Essais littéraires, Louis Aragon

Louis Aragon, Olivier Barbarant, Marie-Thérèse Eychart, Dominique Massonnaud

Après les cinq volumes des Œuvres romanesques complètes (1997–2012) et les deux des Œuvres poétiques complètes (2007), un imposant volume d’Essais littéraires vient prolonger - sinon parachever - la vaste entreprise éditoriale conduite notamment par Olivier Barbarant, maître d’œuvre de la partie poétique et de ce dernier opus. 

Cette aventure pose néanmoins question : que faire de Télémaque, de La Défense de l’infini, ou du Paysan de Paris, à la fois poèmes, romans, essais ? Où ranger les Incipit, qui concluaient autrefois l’aventure romanesque mais que la Pléiade place aujourd’hui dans les essais ? Olivier Barbarant lui-même interroge, dans l’introduction des Œuvres poétiques complètes, la pertinence d’un classement par genres : « Aragon n’a-t-il pas brandi, non sans provocation, son travail de contestation des genres ? » Le fait est que l’écrivain revendiquait cette ambiguïté : « Poésie, roman, philosophie, maximes, tout m’est également parole. »

Question épineuse, reste que ce volume révèle une facette moins connue, mais essentielle de l’auteur : celle du critique, du lecteur insatiable et du penseur de la littérature. D'Une vague de rêves, texte daté de 1924, à Je n’ai jamais appris à écrire ou les Incipit de 1979, le parcours suit un fil chronologique, embrassant plus d’un demi-siècle d’écriture critique. Il s’ouvre sur la « Préface à Maldoror », amorçant un long dialogue avec Lautréamont, et se clôt sur un ultime discours, « D’un grand art nouveau, la recherche », prononcé lors de la donation de ses manuscrits à l’État français.

Ce corpus éclaté mais cohérent traverse les grandes mutations esthétiques du XXe siècle. On y retrouve la verve surréaliste du Traité du style (1928), texte provocateur par excellence, la densité érudite des Chroniques du Bel Canto, ou encore les réflexions politiques et esthétiques de J’abats mon jeu (1959), où Aragon interroge les relations entre roman, engagement et vérité historique. Chaque texte est traversé par la tentation autobiographique, et l’ensemble compose, en creux, une forme de portrait intellectuel.

Ces essais dessinent moins une théorie qu’un style, une manière d’habiter la littérature : digressive, libre, somptueuse. Loin d’une œuvre critique systématique, il s’agit d’un laboratoire organique. 

Ce volume d’Essais littéraires restitue la pensée en mouvement d’un écrivain qui refusait, en dernière analyse, les cloisonnements. Il éclaire l’œuvre d’Aragon comme un territoire sans frontières fixes, où critique, invention et mémoire s’entrelacent. Plutôt qu’un testament, un champ de forces toujours actif. À découvrir absolument.

Ô grand Rêve, au matin pâle des édifices, ne quitte plus attiré par les premiers sophismes de l’aurore ces corniches de craie où t’accoudant tu mêles tes traits  purs et labiles à l’immobilité miraculeuse des Statues ! Écarte ces clartés intolérables, ces saignements du ciel qui éclaboussent depuis trop longtemps mes yeux. 


Ta pantoufle est dans mes cheveux, génie au visage fumé, ténèbre éclatante entourée à mon souffle. Empare-toi du reste de ma vie, marée montante à l’écume de fleurs. Des présages par-dessus des tours, des visions au fond de mares d’encre, dans la poussière du café, des migrations d’oiseaux sur la latéralité des devins, des cœurs consultés par des doigts sanglants, des rumeurs, annoncent – les temps se déroulent des draperies – ton règne et ton cyclone, adorable sirène, clown incomparable des cavernes, ô songe adossé au corail, couleur des chutes, odeur du vent  !

 

- Une vague de rêves, de Louis Aragon

 
 
 
 
 

Publiée le
10/06/2025 à 17:58

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Essais littéraires

Louis Aragon

Paru le 24/04/2025

2010 pages

Editions Gallimard

80,00 €