Fin 2018, Héloïse d'Ormesson confiait au micro de RTL : « Mon père souhaitait qu’on donne ses manuscrits à la Bibliothèque Nationale de France, ce qu’on va faire. » Sept ans plus tard, ce 26 juin, son souhait a finalement été exaucé : une soixantaine de chemises cartonnées, garnies de ses manuscrits littéraires et de sa correspondance, rejoindront les collections de la BnF, où elles seront désormais conservées, inventoriées et accessibles aux chercheurs, comme au grand public.
Le 20/06/2025 à 18:46 par Hocine Bouhadjera
1 Réactions | 218 Partages
Publié le :
20/06/2025 à 18:46
1
Commentaires
218
Partages
Et très important, numérisées : « Il écrivait ses livres au crayon à papier », rappelle Héloïse d'Ormesson : « Emmanuel Macron a déposé un crayon à papier lors de ses obsèques, comme un clin d’œil à cette habitude fidèle. » Plus précisément, il écrivait au crayon à papier pour ses livres, et au Tempo à encre bleue pour ses chroniques.
« On m'a raconté qu'enfant, j’ai appris à reconnaître ce qu’il écrivait rien qu’à sa posture et à son outil : quand il rédigeait peu et restait, crayon à la main, penché en silence sur sa feuille, c’est qu’il travaillait à un livre. En revanche, lorsqu’il se mettait à écrire frénétiquement avec son Tempo bleu, c’est qu’il rédigeait un article - un exercice plus immédiat, plus impulsif, souvent dicté par l’urgence de l’actualité », partage avec nous sa fille, avec nostalgie.
Aujourd’hui, ces manuscrits sont en bon état, mais l'éditrice sait combien le crayon à papier est fragile. Sa mine s’estompe avec le temps : « C’est pourquoi il est essentiel qu’ils soient numérisés sans tarder. Même ceux écrits au Tempo doivent être conservés dans de bonnes conditions. Nous avons pris soin d’installer un humidificateur : tout est réuni pour que ces traces demeurent vivantes, et accessibles. »
Mais pourquoi avoir attendu sept ans entre l’annonce du souhait de son père de confier ses manuscrits à la BnF, et sa concrétisation ? Héloïse d'Ormesson raconte : « Lorsque je réalisais cette annonce, à l'occasion de la parution de son livre testament et posthume, Un hosanna sans fin, nous étions près d'un an après sa disparition. À ce moment-là, tous ses papiers étaient encore chez mes parents, à Neuilly, où ma mère vit encore. Il fallait que je m’y rende pour commencer à trier, à classer, à repérer les documents. Rien n’était encore prêt. Je ne parlerais pas d’intrusion, mais il fallait, je crois, une forme de latence. Cela me paraissait encore prématuré, presque trop intime. »
Jean d'Ormesson écrivait tout à la main, sans machine, sans ordinateur : des textes souvent non archivés, conservés dans un grand désordre : « Pour certaines œuvres, il existait plusieurs versions, des moutures successives, des épreuves, des épreuves corrigées », se souvient sa fille.
C’est seulement en 2022-2023 que les choses ont véritablement commencé à bouger : « Ma mère a commencé à me dire, il faudrait contacter la BnF, faire la démarche nécessaire. » Elle se tourne alors vers Charles-Éloi Vial, conservateur à la BnF, qui s'est tout de suite impliqué : « Ce temps, que j’avais cru perdu ou repoussé, s’est finalement révélé nécessaire pour accompagner ce passage. Lorsque je me suis excusée auprès des équipes de la BnF d’avoir mis autant d’années à accomplir cette démarche, ils m’ont répondu que c’était assez classique : il est fréquent que les familles aient besoin de temps pour se lancer dans ce travail de transmission. »
Parmi les trésors intimes et parfois inattendus que recèlent les archives de Jean d'Ormesson, ses copies d’hypokhâgne et de khâgne, son carnet du service militaire, des cartes postales, des photographies, ou encore des documents qu’il avait conservés de son père André d'Ormesson... « Mon père n’était pas atteint du syndrome de Diogène, mais il avait un petit toc avec les papiers. Il gardait tout : les journaux, les lettres, les relevés de banque de toutes les époques. J’avais déjà essayé de faire un premier tri, mais Charles-Éloi Vial a retrouvé des tickets de cinéma jusque dans des manuscrits... », confie l'éditrice. Pendant de nombreuses années, le bureau de Jean d'O constituait un sanctuaire.
Si certains manuscrits ont été perdus, ses œuvres principales - Au Plaisir de Dieu, La Gloire de l’Empire, La Douane de mer... - sont bien là. Côté correspondance, ont été mises au jour des lettres adressées à Dany Laferrière, Marc Fumaroli, ainsi qu’à de nombreuses figures du monde politique, littéraire, diplomatique, artistique et médiatique.
En revanche, certaines lettres demeurent introuvables, notamment celles de Michel Déon, avec qui il a pourtant entretenu une correspondance nourrie: « Je ne pense pas qu’elles aient été détruites, mais elles ont probablement été égarées. Mon père avait énormément de qualités, mais le classement méthodique n’en faisait pas partie. Il y avait une véritable accumulation, une montagne de papiers : des lettres, des documents, des invitations, des tickets de cinéma des années 1950… Il habitait à Neuilly depuis plus de soixante ans, et avec les travaux, les déplacements successifs dans la maison, certaines choses se sont forcément dispersées », analyse Héloïse d'Ormesson.
L'édition Bouquins, menée par Jean-Luc Barré, Des messages portés par les nuages. Lettres à des amis, comme son nom l'indique, s'était concentrée sur les lettres envoyées par l'auteur.
Et grande question : un manuscrit inédit a-t-il été mis au jour ? « Il n’est pas impossible qu’il reste une ou deux choses encore égarées, mais en ce qui concerne les romans, je pense sincèrement qu’il n’y a pas de manuscrit inédit », assure l'éditrice.
Le 26 juin prochain, nulle cérémonie en grande pompe, mais uniquement des camionnettes qui transporteront les documents. Ce transfert n’en demeure pas moins hautement symbolique, survenant quelques jours après le centenaire de sa naissance, célébré le 16 juin dernier : « Je crois que les auteurs et les artistes ont une approche très différente de leur postérité, et de l’accès à leur œuvre. Pour mon père, il m’a toujours semblé évident qu’il souhaitait que ses textes soient accessibles au plus grand nombre - aux chercheurs, aux universitaires, aux amateurs, aux bibliophiles dans ce cas. Cela avait du sens, c’était cohérent avec sa vision de la littérature. Et c’est aussi une forme de garantie : celle d’une conservation pérenne. »
Héloïse d'Ormesson n'a jamais envisagé une vente aux enchères : « Ce n’est pas dans mon esprit, ni dans celui de ma mère. J’ai même des scrupules à toucher ses droits d’auteur », assure-t-elle. « Mon père, ce qui lui importait profondément, c’était d’être lu. Sa véritable ambition, c’était sa postérité : être lu au-delà de sa mort. Il avait cette conscience aiguë du temps, du passage, et de ce que l’écriture pouvait laisser derrière soi. »
Toute une vie qui se dessine à travers ces archives, dont une partie pourrait faire l’objet d’une exposition à la BnF dans les mois à venir ? : « Il a été question de faire quelque chose à l’occasion du centenaire de sa naissance, en juin. Mais tout le processus a pris plus de temps que prévu », explique Héloïse d'Ormesson. Alors, à suivre...
Écrivain, académicien, journaliste, directeur du Figaro, Jean d’Ormesson, issu d’une vieille famille aristocratique, maniait la plume avec une légèreté érudite. Il a laissé derrière lui une œuvre foisonnante, faite de romans, de chroniques, de réflexions sur le temps, Dieu, l’amour ou la beauté.
Il est le premier écrivain français à avoir fait son entrée de son vivant dans la Bibliothèque de la Pléiade. Une distinction exceptionnelle concrétisée en 2015, avec la parution de deux volumes rassemblant une sélection de ses œuvres, sous la direction de Jean-Luc Barré. Un honneur rare, partagé jusqu’alors uniquement par des auteurs étrangers comme Milan Kundera ou Mario Vargas Llosa, et qui venait consacrer l’élégance, la constance et la popularité d’un écrivain longtemps jugé « trop léger » pour figurer dans ce panthéon littéraire.
Superficiel par profondeur Jean d'O, comme les anciens Grecs vus par Nietzsche ?
À l’occasion du centenaire de la naissance de Jean d’Ormesson (1925 - 2017), la famille de l’écrivain a fait don de l’ensemble de ses archives à la Bibliothèque nationale de France. Ce fonds très conséquent, constitué principalement de manuscrits et de correspondances, rejoint les archives des plus grands écrivains français, tels Victor Hugo, Zola et Proust ou plus récemment Nathalie Sarraute, Annie Ernaux et Pascal Quignard, conservées au département des Manuscrits de la BnF.
Constitué d’une soixantaine de boîtes, les archives de Jean d’Ormesson se divisent en deux principaux ensembles : les manuscrits littéraires, témoignant d’un travail constant de réécriture, de correction et de recherche du mot juste ; et une correspondance reçue sur plusieurs décennies, qui inscrit pleinement l’homme dans son époque et atteste de son importance au sein des réseaux intellectuels et littéraires de son temps.
Ce fonds donne ainsi accès aux multiples facettes de la vie de l’écrivain, auteur d’une quarantaine d’ouvrages, entré de son vivant dans la prestigieuse collection de La Pléiade, élu à l’Académie française en 1973, directeur du Figaro de 1974 à 1977 et éditorialiste : ses voyages, son implication dans la vie de l’Institut de France, ses échanges avec des hommes politiques, des écrivains, des diplomates, des artistes ou des figures médiatiques.
On y trouve notamment un dossier important sur l’élection de Marguerite Yourcenar à l’Académie française. Le fonds contient aussi des manuscrits d’œuvres et d’articles, écrits au feutre bleu ou noir, des photographies et des papiers personnels, par exemple des dissertations de khâgne, et enfin des courriers de lecteurs, témoignant de l’attachement que l’écrivain suscitait partout en France.
Ces archives permettent de suivre Jean d’Ormesson quasiment au jour le jour, les dossiers qu’il constituait lui-même au fil du temps contenant également des lettres reçues, des brouillons de lettres envoyées, des factures de restaurant ou d’hôtel, des billets de train, ou encore des post-it, parfois collés ensemble et formant des enchaînements de notes, d’idées d’articles ou de romans, ce qui en fait un puzzle à reconstituer, mais aussi un matériau particulièrement riche pour les chercheurs.
Le fonds, dont l’inventaire sera mis en ligne prochainement sur le catalogue des manuscrits de la BnF, permettra à terme d’écrire la biographie de cette figure incontournable de la vie littéraire française du XXe siècle et d’étudier en détail son œuvre, ses méthodes de travail et la genèse de ses textes les plus célèbres, comme Au plaisir de Dieu (1974), La Douane de mer (1994), Une fête en larmes (2005), La Conversation (2011), Je dirai malgré tout que cette vie fut belle (2016) ou encore Un Hosanna sans fin, publié à titre postume (2018).
Crédits photo : Nikeush (CC BY-SA 4.0)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 11/03/2021
468 pages
Robert Laffont
23,00 €
Paru le 11/11/2021
137 pages
Editions Gallimard
8,00 €
1 Commentaire
emmasudre
21/06/2025 à 13:47
Aussi prétentieux que Marie-Helene Laffont qui fait don de ses manuscrits à la BNF. Le seul critère est le temps. Dans dix ans Jean d'O aux oubliettes. Qui sait que le Lycée Henri IV a failli s'appeller Campistron du nom du Jean d'O de l'époque ?