Dans le tumulte amiennois, Chantal Montellier apparaît comme une silhouette marquée par l’engagement, l’ironie, la mémoire et la révolte. De ses débuts en tant que professeure désabusée à sa place de pionnière dans le dessin de presse politique, son parcours retrace une lutte continue pour la représentation des femmes et l’émancipation par l’image. Podcast et gare aux oreilles, majeur levé !
Le 07/06/2025 à 14:44 par Nicolas Gary
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Publié le :
07/06/2025 à 14:44
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Née à Saint-Étienne, elle revendique une ascendance aux multiples strates sociales : petit patronat, ingénierie catholique, contremaîtres de mine. À ses yeux, « tout cela formait une même tribu, qui marchait au pas des mêmes intérêts ». En mai 1968, étudiante aux Beaux-Arts, elle bascule. Elle découvre une réalité sociale plus vaste que celle à laquelle l’avait confinée son milieu familial.
Chantal Montellier est reconnue pour son engagement politique et féministe. Son style graphique, souvent en noir et blanc, évolue vers des expérimentations visuelles mêlant collages et éléments pop art. Elle utilise la bande dessinée comme un outil de contestation, dénonçant les dérives autoritaires, l'eugénisme, la marchandisation des individus et la surveillance généralisée.
Un podcast d'exception grâce à une dame qui ne l'est pas moins :
Ses premiers pas dans le dessin de presse s’effectuent entre deux cours, à l’invitation d’un collègue anarcho-syndicaliste, responsable du journal Combat syndicaliste. Là, une phrase qui revient encore à son esprit : « Pour une fille, tu dessines pas mal. » Laconique, symptomatique. Montellier comprend alors la rareté des femmes dans ce domaine. Elle se lance dans l’illustration politique, sans modèle ni filiation revendiquée, portée par un goût prononcé pour la satire et l’analyse sociale. La peinture pure s’efface devant l’urgence de l’époque.
Le militantisme politique, elle le vit d’abord dans les cercles trotskystes, avant de prendre ses distances : « “Les prolos sont des cons”, m’a-t-on dit. Alors j’ai répondu : “Je préfère rester avec eux.” » Elle s’oriente vers le Parti communiste, sans cesser de garder ses distances avec les injonctions idéologiques. « Dès qu’un chef me dit de tourner à gauche, je tourne à droite. »
Son trait trouve sa place dans L’Humanité, où elle découvre un paradoxe troublant : certains dessinateurs en poste y avaient été proches de Brasillach. « Recyclage de collaborationnistes dans une presse marxiste. » Elle pointe l’incapacité du parti à comprendre la puissance de l’image : « Les Rouges ne savent pas ce que c’est qu’une image. »
Dans les années 1970, elle publie une bande dessinée sur la loi Veil et les entraves à l’IVG dans les hôpitaux. « Je mets au défi quiconque de trouver un recul équivalent sur le sujet. » Cette œuvre l’ancre comme figure singulière dans un paysage masculin et souvent sexiste. L’accueil réservé par ses collègues masculins reste froid. « Pas si bien que ça », glisse-t-elle, dans un sourire en coin.
Lorsque les soutiens politiques et les journaux disparaissent dans les années 1990, elle se tourne vers l’animation d’ateliers d’écriture. « J’ai passé dix ans à bosser avec des détenus, des étudiants en architecture, des jeunes de quartier… Mais ce n’était pas mon rêve. »
Féministe convaincue, plus qu'acharnée, elle fonde en 2007 le prix Artémisia, avec Jeanne Puchol, destiné à valoriser la bande dessinée féminine. « Regardez où en est la BD faite par les femmes aujourd’hui. Artémisia a fait bouger les lignes. » Pourtant, pas une seule exposition à Angoulême, malgré une carrière entamée dès 1972. « Quand on demande pourquoi, on répond : Montellier, elle est stalinienne. Ça suffit. »
L’ironie, encore. L’humour noir comme dernier rempart. « Je suis pour un goulag… mais humanitaire. » Un rire s’échappe, grinçant, lucide. À 78 ans, Chantal Montellier reste une voix essentielle, dissonante, nécessaire.
Elle vient de publier aux Humanoïdes Associés Social Fiction, un recueil de bandes dessinées de Chantal Montellier, publié en décembre 2024 par Les Humanoïdes Associés. Il rassemble trois œuvres majeures de l’autrice : Wonder City, Shelter Market (anciennement Shelter) et 1996 again (anciennement 1996), initialement parues entre 1978 et 1983 dans le magazine Métal Hurlant.
Elle a retravaillé ses œuvres au fil du temps, considérant que toute création doit évoluer avec son époque et son autrice. Ainsi, Shelter est devenu Shelter Market avec l'ajout de nouvelles pages et une approche visuelle renouvelée, tandis que 1996 a été revisité sous le titre 1996 again.
Social Fiction est une pépite de pertinence et de lucidité : une critique incisive des sociétés contemporaines à travers des récits dystopiques. Les thématiques abordées, telles que le contrôle des naissances, la surveillance et l'autoritarisme, résonnent fortement avec les enjeux actuels. L'œuvre est à considérer, ni plus ni moins, comme une référence en matière de bande dessinée politique et féministe.
Cette histoire se déroule dans une ville dystopique où l’eugénisme et la vidéosurveillance sont omniprésents. Les naissances y sont strictement contrôlées par un ordinateur central nommé Nimbus, qui décide des couples autorisés à procréer. Le récit suit un cadre bien intégré qui tombe amoureux d’une musicienne rebelle, remettant en question les fondements de cette société autoritaire.
Dans ce récit, des survivants d’une catastrophe nucléaire se réfugient dans le sous-sol d’un centre commercial transformé en abri antiatomique. Le directeur du magasin y instaure un régime dictatorial, imposant des règles de plus en plus sévères et privant progressivement les habitants de leurs libertés.
Cette section regroupe plusieurs histoires courtes abordant des thématiques sociales, politiques et philosophiques. Les récits traitent de sujets tels que la surveillance, la discrimination et l’autoritarisme, offrant une réflexion critique sur la société contemporaine.
Crédits photo : Les Humanoïdes associés
DOSSIER - Amiens célèbre la bande dessinée avec éclat pour ses 29es Rendez-Vous
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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12 Commentaires
Pierre-Henry Huysmans
08/06/2025 à 22:26
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Chantal montellier
08/06/2025 à 22:30
Du bien. Merci.
Rose
09/06/2025 à 10:22
Belle liberté osée, c'est rassurant.
Chantal montellier
09/06/2025 à 10:46
Vraiment impec. Ecoute 10/10, c'est rare.. pas une déformation ni une seule trahison. Merci encore. CM
Nicolas Gary - ActuaLitté
09/06/2025 à 11:29
Tout le plaisir était pour moi, Chantal !
Chantalinienne
09/06/2025 à 11:31
Avec ce que vous avez pris dans les dents, chère Chantal, en gardant la tête bien haute et le majeur habilement dressé, je suis heureuse d'avoir de vos nouvelles.
Étonnant, ce média, parfois.
Chantal montellier
09/06/2025 à 19:21
Merci pour votre message de solidarité. Il me touche beaucoup. Amicalement. C.
Chantal montellier
09/06/2025 à 19:41
Merci chère Rose pour ce delicat message. Je vous adresse mes amities en retour.C.
Rose
10/06/2025 à 09:39
"Comme on se sent beaucoup tout d'un coup, en étant enfin quelques-uns" qui disait C.
Marie
10/06/2025 à 08:13
Qu'ajoute ce doigt d'honneur sur la photo? Du déshonneur et un profond dégoût...Rien de plus. Je ne lis que les BD Astérix et Marjane l'Iranienne. Mon féminisme à moi est le droit à la différence, pas de singer les hommes.
hélène
10/06/2025 à 10:16
Merci pour cet article qui me donne très envie de découvrir une autrice que je ne connais hélas pas !
Martine Roffinella
10/06/2025 à 16:26
Bravo Chantal pour cette magnifique interview - qui me remet en mémoire notre complicité toujours bien vivante : nous avons en commun les ateliers à la maison d'arrêt de Laval !
Je suis pleine d'admiration - tu le sais - pour ton travail, ton engagement de femme, ton refus de toute compromission.
Chapeau bas !
Et merci à Nicolas Gary pour ce formidable moment qui met en lumière la grande artiste que tu es.