Le 16 juin 2025, à la mairie du 16ᵉ arrondissement de Paris, le tout nouveau Prix du Livre Humaniste Muma a été remis à la journaliste et autrice Delphine Minoui pour son roman Badjens, publié aux Éditions du Seuil.
Créé en 2020 par Isabelle Vitte-Blanchard, Muma (Mouvement humaniste, Utile, pour Mobiliser et Agir) entend promouvoir un humanisme lucide et engagé, à rebours des postures clivantes. Pour cette première édition, le processus de sélection s’est appuyé sur un réseau de cinq librairies situées à Paris, Marseille, Angers, Lille et Londres, qui ont proposé une liste de quatre finalistes.
Un jury citoyen, composé de quinze lecteurs tirés au sort, a ensuite départagé les titres en lice à l’issue d’un mois d’échanges.
On y suit une adolescente de 16 ans qui, dans un geste de défiance, grimpe sur une benne à ordures pour brûler son foulard en public. La lauréate racontait récemment : « Je me souviens comme si c’était hier de Nika Shakarami, 16 ans, qui après la mort de Amini a brûlé son voile en public. Cette image m’a hanté pendant des nuits : comment une si jeune femme a pu marcher vers la mort avec tant que courage pour le droit d’être en vie, d’être une femme. »
Elle, comme plein d’autres, n'est plus là pour raconter cette histoire, alors elle s'est appuyée sur ce qu'offre la fiction pour se glisser dans ses mots/maux, raconter ce cri de colère et de courage. « Elle et tous les autres sont symbolisés par mon personnage de Badjens, effrontée, impertinente : il y a toutes les Iraniennes derrière ce nom, mais aussi toutes celles et ceux qui se battent à travers le monde. C’est aussi Fatima Hassouna qui vient d’être tuée par un drone israelien, l’écrivaine ukrainienne Victoria Amelina tuée dans les bombardements russes, les jeunes filles en France victimes d’inceste, celles qui sont obligées de se voiler sous la pression des pères, des frères. Elles se battent dans l'ombre. Je reçois des messages de jeunes femmes sur Instagram qui me confient, « Moi aussi. » C’est là toute la puissance de la littérature : offrir une voix à celles qu’on n’entend pas, raccommoder les silences, et faire résonner l’intime dans le collectif. »
Pour son éditrice, Nathalie Fiszman, « le succès de Badjens tient à cette alchimie rare : un livre qui raconte la révolte iranienne de 2022, mais dont la portée est profondément universelle. » Elle assure : « J’avais déjà perçu, dans son précédent ouvrage publié au Seuil sur une bibliothèque clandestine en Syrie (Ndr : Les Passeurs de livres de Daraya), ce talent incroyable qu’a Delphine Minoui pour raconter la vie quand tout devient urgent, quand l’instant devient essentiel. Elle a cette capacité à saisir l’intime dans l’histoire, à toucher ce qui relie au-delà des frontières. Avec Badjens, elle va encore plus loin. Elle a travaillé pendant deux ans, menant une enquête d’une précision et d’une richesse exceptionnelles. »
Grâce à ses connexions en Iran, où elle a vécu dix années, Delphine Minoui a eu accès à des échanges personnels, à des blogs, ou des confidences précieuses : « Elle a patiemment rassemblé des histoires vraies pour tisser le récit de cette adolescente, avec sa liberté intérieure, ses ambivalences, ce qu’elle écoute dans sa chambre, les réactions à l’école, les sorties imposées… Elle capte tout, avec justesse, sensibilité et respect », décrit l'éditrice.
Aux côtés de Badjens, figuraient Propre d’Alia Trabucco Zerán (10/18), La Longe de Sarah Jollien-Fardel (Sabine Wespieser) et Emma Picard de Mathieu Belezi (Le Tripode). La cérémonie s’est tenue en présence de l’autrice, de la maison d’édition et des membres du jury. Elle a été ponctuée d’un échange nourri entre Delphine Minoui, Charles-Antoine Schwerer, président du jury, et les adhérents du mouvement.
À travers ce prix, Muma cherche à replacer la responsabilité individuelle et l’altérité au cœur du débat public. Un objectif assumé, dans une époque où les récits de résistance et de transformation intérieure résonnent comme des contrepoids indispensables aux discours fatalistes.
Crédits photo : HenriDavel, CC0
Par Dépêche
Contact : depeche@actualitte.com
Paru le 19/08/2024
160 pages
Seuil
18,00 €
Commenter cet article