Au cœur de Notting Hill, célèbre quartier londonien d'ordinaire haut en couleurs, certaines maisons arborent désormais une façade d'un noir austère. Ce n'est pas un soudain engouement gothique, mais bien la parade trouvée par des riverains excédés : lassés de voir chaque jour des inconnus se presser sur leurs marches pour la photo parfaite, ils ont repeint leurs coquettes demeures pastel en noir dans l'espoir de les rendre moins instagrammables.
Leur rue, prisée pour ses façades arc-en-ciel, était littéralement prise d'assaut : des milliers de personnes y posent chaque année sur les perrons, laissant derrière elles des monceaux de détritus – certains allant jusqu'à escalader les rambardes ou tenter d'entrer dans les domiciles privés.
Sur l'un de ces trottoirs d'ordinaire si photogéniques (souvent pris à tort pour un décor du film Notting Hill), on a même dû accrocher un panneau « Quiet Zone » invitant les visiteurs à baisser d'un ton, tandis que des chaînes barrent désormais certains escaliers pour en interdire l'accès.
Aux yeux des habitants de cette paisible rue résidentielle proche de Portobello Road, la situation est devenue intenable. « C'est vraiment de l’overtourisme invasif sans raison valable. On n'est pas un musée », proteste l'un d'eux, exaspéré de voir sa vie de quartier perturbée en continu.
« Les gens ne comprennent pas que ce sont des maisons où des gens vivent, pas un parc d'attractions », ajoute sa voisine, soulignant que le quartier ne dispose d’aucune infrastructure pour accueillir des foules de touristes. Impossible d’avoir la paix : « Il arrive un nouveau groupe toutes les trente secondes », soupire un résident, « on passerait la journée à leur demander d’arrêter de crier ou de ramasser leurs déchets ».
La nuisance sonore s’ajoute au reste : « Les touristes parlent plus fort que tout le monde. Parfois ils débarquent à soixante-dix ou plus. On se croirait à un match de foot », confie un autre, assommé par le vacarme incessant sous ses fenêtres. Plusieurs riverains, qui travaillent souvent à domicile, peinent ainsi à se concentrer dans le brouhaha ambiant et se retrouvent régulièrement à ramasser gobelets et emballages abandonnés sur leur pas de porte.
Certains influenceurs en quête de likes ne reculent devant rien pour obtenir le cliché parfait. D’après les habitants, on en voit débarquer avec des valises pleines de tenues de rechange, prêts à monopoliser un perron toute la journée pour enchaîner les poses.
D'autres sortent carrément des fumigènes colorés pour pimenter leurs séances photo, et vont jusqu’à planter des tentes sur le trottoir afin de se changer discrètement entre deux séries de poses. Le seuil d'une porte a servi de décor à un photoshoot pornographique, racontent des voisins consternés. Face à de tels excès, certains résidents en viennent à célébrer les rares journées de pluie à Londres : la météo, au moins, dissuade un temps les attroupements devant leurs fenêtres.
Excédés mais loin d’être résignés, les habitants de Notting Hill ont décidé de contre-attaquer avec leurs propres armes : les pinceaux et la peinture.
Sur cette fameuse rue aux façades multicolores, au moins trois maisons ont déjà troqué leurs teintes rose bonbon ou bleu vif contre un noir charbon intégral, jugé nettement moins attirant sur les réseaux sociaux. « C’est clair que les couleurs vives et contrastées de nos façades font accourir les gens pour leurs photos Instagram... L’effet pervers, c’est une explosion de tourisme perturbateur », expliquent-ils dans une lettre qui circule désormais entre voisins.
Et ce, afin d’encourager tout le monde à passer au noir ou à des tons plus neutres. La coquette maison rose aux volets blancs, emblématique de la rue, a été la première à se refaire une beauté en noir. « Cette couleur rend moins bien sur Instagram », ont constaté ses propriétaires, ravis de voir les influenceurs lui préférer d’autres décors plus colorés. À côté, une élégante façade bleu pastel a suivi le mouvement, et certaines portes d’entrée ont même été repeintes en sombre jusqu’à mi-hauteur.
Le quartier tout entier pourrait bien voir noir dans les mois qui viennent. « On essaie de faire changer toute la rue de couleur, affirme un résident mobilisé. Cette teinte ne rend pas aussi bien sur Instagram, alors autant en profiter. » Les riverains ne cachent pas leur soulagement : depuis que les premières façades ont adopté le look black, le manège des photographes semble s’être un peu calmé. Les propriétaires des maisons repeintes constatent qu’il y a « beaucoup moins de monde devant chez eux » et savourent enfin un semblant de tranquillité.
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« On espère bien remettre nos jolies couleurs un jour », précise l’un d’eux, qui assure avoir repeint à contrecœur et uniquement pour protéger sa qualité de vie. Pour l’instant, dès qu’une maison pastel reste visible dans la rue, elle continue d’aimanter les foules et le cauchemar n’est pas totalement terminé.
Reste une question un brin provocante : si toutes les façades du quartier finissent par arborer un uniforme noir, la rue ne deviendra-t-elle pas elle-même un spot insolite pour les chasseurs de selfies ? L’ironie n’échappe à personne, tant la popularité de Notting Hill semble capable de se réinventer.
Si Notting Hill est aujourd’hui victime de son succès, c’est que le quartier n’a jamais cessé d’attirer l’attention du monde entier. Le film Notting Hill, tourné en 1999, avec Julia Roberts et Hugh Grant, dans le rôle du libraire amoureux, a propulsé ces ruelles paisibles sous les feux de la rampe, les rendant célèbres malgré elles. Ce succès romantique continue, bien malgré lui, d’envoyer des cohortes de visiteurs en pèlerinage sur les lieux emblématiques du tournage.
La fréquentation a encore été amplifiée par les plateformes en ligne : vidéos virales sur TikTok, listings de la rue comme « attraction touristique » sur Google Maps… Les riverains pointent du doigt le rôle démultiplicateur des réseaux sociaux dans cette folie photographique récente.
Cet engouement touristique n’a pas que des inconvénients. Chaque semaine, des milliers de curieux arpentent Portobello Road et son marché légendaire, alimentant les pubs, boutiques vintage et échoppes d'antiquaires du coin.
L’économie locale profite indéniablement de cette affluence internationale. « Nous sommes ravis d’accueillir des visiteurs du monde entier, mais qu’ils respectent les habitants qui vivent ici. Notting Hill n’est pas qu’une destination touristique, c’est aussi une communauté où chaque porte colorée abrite un foyer bien réel », rappelle ainsi un élu du district de Kensington & Chelsea, soucieux de préserver l’équilibre entre l’attrait du quartier et la qualité de vie de ses résidents.
Concilier la renommée mondiale de ces jolies rues et la tranquillité des riverains relève d’un délicat exercice d’équilibriste. Les façades de Notting Hill ont beau changer de couleur, l’histoire d’amour entre ce quartier et les photographes en quête du décor parfait, elle, est loin d’arriver à son générique de fin.
REtrouver le reportage de France TV :
Crédits photo : extrait du film Coup de foudrrrrrrrrre à Notting Hill
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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