livres imprimés à l’ancienne sous la forme de cahiers cousus ensemble.
L’expression “dématérialisé” est cependant impropre car un fichier numérique est fait de matière bien réelle quoique invisible. Elle a conquis les esprits en concentrant les peurs qu’inspire la matière invisible à l’œil nu, telles les nanoparticules ou les ondes électromagnétiques.
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Cinq ans plus tard cependant, le livre-papier repassait en tête des ventes et, depuis, il n’a cessé de reprendre des forces, en particulier grâce au dynamisme du marché de l’occasion. Du Japon ou de la Corée du sud à l’Europe de l’ouest et aux États-Unis, le constat est le même : contrairement aux prédictions les plus sombres, le livre n’est pas mort.
Ni l’ordinateur portable, ni les liseuses, ni les fichiers numériques n’ont remplacé l’usage du codex apparu au IIe siècle de notre ère. (NdR : Avant de revêtir la forme du cahier ou codex, le livre se présentait en Occident comme un rouleau ou volumen mais d’autres supports, la tablette d’argile, le panneau de bois ou la stèle de pierre avaient été utilisés.)
Alors que la génération Y se caractérisait par un usage immodéré du SMS, le message rédigé à la vitesse d’un éclair par des « petites poucettes » déchaînées (selon l'expression du philosophe Michel Serres, professeur à l’université de Stanford, qui désigna ainsi les adolescentes en train de taper des messages sur leur smartphone. Voir Petite Poucette, Le pommier, 2012.), la suivante, la génération Z préfère transmettre des messages vocaux, annonçant peut-être un changement anthropologique en train de s’accomplir sous nos yeux.
De même que l’écriture à la main a pratiquement disparu, que le calcul mental cède la place aux calculettes des téléphones portables, l’habitude d’utiliser un clavier commence à décroître.
Or en passant de la machine à écrire à l’ordinateur et au téléphone portable, la main avait continué à imprimer à la pensée son mouvement qui renvoyait aux origines de l’humanité et à la fabrication des premiers outils. Si, tout à coup, cet organe dont le préhistorien André Leroy-Gourhan disait qu’il avait fait jaillir la pensée, cesse d’être utilisé dans la vie quotidienne, après avoir considérablement régressé dans l’agriculture et l’industrie, ses conséquences pour le développement de l’intellect seront irréversibles. (voir André Leroy-Gourhan, Technique et langage. Le geste et la parole, Paris, Albin Michel, 1964.)
Or l’intelligence artificielle est venue ajouter un élément de poids à toutes ces mutations, en remplaçant progressivement la tâche du traducteur puis celle du rédacteur d’articles et, bientôt, de l’auteur de livres aisément substituables les uns aux autres. Pis : aujourd’hui, elle s’entraîne en avalant des millions de livres et les ressort, à peine digérés, pour offrir ses contenus à tous ceux qu’attire son faible coût.
C’est dans ce contexte que la progression du livre audio prend tout son sens. En Allemagne, pays de Goethe et de Schiller mais aussi de Thomas Mann, de Bertolt Brecht et de Günther Grass, le nombre de forts lecteurs (plus de 24 livres lus chaque année) est passé de 36 millions en 2013 à 25 millions en 2023, soit une perte d’environ un tiers. À ce rythme, on se demande s’il restera des amoureux du livre au-delà de 2050, et ce malgré la bonne résistance des librairies physiques qui ont trouvé une parade momentanée mais fragile, la hausse des prix du livre-papier.
En Suède, les chiffres sont encore plus alarmants puisqu’en 2024 le livre audio aurait représenté 62 % des ventes de livres, la communauté BookTok du réseau Tik Tok se révélant incapable d’empêcher ce véritable transfert d’un mode de lecture à un autre. Comme pour la musique ou les séries télévisées, c’est d’ailleurs le streaming, l’abonnement, qui en profite le plus. Du coup, les plateformes, telle Spotify, la principale concurrente d’Amazon, s’organisent pour demander à leurs IA d’absorber les catalogues de livres audio disponibles et de les proposer au public et drainer ainsi vers elles de nouveaux clients.
Lorsque le moteur de recherche Google décida de numériser à l’aveugle des bibliothèques contenant des centaines de milliers de volumes, à partir des années 2005-2010, la firme californienne refusa de faire la différence entre livres récents, soumis à la législation sur le droit d’auteur, et livres tombés dans le domaine public.
Les machines utilisées travaillaient de façon automatique, sans intervention humaine chargée de vérifier la date d’expiration du copyright. Présent sur tous les livres-papier, ce dernier protège la propriété littéraire que se partagent l’éditeur et l’auteur. Cette propriété court pendant la vie de l’auteur et cesse 70 ans après sa mort dans les pays de l’Union européenne. Toutefois, si l’écrivain concède son droit patrimonial, son droit moral ne peut être cédé à un tiers et lui permet, comme à ses ayants droit, d’intervenir si son œuvre est mutilée ou censurée.
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Le géant de la Netéconomie plaida le fair use pour demander aux tribunaux d’accorder une exception, à titre pédagogique ou scientifique, à sa bibliothèque à vocation universelle. Des bibliothèques numériques gratuites, Gallica en France, Europeanea en Europe et Digital Public Library of America aux États-Unis, ont vu le jour pour contrer la bibliothèque de Google. Elles respectent le droit d’auteur et ne numérisent que les œuvres tombées dans le domaine public ou « orphelines », c’est-à-dire dont l’auteur est introuvable.
Aujourd’hui, face aux syndicats d’auteurs et d’éditeurs qui l’attaquent en justice, Meta (Facebook plus Instagram), l’empire de Marc Zuckerberg, invoque de nouveau le fair use pour justifier son refus de respecter les lois sur la propriété littéraire.
Pour entraîner son IA, nommée Llama, Meta lui a fait télécharger des millions de fichiers présents dans les catalogues d’Amazon et des autres plateformes de vente en ligne sans que les tribunaux des États-Unis n’y trouvent à redire. Ingérant à la fois des livres papier et des fichiers électroniques, les IA n’éprouveront aucune difficulté à engloutir les livres audio déjà sur le marché, puis, après les avoir rejetés, à en produire elles-mêmes, à partir de voix synthétiques, grâce à leur mémoire prodigieuse.
À ce stade, ce n’est plus la mort du livre qu’il faudrait redouter mais celle de l’écrivain, du créateur, de celui, homme ou femme, qui utilise sa sensibilité et son intelligence pour inventer les œuvres qui, demain, entreront dans les anthologies de la littérature.
Hier présentées sous forme d’épopées (l’Iliade et L’Odyssée), puis de poèmes (de Ronsard ou Du Bellay), de pièces de théâtre (Corneille, Molière et Racine) et de romans (de Balzac à Zola et Musso), les œuvres de l’esprit ont migré sur tous les supports, des rouleaux de parchemin au fichier numérique et au livre audio. Toutefois, à aucun moment, ces changements matériels n’ont menacé l’auteur dans son existence ou son essence.
En 1967-1968, Roland Barthes et Michel Foucault avaient annoncé la mort de l’auteur mais ils visaient le triomphe de l’écriture qui suppose que l’écrivain devienne invisible et cesse d’être une sorte de deus ex machina intervenant en permanence dans le récit. Pour ces deux penseurs, l’auteur était d’ailleurs une construction sociale récente, apparue au XVIIIe siècle, en même temps qu’étaient votées des lois concernant la propriété littéraire.
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En s’attaquant à la rémunération qui a fait émerger cette catégorie sociale, reconnue par des lois et protégée par les tribunaux depuis la fin du XVIIIe siècle, l’IA pourrait bien se révéler comme son véritable fossoyeur. Toutefois cette technologie semble, pour le moment, incapable de créer de nouveaux genres littéraires possédant les qualités requises pour s’imposer.
Par ce biais, le livre conserve ses pouvoirs de séduction, et, puisque le support de la voix cher aux héros du roman d’anticipation Fahrenheit 451 semble en mesure de rallier des publics de plus en plus larges, c’est le livre audio qui, demain, empêchera peut-être l’IA de tout détruire sur son passage.
À la fin du romande Ray Bradbury, qui décrit un État brûlant les livres, les défenseurs de la culture imprimée apprennent par cœur chacun un roman et deviennent ainsi des-hommes-livres dont la voix préserve l’humanité de la barbarie.
À condition toutefois que les comédiens et les acteurs qui enregistrent aujourd’hui ces livres se voient reconnus par les tribunaux la faculté incontestable d’ajouter au texte lu le grain particulier de leur voix, qu’il s’agisse de celle de Louis Jouvet si reconnaissable ou celle de tous ceux qui participent à ce mariage entre le son et l’imagination destiné à produire l’émotion.
Jean-Yves Mollier
Crédits photo : Pexels CC 0
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1 Commentaire
rez
04/07/2025 à 10:50
ce n'est pas que l'article est mauvais, mais le titre évoque des sujets qui ne sont pas du tout développés. Ce qui est triste et en dit long sur la mort de l'Auteur en tant que sujet intellectuellement actif.