Recevoir reste un art délicat qui, loin de s’être perdu, connaît aujourd’hui un véritable renouveau. Certaines émssions de télévision y sont sans doute pour quelque chose, et c'est tant mieux ! Dans une époque marquée par la rapidité des échanges et le règne du tout-numérique, les repas partagés à domicile doivent reprendre leur place comme temps fort de la convivialité. Quatre ouvrages, aussi différents que complémentaires, proposent des approches précises et nourries d’exemples pour accueillir avec élégance et intelligence.
Partager un dîner autour d’une table bien dressée ne se limite pas à nourrir les convives. Bien au contraire. Derrière l’attention portée aux détails se lit une culture de l’hospitalité profondément ancrée dans les sociétés européennes, en particulier dans la tradition française la plus pure et la plus glorieuse. Or, cette culture ne s'improvise pas. Elle s’apprend, se transmet, se pratique. Le choix des assiettes, la disposition des couverts, la qualité du linge, l’usage de plateaux adaptés, l’ordre du service : autant d’éléments qui, correctement maîtrisés, transforment une simple invitation en véritable expérience.
Dans un monde dominé par les repas pris sur le pouce et les notifications incessantes, offrir un dîner soigné devient un geste d’exception. Refusons la standardisation de la malbouffe propre au snacking et autre streetfood ! Remettons les couverts sur la table, et les pieds sous la table ! Bien sûr, cela implique une maîtrise du temps, une organisation fine, une attention à l’autre qui résonne parfois comme une forme de résistance au flux permanent.
Mais, c'est plus que nécessaire dans notre époque où l'on ne sait plus donner du temps au temps. Cette exigence de soin, loin d’être figée dans un passé révolu, doit s'inscrire dans une modernité réinventée. A chacun de s'emparer de ses invités pour créer des dîners enthousiasmants, avec une envie de recevoir communicative ! Pour ce faire, de nombreux guides contemporains actualisent les règles du savoir-recevoir et les rendent accessibles.
Loin de l’image guindée associée aux dîners formels, organiser un repas élégant chez soi doit pouvoir s'ouvrir à toutes les générations. Les grands dîners ne sont pas l'apanage de nos grands-parents ! Non ! Qu’il s’agisse d’un simple apéritif dînatoire, d’un brunch dominical ou d’un dîner assis plus solennel, les bonnes pratiques sont à remettre sur la table ! Que la convivialité revienne dans les chaumières ! Et proposons une fluidité qui libère l’hôte du stress et les invités de toute gêne. Le protocole, ici, servira l’harmonie plutôt qu’il ne bridera la spontanéité.
Quatre ouvrages majeurs illustrent cette volonté de conjuguer raffinement et accessibilité. Tous s’appuient sur des traditions éprouvées tout en les adaptant aux attentes d’un lectorat contemporain. Bien sûr, quand on reçoit, il s'agit de mettre les petits plats dans les grands, comme on dit, et donc de préférer un beau plateau aux poêles et casseroles qui n'ont, cela s'entend, rien à faire sur une table digne de ce nom ! Chacun éclaire une facette de l’art de recevoir, depuis les usages du protocole jusqu’à la symbolique du repas, en passant par les secrets d’une table élégante.
Publié aux Éditions de la Martinière, Savoir-Vivre : Comment recevoir à la française de Jacqueline Queneau (352 pages, 17,90 €, 2015) s’inscrit dans la grande tradition des manuels de courtoisie. Journaliste et spécialiste des usages sociaux, Jacqueline Queneau y propose un guide extrêmement détaillé pour comprendre les subtilités de l’étiquette à la française. Loin des clichés poussiéreux, elle défend une vision vivante et évolutive du savoir-vivre, ancrée dans la réalité d’aujourd’hui.
Le livre s’ouvre sur une définition claire du savoir-recevoir, en expliquant que recevoir à la française suppose non seulement de respecter des codes, mais aussi de les incarner avec naturel. Tout au long des chapitres, Jacqueline Queneau aborde la question du plan de table, de la hiérarchie des convives, de la composition du menu, mais aussi des erreurs courantes à éviter. Le style se veut direct, parfois teinté d’humour, mais toujours précis.
Ce qui distingue cet ouvrage, c’est son approche pratique. Jacqueline Queneau livre des exemples concrets de situations et des conseils applicables immédiatement. Comment gérer les imprévus sans perdre la face ? Que faire si un invité se désiste au dernier moment ? Quelles astuces pour garder un service fluide tout en participant à la conversation ? Autant de problématiques résolues avec bon sens et élégance.
Loin d’une nostalgie conservatrice, le livre assume une certaine modernité. Il évoque l’influence des nouvelles technologies sur les relations sociales, l’émergence de nouveaux types de repas (comme les dîners en buffet ou les apéritifs prolongés) et l’évolution des rapports hôtes-invités. Loin de figer les usages, Jacqueline Queneau les rend lisibles et adaptables.
Référence incontournable depuis sa parution en 1993, Guide du protocole et des usages de Jacques Gandouin (641 pages, Éditions Le Livre de Poche, 18,13 €) s’adresse à ceux qui souhaitent comprendre les mécanismes du cérémonial dans les moindres détails. Ancien haut fonctionnaire, Jacques Gandouin met au service du lecteur une expertise acquise au sein des administrations françaises et des grandes instances internationales.
L’ouvrage explore l’ensemble des codes qui régissent la vie publique, les cérémonies officielles, mais aussi les réceptions privées. Chaque élément y est analysé avec rigueur : ordre des discours, placement des invités, règles vestimentaires, présentations, usage des titres. Pour quiconque organise un événement d’envergure – même à domicile –, ces connaissances constituent une base solide pour éviter les faux pas.
Bien que très technique, le livre conserve une lisibilité appréciable grâce à sa structure claire et ses nombreux exemples. Jacques Gandouin prend soin de distinguer ce qui relève du protocole strict de ce qui s’apparente à des usages sociaux. Cette distinction permet de mieux adapter son comportement au contexte : un dîner entre amis, même élégant, ne suit pas les mêmes règles qu’un repas diplomatique.
Le Guide du protocole et des usages invite aussi à réfléchir au rôle du cérémonial dans la construction du lien social. En codifiant les interactions, le protocole vise à éviter les maladresses, apaiser les tensions et instaurer une ambiance harmonieuse. Derrière l’apparente rigidité, une logique d’ordre et de respect s’affirme, essentielle dans les dîners où les statuts et les sensibilités cohabitent.
Mondaine, actrice, chroniqueuse et figure du bon goût à la française, Nadine de Rothschild signe avec Le Bonheur de séduire, l’art de réussir : Le Savoir-vivre du XXIe siècle (448 pages, Éditions Robert Laffont, 2001, 23,50 €) un ouvrage à la croisée du guide de bonnes manières et du manuel de développement personnel. Ce livre, très personnel, mêle anecdotes, conseils pratiques et réflexions sur les transformations de la société.
Pour Nadine de Rothschild, la séduction passe par l’élégance, la maîtrise de soi, l’intelligence sociale. Elle défend l’idée que recevoir chez soi permet d’exprimer un style, de créer une ambiance, d’établir un dialogue raffiné entre les convives. Les pages consacrées au dîner offrent de précieux conseils : choix des verres, rythme du service, rôle du maître de maison, savoir-faire discret du personnel – ou à défaut, de l’hôte lui-même.
L’autrice ne s’adresse pas seulement à un lectorat féminin. Elle considère que les règles du savoir-vivre s’appliquent à tous, quel que soit le genre, l’âge ou la classe sociale. Son style, direct et parfois mordant, s’accompagne d’un souci constant d’élégance sans ostentation. Ce livre se lit autant pour ses conseils que pour sa philosophie de vie.
Nadine de Rothschild insiste sur la cohérence entre l’apparence et le fond. Une belle table ne saurait masquer un comportement maladroit ou une conversation vide. Le charme d’un dîner vient aussi de la qualité des échanges, de l’art d’écouter, de susciter l’intérêt, et de marier les saveurs, bien sûr. Le savoir-vivre devient ici un outil d’épanouissement personnel autant qu’un art relationnel.
Publié en 2020 aux Éditions Gourcuff Gradenigo (255 pages, 39 €), A Table ! Le Repas tout un art réunit les travaux d’Anaïs Boucher, de Loïc Bienassis, de Bruno Laurioux et de Romane Sarfati. Ce bel ouvrage, richement illustré, s’appuie sur une exposition du même nom organisée par la Cité de la céramique – Sèvres & Limoges. Il retrace l’histoire du repas comme fait culturel, social et artistique.
Les auteurs, issus du monde de la recherche et du patrimoine, proposent une approche pluridisciplinaire du dîner. À travers les époques et les styles, ils analysent les objets de la table, leur usage, leur symbolique. On y découvre l’évolution des formes de service, les grandes tendances de la vaisselle, l’importance du geste dans la présentation des mets. Le livre accorde une large place à l’esthétique du repas.
Ce travail met en lumière la richesse d’une tradition française aujourd’hui inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Mais l’approche ne se limite pas au passé : elle interroge la manière dont les pratiques culinaires et les codes de la table évoluent dans un monde globalisé. L’ouvrage s’intéresse aussi aux défis contemporains : l’écologie de la table, le retour au fait main, les arts de la présentation.
A Table ! Le Repas tout un art s’adresse à ceux qui cherchent non seulement à bien recevoir, mais à comprendre les racines et les significations profondes de ce geste. Il rappelle que dresser une belle table revient aussi à raconter une histoire, à célébrer un héritage, à créer du lien par le biais de la beauté.
Recevoir chez soi ne relève pas du folklore mais du geste vivant. Dans un monde pressé, réinvestir l’espace du repas revient à poser un acte fort. Les quatre ouvrages présentés ici en témoignent chacun à leur manière : entre précision technique, réflexion historique et élégance du détail, ils tracent une voie claire pour celles et ceux qui cherchent à organiser un dîner raffiné, sans ostentation mais avec art. Une nappe bien repassée, une lumière choisie, un mot d’accueil sincère : tout commence là.
Crédits illustration Pexels CC 0
Par Victor De Sepausy
Contact : vds@actualitte.com
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