L'Aube des Etrusques

Bernard Sergent

Dans le sillage du fascinant artiste Alain Daniélou - mais avec une rigueur méthodologique d’un tout autre ordre, et des conclusions bien éloignées -, Bernard Sergent, ancien chercheur du CNRS, s’est fait connaître en démontrant que Dionysos et Śiva, héritiers d’un même dieu des excès et des transgressions, incarnent l’écho d’un fonds religieux indo-européen. Cette fois, il s’attaque à un autre mystère ancien : celui des Étrusques.

Il plonge au cœur d’une controverse certes cantonnée aux milieux des antiquisants, mais toujours vive : celle de l’origine de ce peuple insaisissable du Latium et de la Toscane. Depuis les années 1970, un consensus fragile mais dominant s’est imposé, sous l’influence des archéologues italiens : les Étrusques auraient toujours vécu sur la terre des Médicis et de Monica Vitti. Bernard Sergent, dans son dernier ouvrage L'Aube des Étrusques, défend une autre hypothèse : celle d’une migration tardive. Il démonte l’idée selon laquelle leur langue serait indo-européenne et lui préfère une parenté avec les idiomes du Caucase oriental.

Pour étayer sa thèse, il mobilise les sources antiques, les données archéologiques et linguistiques, et défend l’idée d’une origine maritime, issue des peuples de la mer Égée. Hérodote lui-même, au Ve siècle avant notre ère, affirmait que les Étrusques venaient de Lydie, en Asie Mineure. Denis d’Halicarnasse, qui rejette cette idée, ne s’exprime que quatre siècles plus tard - sans avancer de preuves décisives. Quant aux auteurs latins, tels Tacite, ils évoquaient eux aussi une origine égéenne.

Au-delà de ces récits, l’archéologie et l’épigraphie livrent des indices tangibles. Des stèles portant des inscriptions dans une langue proche de l’étrusque ont été découvertes à Lemnos. La présence attestée des encore plus mystérieux Tyrsènes - précurseurs supposés des Étrusques - se dessine dans le nord de l’Égée et jusqu’aux confins de la mer Noire. Théophraste, le disciple d’Aristote, évoquait encore des Tyrsènes installés à Héraclée, sur la mer Noire, au IIIe siècle avant notre ère.

Premier trait marquant de ce peuple insaisissable, que les Romains baptisèrent Étrusques : leur rapport singulier à la mort. Une cruauté ritualisée, une fascination morbide omniprésente, qui rappelle, comme le dirait Jean-Paul II, une authentique « culture de mort ». Mais à côté de cette face obscure, une modernité troublante dans les rapports entre hommes et femmes : là où les sociétés grecque et romaine reléguaient les femmes aux marges, ils leur accordaient une place visible et active dans la sphère sociale.

Reste l’influence déterminante qu’ils ont exercée sur Rome, malgré la conquête. Leur vision du monde - où le ciel se reflète sur la terre, où les temples découpent un fragment d’univers sacré - a infusé l’architecture, les rites et la cosmogonie romaines. Bernard Sergent insiste sur cet héritage, qui ne s’est pas limité aux frontières de l’Italie.

Car selon certaines hypothèses, l’influence étrusque s’étendrait jusqu’aux fondements de la pensée grecque. Des études reprises par Bernard Sergent suggèrent que le savoir mathématique attribué à Pythagore puiserait en partie ses racines dans cette civilisation tyrsène, elle-même dépositaire de traditions venues d’Orient.

Dans cet ouvrage de 500 pages se dessine, en filigrane, l’image d’un peuple cousin des anciens Minoens, Mycéniens et autres Anatoliens. Dès cette époque, les contours d’une culture commune apparaissent.

La civilisation étrusque ne pourrait se comprendre qu’en l’inscrivant dans ce vaste courant méditerranéen, qui relie les îles, les côtes et, plus loin encore, les plaines fertiles de Mésopotamie. Les similitudes avec les cultures du Tigre et de l’Euphrate témoigneraient d’un héritage ancien, façonné par les échanges et les migrations. De rivage en rivage, l'auteur du Dieu fou tisse les fils d’une généalogie oubliée.

 
 
 
 

Une michronique de
Hocine Bouhadjera

Publiée le
23/06/2025 à 18:04

0 Commentaire

363 Partages

Commenter cet article

 

L'Aube des Etrusques

Bernard Sergent

Paru le 18/04/2025

494 pages

Belles Lettres

35,00 €