Journaliste marocain établi au Canada, Saad Bouzrou vient de publier, à compte d’auteur, son premier roman, La loi du plus fou. Un premier essai romanesque qui traite d’un sujet tabou dans la société marocaine : la superstition. C’est « une interrogation sur ce qui se passe quand la foi devient un instrument de pouvoir et d’asservissement », nous confie-t-il. Quelles ont été les motivations de l’écriture de ce roman ? Pourquoi l’auteur a-t-il opté pour l’autoédition ? Un entretien mené par Karim El Haddady.
Juriste de formation, journaliste de carrière, ayant signé des centaines d’articles pour plusieurs médias francophones marocains, Saad Bouzrou vient d’embrasser le monde de l’édition. Une étape incontournable pour un fou amoureux de Ferdinand Céline, qui vient de publier au Canada son premier roman : La loi du plus fou.
Optant ainsi pour l’autoédition qui, au Maroc, constitue 20 % de l’édition nationale, selon le dernier rapport de la Fondation du Roi Abdul-Aziz Al Saoud pour les études islamiques et les sciences humaines aux termes de l’année 2023-2024.
Ainsi, selon le même document, sur un total de 3209 livres publiés au Maroc en 2024, 643 titres ont été autoédité, par 575 auteurs. Le rapport de 2023, affichait un total de 2986 livres qui ont été publié au Maroc, dont 628 livres ont été auto-publié par 617 auteurs.
Le jeune romancier, natif de Midelt, qui ne lâche pas le journalisme, a choisi l’autoédition, parce que, nous explique-t-il, il avait un « besoin viscéral de publier rapidement, d’écrire, de [se] lire, de recevoir les premiers échos sur [son] style, [son] souffle, [et sa] capacité à tenir un récit ».
Né le 11 avril 1994, Saad a passé ensuite son enfance et son adolescence à Khénifra, où il a obtenu, à l’âge de dix-huit ans, son baccalauréat. Ayant perdu sa mère à l’âge de neuf ans, Saad n’a rien lâché, bien que l’ombre d’une mère décédée ne peut jamais lâcher l’enfant en nous.
De l’université Moulay Ismail de Meknès, Saad a décroché une licence en droit public, avant qu’il ne couronne son parcours académique d’un master en Etudes internationales et diplomatiques de l’université Mohammed V — Souissi, de Rabat.
De fait, « rien ne me destinait au journalisme », confie-t-il à ActuaLitté : Saad y est cependant entré comme on entre dans la religion. De Maroc Diplomatique, en passant par l’Opinion, Maroc Hebdo, H24 ou Le 360, Saad volait d’une rédaction à l’autre, comme une abeille qui se nourrit des mots.
ActuaLitté : Qui est Saad Bouzrou ?
Saad Bouzrou : Grande question. Peut-être un curieux de l’âme humaine, un arpenteur silencieux des blessures invisibles et des petites révoltes ordinaires. En dehors de ces rêveries, j’ai été journaliste au Maroc, aujourd’hui journaliste au Canada.
J’ai toujours été tenté par l’écriture romanesque — non pas avec la prétention d’inventer un style qui ferait pleurer dans les chaumières, les géants comme Louis-Ferdinand Céline, Albert Camus, Romain Gary ou Proust s’en sont déjà chargés — mais avec la volonté simple de raconter, d’imaginer, de prêter une voix aux réalités sociales que j’ai croisées.
La loi du plus fou est né de cette tension intérieure, de cette envie de mettre à l’épreuve ma propre capacité d’inventer. Et en chemin, j’ai été un peu émerveillé par ce que le cerveau, parfois, est capable de produire pour exorciser le monde.
Vous êtes journaliste et vous nouez un lien fort avec la littérature. Si le rôle du journalisme est d’informer, en quoi consiste celui de la littérature ?
Saad Bouzrou : Je ne suis pas journaliste de formation mais de carrière. J’ai étudié le droit et la diplomatie, et rien, à l’origine, ne me destinait au journalisme. Mais j’ai toujours aimé l’idée d’informer autrement, d’éditorialiser l’information, de jouer avec les mots. Les mots sont une arme : on peut, avec eux, édifier ou détruire une perception du monde.
Quant à la littérature, je ne suis pas assez présomptueux pour prétendre en définir l’essence. Mais pour moi, elle reste une bouffée d’air frais dans un monde chaque jour un peu plus anxiogène. Un refuge. Une échappatoire. Elle permet à l’homme de transcender sa condition misérable et miséreuse, d’éclairer, ne serait-ce qu’un peu, les temps ténébreux que nous traversons. C’est peut-être pessimiste, mais c’est surtout réaliste.
Vous venez de publier, à compte d’auteur, au Canada, votre premier roman : La loi du plus fou, qui traite d’un sujet tabou, à savoir la superstition… Pouvez-vous nous en dire plus ?
Saad Bouzrou : Je crois qu’on n’écrit jamais tout à fait par hasard. Ce roman est né d’un besoin profond de revisiter un monde que j’ai connu de près : celui des petits villages où la peur et l’ignorance tissent parfois des drames silencieux.
Enfant puis adolescent, j’ai souvent entendu ces histoires de jnounes, d’exorcismes, de rituels étranges — elles faisaient presque partie du décor naturel. Ce n’est pas un procès contre la foi, non. C’est plutôt une interrogation sur ce qui se passe quand la foi devient un instrument de pouvoir et d’asservissement.
Avec La loi du plus fou, je voulais surtout donner une voix à ces enfants brisés trop tôt, à ces vies étouffées avant d’avoir vraiment commencé. Et je voulais aussi montrer qu’au-delà du malheur, il y a toujours une possibilité de réparation, même ténue.
Ce roman est une fiction, bien sûr, mais il puise dans des vérités humaines que j’ai vues, ressenties, et parfois portées longtemps en silence. Écrire cette histoire, c’était aussi, d’une certaine façon, leur rendre justice.
Pour ce premier roman, vous avez opté pour l’autoédition. L’édition traditionnelle ne vous tente-t-elle pas ?
Saad Bouzrou : Bien sûr qu’elle me tente. Mais, pour ce premier roman, j’avais ce besoin viscéral de publier rapidement, d’écrire, de me lire, de recevoir les premiers échos sur mon style, mon souffle, ma capacité à tenir un récit. Maintenant que le livre a rencontré une réception bienveillante, mon ambition pour le prochain roman est de trouver une maison d’édition qui y croira.
Cela dit, j’ai toujours eu un rapport ambigu avec l’idée que des comités éditoriaux décident de ce qui mérite ou non d’exister. Rappelons-nous que Marcel Proust a été refusé par la NRF de Gallimard en 1912. Que Céline lui-même a vu Voyage au bout de la nuit rejeté avant de devenir l’œuvre qu’on connaît. Étonnant, non ?
Dans ce contexte, le rapport de Fondation du Roi Abdul-Aziz Al Saoud pour les études islamiques et les sciences humaines, sur la situation de l’édition au Maroc, aux termes de l’année 2022-2023, sur un total de 2986 titres publiés, 628 sont publiés aux frais de l’auteur. Comment lire ces chiffres ?
Saad Bouzrou : Ce chiffre ne m’étonne pas. Il illustre surtout une réalité triste : les écrivains au Maroc ne bénéficient pas de l’attention et de la reconnaissance qu’ils méritent. La création littéraire est vivante, oui, mais elle est livrée à elle-même. Dans un pays où la lecture devient presque une pratique élitiste, où les livres se vendent moins qu’un gadget numérique, il est normal que beaucoup prennent leur destin en main à travers l’autoédition.
À LIRE – Le livre au Maroc : un grand état des lieux
Cela montre aussi à quel point il est urgent de repenser l’écosystème du livre, en valorisant les auteurs, en soutenant les éditeurs indépendants, en ressuscitant l’amour du livre dès l’école primaire.
Le rapport soulignait également le taux élevé de publications portant sur le Maroc, s’élevant à 74 %, ce qui réduit l’ouverture éditoriale sur d’autres cultures. Comment encourager la diversité éditoriale au Maroc ?
Saad Bouzrou : C’est un constat juste. Il est vrai que beaucoup d’œuvres tournent autour de thématiques locales. Peut-être est-ce parce que le Maroc est un pays où la richesse des histoires internes est encore largement inexplorée. Mais cela ne doit pas nous empêcher de nous ouvrir.
Encourager la diversité éditoriale commence, à mon sens, par l’éducation. Une école qui forme à la lecture, une école qui cultive la curiosité intellectuelle, fera pousser naturellement des écrivains capables d’embrasser d’autres horizons.
Aujourd’hui, la lecture au Maroc ressemble parfois à une illusion : elle survit chez une poignée d’irréductibles. Mais une nation sans lecteurs est une nation sans mémoire, sans miroir. Il est vital de comprendre que lire n’est pas un luxe : c’est une nécessité vitale, au même titre que se nourrir.
Crédits image : À gauche, Saad Bouzrou. À droite, son roman.
Par Auteur invité
Contact : contact@actualitte.com
Commenter cet article