Les manifestations vivent de sombres heures, frappées parfois sévèrement dans leurs financements. Déjà en avril dernier, un collectif réunissant une centaine d’événements liés au livre tirait la sonnette d’alarme. L’Agence régionale du livre des Hauts-de-France conviait les organisateurs d’événements à une journée de concertation.
Le 20/06/2025 à 17:50 par Nicolas Gary
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20/06/2025 à 17:50
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Cette alerte rouge que cosignaient Club 99, la Fédération des festivals BD et arts associés et la Fédération des Salons et Fêtes du livre de jeunesse était limpide : « Nous sommes peu à peu asphyxiés par une stagnation ou une érosion des soutiens publics depuis une dizaine d’années. »
François Annycke, directeur de l’AR2L pointe « l’essoufflement des équipes organisatrices, les limites d’un modèle aujourd’hui à bout de souffle ». En sollicitant les acteurs territoriaux, son agence a produit une première enquête, mais plus encore, l’objet était de réunir des points d’achoppements, pour discuter concrètement avec les partenaires financeurs — DRAC, Sofia, CNL ou Région.
Objectif : renouer un dialogue fécond entre les réalités de terrain et les grandes orientations publiques.
Présentée par Marie Meyer-Vacherand, Chargée de mission Rayonnement & Territoire pour l’AR2L, l’étude représente 10 % des manifestations des Hauts-de-France. « Une base de réflexion, qui exprime un ressenti largement partagé », indique-t-elle.
La majorité des événements se tiennent au second trimestre et bénéficient de soutiens institutionnels variés, principalement départementaux et communautaires, mais peu du CNL ou de la Sofia. Les financements sont hétérogènes, avec des budgets allant de 200 à 800.000 €. La médiane, fixée à 14.000 €, souligne une précarité structurelle.
Seuls deux événements disposent de postes salariés dédiés : la plupart reposent sur des agents de collectivités ou des prestataires. Le bénévolat, variable d’un événement à l’autre, reste indispensable, mais s’érode. Cinq structures signalent des menaces immédiates sur l’emploi. La rémunération des auteurs et autrices est globalement assurée, selon les grilles de la Charte ou du CNL, même si quelques événements ne couvrent que les frais.
Les fréquentations sont stables ou en légère hausse, mais cela ne suffit pas à contrebalancer la fatigue des équipes et les baisses de subventions. Les principales difficultés concernent les finances, la mobilisation de nouveaux publics et la lourdeur administrative. S’y ajoutent des inquiétudes liées à l’évolution du secteur et à la difficulté d’adapter les formats aux pratiques actuelles.
« L'étude appelle à repenser les politiques culturelles régionales, en intégrant les enjeux écologiques et en renforçant le lien entre institutions et acteurs de terrain » reprend François Annycke, à l'attention des personnes présentes.
Pour Élise Viguier, co-présidente de la Fédération des salons et fêtes du livre de jeunesse et directrice de l’Action culturelle à la ville d’Eaubonne, qui organise un festival du livre jeunesse, les constats s’opèrent souvent sur les mêmes bases : « Les coûts augmentent, du fait d’inflations diverses, des obligations et normes de sécurité qui sont des dépenses incompressibles. » Et de redouter qu’à l’avenir, avec la rémunération obligatoire des auteurs, les plateaux d’invités « ne deviennent des variables d’ajustement ».
Toute la question est alors de s’adapter à une hausse des coûts, alors que les aides au mieux stagnent, voire diminuent drastiquement.
Des solutions ? Tout un chacun en cherche, sur la base des difficultés que rencontre son événement — du manque de visibilité sur les aides à venir aux sentiments de désengagement des collectivités, en passant par l’épuisement des bénévoles, sans lesquels, bien souvent, rien ne serait possible. « On nous demande une fréquentation en hausse, sans quoi la collectivité se désengagerait », assure l’une des organisatrices. Mais comment attirer plus de visiteurs, quand les moyens demeurent à budget constant, permettant tout juste de maintenir ce qui était proposé l’année passée.
« Comment construire un projet pérenne quand les financements sont mis en péril chaque année ? En parallèle, on lit dans l’étude du CNL que les lecteurs désertent les livres : face à cette érosion, les manifestations seront-elles sanctionnées, comme moins attractives, ou soutenues pour lutter contre ce désengagement ? », s’interroge une autre.
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Chacun ses propres préoccupations, mais tous partagent une même inquiétude : l’avenir. Une matinée de partage, d’échange, pour aboutir à des problématiques identifiées que l’AR2L présenterait par la suite à la Sofia, la Région, au CNL et la DRAC. Pas de chance, seuls les deux premiers ont répondu présents.
Face aux intervenants de la matinée, Geoffroy Pelletier, directeur général de la Sofia, et Cécile Hautière, chargée de mission Livre et Lecture au Conseil régional ont apporté quelques réponses, dressant un constat passablement similaire.
Geoffroy Pelletier a rappelé d’emblée que suite aux Etats généraux des festivals et salons du livre la question de la légitimité des festivals ne se posait plus. Ceux-ci participent pleinement à la chaîne du livre, tant sur le plan culturel que professionnel. Mais leur diversité va de pair avec une grande fragilité. « On leur demande de faire aussi bien, sinon mieux, avec des coûts décuplés », a-t-il résumé, pointant les hausses liées à la sécurité, aux cachets des auteurices, à la technique et aux frais généraux, alors que les subventions, elles, stagnent voire diminuent.
La majorité des aides publiques repose sur la condition d’inviter des auteurs — une demande exprimée aussi par les collectivités — mais cette exigence renforce la pression budgétaire. « Même lorsqu’on n’invite personne, l’organisation coûte cher. Quand on invite, c’est encore plus », a-t-il souligné. Il plaide pour une approche réaliste : « Inviter moins pour inviter mieux », tout en évitant l’écueil d’une programmation figée autour des mêmes têtes d’affiche.
Cécile Hautière a complété cette analyse en apportant le point de vue régional. Selon elle, la situation des Hauts-de-France est paradoxale : sous-dotée en nombre de manifestations littéraires selon le diagnostic du CNL, elle n’en abrite pas moins un foisonnement d’initiatives locales. Beaucoup, cependant, ne répondent pas aux critères actuels d’éligibilité, ce qui appelle à un travail de sensibilisation et de clarification.
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La Région, a-t-elle précisé, n’a pas stoppé son soutien aux festivals déjà accompagnés. Des ajustements ont été opérés dans l’évaluation des projets, avec une attention accrue portée à la qualité des programmations, au renouvellement des formes et à l’accessibilité des publics. Elle a évoqué la volonté politique de s’engager davantage sur le registre du « plaisir de lire », notamment en développant des actions ciblées vers des publics très diversifiés.
Pelletier a ensuite insisté sur une tension de fond qui traverse aujourd’hui les politiques de soutien : faut-il aider les festivals existants à se pérenniser, ou accompagner de nouvelles formes ? La Sofia, qui distribue 4 millions d’euros chaque année sur l’ensemble du territoire, n’a ni la vocation ni la capacité à compenser un désengagement local. « Nous sommes un soutien complémentaire, pas une subvention décisive », a-t-il insisté.
Il alerte sur les limites du « saupoudrage » : aider un trop grand nombre de structures de manière marginale revient parfois à n’en aider véritablement aucune. Dans ce contexte, le rôle des agences régionales du livre est essentiel : elles doivent permettre une vision partagée du terrain, pour éviter de se tromper lorsqu’il faudra faire des choix.
Pour conclure, Geoffroy Pelletier a formulé un souhait clair : « Disposer enfin d’un état des lieux fin et segmenté de l’écosystème des festivals, en distinguant les modèles économiques selon les porteurs (collectivités, librairies, bibliothèques, etc.), et en documentant leur impact réel, tant sur l’économie locale que sur les pratiques de lecture. » Un modèle de données consolidées, en somme.
Une telle étude, encore inexistante à l’échelle nationale, permettrait d’objectiver les arbitrages, d’adapter les aides, et de faire valoir la place des manifestations littéraires au même titre que d’autres secteurs culturels mieux dotés.
Cécile Hautière a souligné que la Région Hauts-de-France commence déjà à intégrer de nouveaux critères, notamment en matière d’écologie (empreinte carbone, sobriété logistique), dans le cadre de la dynamique actuelle. Elle insiste sur la nécessité d’accompagner ce virage en sensibilisant les porteurs de projets, sans sacrifier la richesse territoriale de l’offre littéraire.
Alors quid ? Repenser les actions, les financements, ou plus largement la place des salons et festivals dans la société ? « Combien d’heures de travail invisibles pour trois jours de visibilité ? » Aujourd’hui, les festivals et salons du livre sont souvent considérés par les financeurs comme des événements ponctuels et évalués au cas par cas, sur des projets annuels à déposer, souvent avec des critères fluctuants ou orientés.
Ils ne bénéficient ni de la régularité, ni de la sécurité, ni de la reconnaissance statutaire qu’implique une infrastructure culturelle de proximité.
Les envisager comme telles affirmerait que les manifestations jouent un rôle structurel : il ne se contente pas d’animer, il lie des bibliothèques, des librairies, des auteurs, des enseignants, des bénévoles et des publics éloignés du livre. Il entretient un lien régulier avec les populations, parfois mieux que d’autres équipements culturels permanents.
De quoi dépasser des questions idéologiques, pour aborder un enjeu structurel des politiques publiques actuelles (centrées sur la logique de projet et de rentabilité immédiate). Et d’interroger également le rôle démocratique des festivals littéraires : un lieu de débat, d’éducation artistique, d’inclusion.
En sortant de ce point d’orgue qu’incarne l’événement sur les 2, 3 ou 4 journées qu’il dure, on soulignerait combien l’organisation mobilise plusieurs mois de préparation, une équipe en activité quasi permanente, un travail de maillage avec les écoles, les bibliothèques, les librairies, les auteurs, les bénévoles, les financeurs, etc.
L’idée d’« infrastructure culturelle de proximité » prendrait alors tout son sens : non pas au regard de la durée visible de l’événement, mais au regard de sa fonction réelle dans l’écosystème local.
Car si toute manifestation est ponctuelle, mais l’activité qu’il génère est structurelle. Le déséquilibre, c’est qu’il est financé et reconnu comme un événement, pas comme un maillon culturel permanent. On en parle ?
Crédits photos : Rendez-vous de la bande dessinée d'Amiens 2025 - ActuaLitté CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
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7 Commentaires
Romain
20/06/2025 à 23:34
Le secteur public est beaucoup trop développé en France, et malgré des prélèvements fiscaux et sociaux exorbitants, on a l'impression que l'argent manque toujours.
Créer une énième structure n'est pas une solution mais une aggravation du problème.
Il devient nécessaire que les financeurs institutionnels arrêtent leur politique clientéliste, opèrent un tri draconien et se concentrent sur les attentes du public.
Il faut sans doute aussi se calmer sur les normes et les modes du moment (empreinte carbone, sobriété logistique...). Si ces points doivent devenir prégnants, au point de ressembler au noeud de Gordios, ça peut être vite vu : on arrête tout, et les gens restent chez eux devant la TV !
La marche du monde devient extrêmement pénible, surtout pour les hommes de bonne volonté...
Ninja
21/06/2025 à 07:45
Il est intéressant de noter comment les auteurs sont avant tout considérés comme un coût :
« l’organisation coûte cher. Quand on invite, c’est encore plus »
Il est encore plus intéressant de noter que le mot même d’ « éditeur » a disparu du discours bureaucratique alors qu’ils sont les seuls à dépenser leurs propres ressources ( un éditeur à Angoulême il dépense combien ?)
Notons enfin que s’il s’agit de faire venir localement des auteurs de best sellers « plaisir de lire » nul besoin de fonctionnaires ou de volontaires épuisés, les libraires feront très bien l’affaire, comme c’est le cas au Japon, aux US ou en Allemagne.
Parce qu’au final si l’état est en faillite, à tout prendre vaut mieux encore fermer les salons et les agences régionales du livre que l’hôpital, la littérature s’en sortira.
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21/06/2025 à 08:33
J'habite une ville où un salon de la moto était organisé régulièrement.
Depuis le Covid, plus rien.
Ce salon était une fête sympa pour le public. Occasionnait-il beaucoup de ventes ? Pas sûr, même d'après les concessionnaires eux-mêmes. Mais, paradoxalement, ils n'auraient pas voulu en être absents.
Depuis son arrêt, je n'ai vu aucun magasin de motos fermer.
En revanche, les concessions organisent toujours des motos-tour, permettant au public d'essayer les modèles de la marque, quelques jours dans l'année.
Mon avis est donc que ces manifestations sont des salles d'apparat où les seigneurs locaux étalent leur magnificence, sans aucune incidence sur la bonne santé financière des invités.
Donc oui, vous avez raison. Comme pour mon salon de la moto, une disparition de ces manifestations n'aura aucun impact sur la littérature.
rez
21/06/2025 à 14:48
non les librairies ne peuvent malheureusement pas se remplacer aux collectivités. Elles ne peuvent pas brasser des publics éloignés comme les mairies et agglomérations. et la lecture ne doit pas se cloisonner aux activités privés commerciales.
Ismaël
23/06/2025 à 11:41
Ninja : vous écrivez « Il est intéressant de noter comment les auteurs sont avant tout considérés comme un coût... » VOUS soulignez ce point... en estimant qu'ils sont « avant tout » considérés ainsi, ce n'est pas dit de la sorte dans l'article. Vous introduisez donc un biais, de votre seul fait. Par ailleurs, navré de vous contredire, mais lorsque n'importe qui établit un budget, pour n'importe quoi, TOUTE dépense est considérée comme un coût ! Allez expliquer à un comptable qu'une dépense doit être considérée différemment pour une question « morale »..., il va vous rire au nez. Une dépense est une dépense, point. Donc, oui, comme lorsque vous organisez un festival de musique, le cachet des artistes fait partie des coûts, au même titre que le matériel audio et vidéo nécessaire au spectacle... Si l'artiste est seul sur scène devant des milliers de personnes, sans son, sans lumière, sans techniciens... il peut toujours s'époumonner dans le vide, ça ne donnera rien. Même chose dans un festival littéraire, le technicien derrière sa console audio qui règle les micros, le prestataire qui a loué le matériel, les tables, les chaises, le personnel de la ville payé en heures supplémentaires pour installer tout cela sur une scène ou dans une salle, l'essence de la voiture qui a conduit l'auteur de la gare au salon, le tee-shirt siglé que porte le bénévole de la manifestation, la bouteilel d'eau que l'auteur va boire pendant sa rencontre ou sa dédicace, etc, etc, tout cela a un coût, entre dans un budget, fait partie des dépenses de l'organisation, tout comme le cachet de l'auteur présent... ne vous en déplaise, cher Ninja, personne ne vit d'amour et d'eau fraîche, certainement pas les auteurs, mais pas non plus tous les autres acteurs et entreprises nécessaires à la présence du créateur devant ses lecteurs/trices visiteurs/trices... Quant à l'inutilité, selon vous, des bénévoles ou des fonctionnaires au service des manifestations, qui peuvent à vous entendre être tous simplement remplacés par des libraires, mais allez-y, je vous en prie. Demandez aux libraires de se charger de l'organisation, de l'accueil, de la restauration, du logement, du transport des invités, mais aussi des prestataires techniques, des relations avec la mairie du coin, de l'installation des stands, des branchements électriques, audio, lumière, des normes de sécurité, de la filtration des publics, des dossiers de subventions, des recherches de mécénat privé, de la rémunération des auteurs invités, des déclarations administratives, de la gestion de l'URSSAF auteurs, des droits à l'image, des droits photos à vérifier, de la communication, de la gestion de l'impression des programmes, de la diffusion, de la distribution des outils de communication, de la création du site de la manifestation, du relais permanent sur les réseaux sociaux, etc. etc... bref, je suis persuadé que tous les libraires de France serons ravis de réaliser bénévolement tout ce travail, partant du principe que le formidable chiffre d'affaires qu'ils feront sur le salon leur permettra de faire tout cela les doigts dans le nez, ou en prenant sur leur temps libre... C'est formidable, le « y'a qu'à faut qu'on »... ! Quant à la littérature qui s'en sortira..., je suis certain aussi que tous les auteurs et autrices seront ravis lorsqu'à vous suivre salons et festivals auront disparu et qu'ils ne toucheront plus aucune rémunération pour les rencontres scolaires, les débats et échanges, les spectacles et lectures qu'ils produisaient. Cela va grandement arranger leur situation qui est déjà des plus précaire. Vous avez des idées extraordinaires. Sans doute êtes-vous un grand fan de Christelle Morançais ! Continuez...
Ben non !
24/06/2025 à 07:43
"Par ailleurs, navré de vous contredire, mais lorsque n'importe qui établit un budget, pour n'importe quoi, TOUTE dépense est considérée comme un coût !"
Notions très différentes, en comptabilité justement.
Ou quand la gauche illibéralle prétend donner des leçons d'économie alors qu'elle n'y comprend rien !
Raoul Douglas
24/06/2025 à 16:27
Pour les personnes voulant en savoir plus sur le mépris de Madame Hautière concernant les auteurs autoédités c'est ici : https://www.youtube.com/watch?v=Bx_K6s1WGkc