Casino Venier Venise : l’histoire d’un des premiers casinos

Sous les ors discrets d'un ancien palais vénitien, au bord d'une ruelle paisible, l'un des premiers casinos d'Europe conserve les traces d'une société raffinée, friande de culture et de jeux d'esprit. L'ouvrage collectif Casino Venier Venise, publié en 2021 aux Éditions Serge Safran, revient sur l'histoire singulière de ce lieu méconnu, aujourd'hui si présent dans l'imaginaire littéraire.

Le 24/06/2025 à 15:09 par Auteur invité

| 44 Partages

Publié le :

24/06/2025 à 15:09

Auteur invité

44

Partages

Partager cet article sur Bluesky Partager cet article sur Mastodon Partager cet article sur Linkedin Partager cet article par mail Imprimer cet article
ActuaLitté

Avant de devenir un mot qui évoque immédiatement machines à sous et tapis verts, le terme "casino" désignait en Italie un petit palais ou une maison de plaisance, généralement réservée à des rencontres sociales, musicales ou politiques. À Venise, la république marchande au rayonnement culturel inégalé au XVIIIe siècle, ces "casini" prolifèrent dès la fin du XVIIe siècle. Ils accueillent les élites de la ville, les voyageurs fortunés, les diplomates et les artistes en quête d'inspiration et de sociabilité.

L’un des plus anciens casinos ouverts au public en Europe voit le jour à Venise en 1638. Situé dans le quartier de San Moisè, il se distingue par sa dimension publique, contrastant avec l'intimité des autres casini. Ce modèle, hybride entre maison mondaine et lieu de jeu réglementé, préfigure les grands établissements du XIXe siècle, sans compter la forme plus moderne du casino en ligne italien. Venise devient ainsi le berceau de pratiques culturelles et ludiques où se croisent intrigue, divertissement, politique et art.

Le Casino Venier : un lieu discret, chargé d'histoire

Parmi ces maisons de plaisance, le Casino Venier occupe une place à part. Situé dans le sestiere de San Marco, entre le Grand Canal et le théâtre de la Fenice, il ne présente aucune facade monumentale. L'accès s'effectue par un petit escalier à peine signalé. C'est pourtant dans ces murs que la société vénitienne du XVIIIe siècle aimait se retrouver, loin des regards, autour de cartes, de partitions, de vers et de manuscrits philosophiques.

Le lieu échappe aux fureurs du temps. Les décors, préservés, offrent aujourd'hui encore aux visiteurs une plongée dans l'intimité d'une Venise savante et raffinée. Boiseries, miroirs, stucs, plafonds peints, alcôves feutrées racontent une histoire de goût, de réserve, mais aussi de liberté. Depuis plusieurs décennies, le Casino Venier accueille les activités de l'Alliance française de Venise. Lieu de culture, il continue de favoriser les rencontres, sous une autre forme.

Un ouvrage collectif pour redonner vie aux fantômes

En 2021, les Éditions Serge Safran publient un livre singulier : Casino Venier Venise. Ce volume collectif, richement illustré, réunit une quinzaine d'écrivains, historiens, poètes et conteurs. Chacun a reçu la consigne d'imaginer ou d'évoquer une scène, un personnage, un souvenir lié à ce lieu fascinant. Loin d'un ouvrage purement historique, le livre oscille entre fiction, mémoire, rêvîrie et documentation.

Marie-Christine Jamet, qui coordonne l'ensemble, signe une préface subtile, où le raffinement de la langue répond à la délicatesse du sujet. Parmi les auteurs réunis figurent des voix reconnues de la littérature contemporaine : Philippe Claudel, Paul Fournel, Dominique Pagnier, Dominique Paravel, Marc Pautrel, Lucien d'Azay ou encore Dominique Muller. Tous livrent des textes courts, ciselés, qui, ensemble, esquissent le portrait d'une Venise feutrée, à la fois tangible et évanescente.

Jeux d’esprit et fragments d'âmes

On ne trouve pas dans Casino Venier Venise de récit linéaire. L’ouvrage fonctionne comme une promenade. Chaque contribution propose un arrêt, une respiration. Claire Arnot, par exemple, explore les silences du lieu en s’inspirant des archives de l'Alliance française, tandis que Gabriella Zimmermann imagine une visite impromptue d’Italo Calvino. Michèle Teysseyre déroule une méditation sur les miroirs vénitiens et la manière dont ils démultiplient les figures du passé.

Le texte de Philippe Claudel, bref mais marquant, se déploie autour d’une scène muette, presque suspendue, où les bruits de la ville filtrent à peine. Alain Sagault, de son côté, joue sur les paradoxes entre lumière et secret, entre histoire et désir d’oubli. Le Casino devient alors un prisme, un point d’évaporation du réel, à la frontière entre architecture et rêve.

/uploads/images/venice-4785972-1280-68540bb3b1524671749618.jpg

Une cartographie sensible de la mémoire

Le fil conducteur du recueil, c'est bien sûr le lieu. Mais les textes forment aussi une sorte de cartographie sentimentale de la mémoire vénitienne. On croise des figures disparues, des ombres de visiteurs imaginaires, des fragments de rêves que seule une ville comme Venise sait inspirer. Le choix des illustrations, confiées à plusieurs photographes et artistes, prolonge cette impression d'intemporalité.

Stéphane Héaume livre un texte presque musical, où les noms des salons, les motifs des tapis et les reflets sur le parquet composent une partition secrète. Dominique Pagnier, plus lyrique, convoque les fantômes de Casanova, les soupirs d’un opéra absent, les senteurs de cuir et d’ambre. Le recueil joue ainsi des registres, navigue entre les rives de la fiction historique et celles du journal poétique.

Une Venise à contre-jour

Loin des clichés touristiques, ce livre invite à découvrir une Venise de l’intériorité, des apartés et des seuils. Le Casino Venier, par sa taille modeste, par son absence d'ostentation, se prête à cette introspection collective. Il devient le prétexte à une exploration du temps, de l'identité, de la mémoire. En cela, l’ouvrage collectif touche quelque chose de profond. Il montre que l’architecture ne se résume pas aux pierres ni aux plans, mais qu’elle réside aussi dans l'épaisseur du regard posé sur elle.

Lucien d'Azay signe un texte en forme d’élégie, mêlant souvenirs réels et impressions rêvées, dans une langue qui rappelle parfois celle de Proust. Paul Fournel, plus mordant, s’amuse de la lenteur du lieu, de la manière dont il suspend les gestes et les mots. Dominique Muller convoque l'histoire vénitienne sous l'angle de la survivance : les lieux persistent, les voix changent, mais une même présence demeure.

Une édition raffinée au service d’un lieu rare

Les Éditions Serge Safran ont soigné la fabrication de ce volume de 208 pages, vendu 22,90 €. L'impression, le choix du papier, la reproduction des visuels, tout participe à l'expérience de lecture. On y entre comme dans un salon vénitien : en abaissant la voix, en prenant le temps. Le format, la mise en page, l'équilibre entre texte et image créent une atmosphère propice à la rêverie.

Cet ouvrage ne se classe pas facilement. Ni guide, ni récit, ni anthologie au sens strict. Il emprunte à plusieurs formes littéraires, ce qui le rend difficile à définir, mais d'autant plus riche. Le lecteur curieux de Venise, le passionné d'histoire de l'art, l'amateur de formes brèves y trouvent chacun un écho.

Une invitation à la lenteur et à l'écoute

À travers ce livre, c’est une certaine idée de la culture qui se dessine. Celle qui ne cherche pas à convaincre, mais à suggérer. Celle qui repose sur l'échange discret, sur la saveur d'une langue travaillée, sur l'attention aux détails. Le Casino Venier, aujourd'hui si discret, devient grâce à ces pages une métaphore de l'écriture elle-même : un espace où l'on entre sans bruit, où l'on reste, peut-être, plus longtemps que prévu.

Venise conserve ses secrets mieux que toute autre ville. Ce livre en révèle un, avec élégance et mesure. Casino Venier Venise n'est pas un simple hommage, c'est une réinvention littéraire d'un lieu hors du temps.

Crédits illustration Pexels CC 0

 
 
 
 
 

 

 

 

Par Auteur invité
Contact : contact@actualitte.com

Commenter cet article

 

Plus d'articles sur le même thème