Installé au cœur d’Amiens, le Nauti-poulpe déploie ses tentacules de bronze devant la halle Freyssinet. Conçue par François Schuiten et sculptée par Pierre Matter, cette créature monumentale rend hommage à Jules Verne autant qu’elle réveille l’imaginaire urbain. Immersion littéraire à la rencontre d’un monstre élégant venu des abysses de la fiction.
Le Nauti-poulpe est une sculpture monumentale installée à Amiens en mars 2025, en face de la halle Freyssinet, dans le nouveau quartier Gare-la-Vallée. Commandée dès 2017 par Amiens Métropole, cette œuvre devait à l’origine orner le parvis de la gare et prendre la forme d’un obus inspiré du roman De la Terre à la Lune de Jules Verne.$
« Tout est parti de la commande d’Amiens Aménagement […] au sujet de la place de la gare », expliquait le dessinateur François Schuiten, rappelant l’initiative à l’origine du projet. Au fil des réflexions, le concept a évolué vers une créature fantastique : « Il surgira des tréfonds d’Amiens, mélange hybride où se confondent le Kraken, […] et le Nautilus […] » prophétisaient ainsi les créateurs en 2023.
Ce choix final, dicté aussi par des contraintes techniques, a conduit à déplacer l’œuvre légèrement en retrait de la gare, « comme si elle émergeait des hortillonnages » d’Amiens, affirmait François Schuiten.
Par son apparence mi-créature marine, mi-machine steampunk, le Nauti-poulpe s’inscrit dans une démarche artistique qui dépasse la simple illustration. François Schuiten y voit un moyen de raconter une histoire intemporelle et de stimuler l’imaginaire du public.
« Verne appréciait particulièrement la transmutation de ses œuvres », confie-t-il à propos de Jules Verne, « [c]oncevoir une créature mixte, cela revenait à raconter une histoire plus ample, à même d’ouvrir un dialogue par-delà le temps et les personnes ».
Le message n’est pas ouvertement politique, mais l’artiste souhaite inciter à plus d’audace créative dans notre rapport à la ville. À ses yeux, l’art urbain doit réenchanter l’espace public : « il faut remettre l’art au cœur des villes, l’offrir au public ». La présence détonante du Nauti-poulpe, colosse de bronze de 6,5 m de haut pour 12 tonnes, au cœur d’un quartier en mutation, traduit cette volonté de marier patrimoine imaginaire et modernité urbaine.
Conçue explicitement comme un hommage à Jules Verne, auteur emblématique ayant vécu et écrit à Amiens, la sculpture célèbre l’héritage vernien de façon créative. L’inauguration a été programmée le 24 mars 2025, date symbolique correspondant au 120ᵉ anniversaire de la mort de l’écrivain. François Schuiten et son complice scénariste Benoît Peeters ont souvent revendiqué leur filiation intellectuelle avec Verne : « Nous sommes des enfants de Jules Verne, mais nous ne sommes pas serviles, nous voulons le réinventer ».
Plutôt que de copier servilement l’auteur, ils proposent une réinvention respectueuse de son univers — une approche déjà visible dans leur album Le Retour du capitaine Nemo. Schuiten imagine que Verne, s’il vivait à notre époque, serait fasciné par les hybridations modernes entre vivant et mécanique. « Avec ce Nauti-poulpe, on cherche à trouver l’objet qui puisse incarner cette présence de Jules Verne », affirme-t-il, soulignant la volonté de faire revivre l’esprit visionnaire du romancier dans l’espace contemporain.
En fusionnant le poulpe géant de Vingt mille lieues sous les mers et le Nautilus du capitaine Nemo, l’œuvre matérialise de manière spectaculaire l’imaginaire vernien et ancre durablement celui-ci dans la ville qui fut celle de l’écrivain.
Le Nauti-poulpe est né de la collaboration inédite entre François Schuiten, célèbre auteur de bande dessinée et concepteur de l’œuvre, et Pierre Matter, sculpteur français spécialiste des créatures de métal. Schuiten a dessiné les premières esquisses et imaginé l’histoire autour de cette créature, tandis que Matter a relevé le défi technique de la réaliser en bronze.
Pendant plusieurs années, l’atelier de Pierre Matter et la fonderie de Saint-Sauveur (Haute-Saône) ont façonné et assemblé les quelque 300 pièces de la statue. L’assemblage final s’est déroulé en deux temps : un pré-montage à Bruxelles (où l’œuvre a fait une escale de deux mois fin 2024) puis la soudure définitive des éléments à Amiens.
Au moment de la première présentation publique, Pierre Matter manifestait son émotion de voir aboutir ce long travail : « C’est la première fois depuis la construction de la maquette qu’on voit le Nauti-poulpe entièrement assemblé », confiait-il lors de l’inauguration bruxelloise. Voici qui témoigne de la satisfaction du sculpteur devant la concrétisation physique de la vision conçue avec Schuiten. Le résultat est une œuvre commune, fruit d’un dialogue entre l’univers graphique des Cités obscures et le savoir-faire de la sculpture contemporaine.
La sculpture du Nauti-poulpe lors de son inauguration publique à Amiens le 24 mars 2025. Ce jour-là, plus de 1 200 personnes se sont rassemblées devant la halle Freyssinet pour découvrir la créature émerger d’un bassin d’eau spécialement aménagé. L’événement était le point d’orgue des célébrations verniennes à Amiens, et il a donné lieu à des discours marqués par l’enthousiasme et la fierté.
« Moment historique pour Amiens, symbolique, artistique et poétique », a déclaré le maire Hubert de Jenlis en saluant l’aboutissement de ce projet singulier, désormais nouvel emblème poétique de la ville. Alain Gest, président d’Amiens Métropole, a quant à lui souligné que le Nauti-poulpe « nous transporte instantanément dans l’imaginaire vernien » et qu’il constitue « un marqueur, un atout touristique pour Amiens ».
Par cette œuvre spectaculaire, Amiens réaffirme son attachement à Jules Verne et son ambition de devenir « une véritable capitale de la créativité et de l’inspiration », selon les mots du maire. L’odyssée du Nauti-poulpe, de sa genèse à son inauguration, illustre ainsi la rencontre réussie entre le patrimoine littéraire et la création artistique contemporaine, pour le plus grand plaisir du public.
« Très vite, j’ai eu la joie de constater que l’on souhaitait adapter mes romans à la scène, en spectacles de marionnette ou encore en images animées projetées sur un écran grâce au cinématographe, inventé en 1895 par les frères Lumière. Et dès les années 1880, des artistes ont eu l’idée de présenter mes romans par une suite de dessins juxtaposés, accompagnés de textes, par exemple dans les images d’Épinal, une sorte de littérature en estampes.
Bien des années plus tard, avec cette façon moderne de raconter des histoires qu’on allait appeler la bande dessinée, il semble bien que j’aie fortement inspiré Benoit Peeters et François Schuiten. Dans leur cycle des Cités Obscures (éd. Casterman), ils ont développé comme un prolongement de mes univers, faisant même de moi un de leurs personnages de fiction, dans L’Enfant penchée, en 1987.
Puis, en 2018, le dessinateur François Schuiten et le sculpteur Pierre Matter ont inventé la créature hybride que vous voyez ici, le Nauti-poulpe, qui au terme de son voyage s’installe dans ma bonne ville d’Amiens. Et par un de ces caprices du destin que j’aurais tant aimé imaginer et écrire, le Nauti-poulpe est devenu à son tour le personnage d’une fiction, une bande dessinée, Le Retour du capitaine Nemo, où Amiens et moi-même jouons un rôle central. »
Désormais, le Nauti-poulpe attend tous les visiteurs qui le souhaiteront pour un selfie avec lui.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Amiens célèbre la bande dessinée avec éclat pour ses 29es Rendez-Vous
Par Nicolas Gary
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