Voici ouverte l’expo événement à Amiens : le mangaka au « talent monstre » déploie son œuvre dans la Maison de la Culture, jusqu’au 21 septembre. Naoki Urasawa est l’invité prestigieux des 29es Rendez-vous de la bande dessinée : ActuaLitté vous propose un tour en avant-première de l’exposition qui lui est consacrée — en présence de l’artiste.
Le 06/06/2025 à 11:12 par Nicolas Gary
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Publié le :
06/06/2025 à 11:12
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Naoki Urasawa à Amiens, on en rêvait depuis un long moment : le créateur de Monster ou encore 20th Century Boys se dévoile sous toutes ses facettes dans une mise en scène comme la Maison de la Culture sait chaque année en proposer. En présence des éditeurs français, Kana et Panini Manga, Naoki Urasawa arpentait ce 5 juin les couloirs d’une démonstration de force.
Reproductions géantes, planches minutieuses étudiées, l’artiste protéiforme — auteur, dessinateur, scénariste, mais également musicien fan de rock et homme de médias — a découvert sans bouder son plaisir le travail abattu. Le commissariat était confié à Stéphane Jarno, et Alexandra Maringer a opéré la scénographie — avec bien entendu l’association On a marché sur la bulle en partenaire.
Qu’en retenir ? D’abord la grandeur à couper le souffle, comme chaque année : Amiens sait recevoir ses invités d’honneur, et Naoki Urasawa ne faisait pas exception. Alors que les RDVBD s’ouvriront au public ce 7 juin, nous étions quelques élus à nous ébahir dans les lieux entièrement consacrés aux différentes séries de l’auteur traduites en français par Thibaud Desbief.
Né en 1960 à Tokyo, il est l’un des auteurs les plus influents du manga contemporain. Diplômé de l’université Meisei en économie, il débute sa carrière en 1983 avec la série BETA !!, publiée dans le magazine Weekly Shōnen Sunday. Mais c’est avec Yawara !, une comédie sportive centrée sur le judo, qu’il rencontre un succès populaire dès la fin des années 1980.
Urasawa est reconnu pour ses récits à la fois captivants et complexes, mêlant polar, science-fiction, thriller psychologique et réflexion sociale. Parmi ses œuvres majeures figurent :
Happy! (1993–1999), sur le monde impitoyable du tennis professionnel ; Monster (1994–2001), un thriller noir autour d’un neurochirurgien confronté à un tueur qu’il a autrefois sauvé ; 20th Century Boys (1999–2006), fresque monumentale sur l’amitié, les complots et les utopies perdues ; Pluto (2003–2009), relecture mature et dramatique d’un arc d’Astro Boy d’Osamu Tezuka, réalisée avec l’aval de la Tezuka Productions.
Puis vinrent Billy Bat (2008–2016), entre polar, voyage dans le temps et méta-réflexion sur la bande dessinée et Asadora ! (2018 – en cours), fresque historique et intime sur fond de catastrophe naturelle et d’optimisme d’après-guerre.
Urasawa est l’un des très rares mangakas à avoir connu un rayonnement critique aussi fort au Japon qu’à l’étranger. Il est lauréat de nombreuses distinctions : trois Prix Shōgakukan du manga ; deux Prix du manga Kōdansha ; Prix Tezuka Osamu de l’excellence ; Prix Eisner (États-Unis, 2011) pour 20th Century Boys ; Prix de la meilleure série au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 2004 pour 20th Century Boys ; Prix de la meilleure œuvre au Lucca Comics & Games en Italie.
En 2023, il a également reçu le Prix Fauve d’honneur à Angoulême, saluant l’ensemble de sa carrière et son influence dans le monde de la bande dessinée.
En 2018, il collabore avec le musée du Louvre dans le cadre du projet « Le Louvre invite la bande dessinée » : il signe Mujirushi – Le Signe des rêves, une œuvre originale mêlant satire, escapade rocambolesque et réflexion sur l’art et le pouvoir. Ce récit est publié en partenariat avec Futuropolis au format franco-belge, puis en manga par Viz Media.
Avec plus de 150 millions d’exemplaires vendus dans le monde, les mangas de Naoki Urasawa sont traduits dans plus de 20 langues. En parallèle de ses créations, il est également professeur d’université, animateur d’une émission TV sur le dessin et invité d’expositions dans des institutions culturelles prestigieuses (notamment au Japon, en France, en Allemagne et en Corée du Sud). Son exposition « This is MANGA – The Art of Naoki Urasawa » a notamment été montrée au Japon et à l’étranger avec un grand succès critique.
À LIRE - La vie de Bob Dylan en manga, par Naoki Urasawa
Mais cela, tout le monde le sait déjà. Et si vous comptez parmi ceux qui ont le bonheur de découvrir son travail, alors soyez bénis, comme nous le disait Laurent Marioni, propriétaire de la librairie Bulle en Stock à Amiens, dans notre podcast. Car Urasawa est « le petit Poucet du manga », maître des détails et informations disséminées au fil des œuvres, manipulant des personnages par dizaines dans des intrigues parfaitement maîtrisées…
L'exposition à la Maison de la Culture balaye évidemment du rez-de-chaussée à l’étage, toute la diversité et la délicieuse complexité de ses intrigues, des personnages mis en scène, de univers qu’il explore.
Naoki Urasawa partage sa passion entre la bande dessinée et la musique. Guitariste dès l’adolescence, il compose et enregistre des titres liés à ses mangas, notamment 20th Century Boys. Il a sorti deux albums et se produit également sur scène, confirmant l'importance de la musique dans son univers créatif. « Musique et dessin sont au même niveau et m'apportent autant de plaisir », assure-t-il.
Imprégné de rock et de folk depuis l’enfance, Urasawa parsème ses récits de références musicales, en particulier dans 20th Century Boys, où Bob Dylan, Takuro Yoshida et Kenji Endo deviennent des totems d’une génération idéalisée. Il évoque aussi de nombreux concerts mythiques dans ses nouvelles. Il rend un hommage appuyé aux idoles de ses jeunes années : Bob Dylan et le folk singer Takuro Yoshida.
En 1969, un groupe d’enfants rêve de sauver le monde dans un terrain vague. Trente ans plus tard, leurs jeux d’enfants deviennent réalité : un mystérieux gourou applique leurs prédictions pour plonger la planète dans le chaos. « Kenji comprend qu'un gigantesque complot est à l'œuvre et décide de s'y opposer de toutes ses forces. » Entre science-fiction, thriller et chronique générationnelle, 20th Century Boys est une fresque vertigineuse sur le pouvoir de l’imaginaire.
Ami est un leader masqué qui tire les fils d’un complot mondial depuis l’ombre. Inspiré par un cahier d’enfance, il transforme un délire de gamins en programme politique : dictature, virus, culte de la personnalité… « Mégalomane et psychopathe, AMI ambitionne de détruire l'humanité, tout en faisant mine d'être son sauveur. » Son emprise est totale, sa folie irrationnelle, son charisme glaçant.
« Le monstre qui donne son titre à la série, c'est lui ! » Dans Monster, Johann est l’incarnation du mal : un manipulateur génial, sans morale, capable de pousser autrui au crime par pur plaisir intellectuel. Victime d’une enfance brisée dans une institution obscure, il devient le visage même de l’inhumanité… derrière une allure parfaite.
Inspecteur glacial du BKA, Runge est une machine à profiler. Obnubilé par l’affaire Tenma, il poursuit le chirurgien accusé de meurtres avec une rigueur obsessionnelle, au risque de basculer dans l’aveuglement. « Il tape en direct les témoignages qu'il recueille sur un clavier imaginaire pour les stocker dans son cerveau. » Runge incarne la figure du limier hanté, prêt à tout pour élucider le mystère Johann.
Kenzo Tenma est un neurochirurgien brillant, discret et animé par un profond respect pour la vie humaine. Son existence bascule le jour où il sauve Johann, un enfant qui s’avérera être un tueur sans remords. « Tenma a regardé le Mal dans les yeux et vit comme il peut avec. »
Rongé par la culpabilité, Tenma abandonne tout pour réparer son erreur et traquer celui qu’il considère comme l’incarnation du mal absolu. Hanté mais déterminé, il incarne un héros tragique et moral, oscillant sans cesse entre justice, sacrifice et rédemption.
Ainsi déambule le visiteur, dans les allées de la Maison de la Culture, au cœur d’un labyrinthe d’images, de récits et de regards. À travers une scénographie inspirée et un accrochage généreux, Amiens rend hommage à un conteur hors pair, maître du suspens, explorateur des âmes humaines, architecte de l’ambiguïté. Urasawa ne se livre jamais totalement.
Il se laisse approcher, feuille après feuille, indice après indice, comme ses personnages traquent la vérité. Une œuvre monumentale, à découvrir en prenant le temps, à l’image de ses intrigues minutieusement construites. Une invitation à relire, repenser, redécouvrir. Avec cette exposition, Amiens signe une fois de plus un rendez-vous à la hauteur de son ambition artistique.
Informations pratiques : Pôle européen de création et de production | Scène nationale 2 place Léon Gontier CS 60631 80006 Amiens Cedex 1 - entrée gratuite.
Crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Amiens célèbre la bande dessinée avec éclat pour ses 29es Rendez-Vous
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
1 Commentaire
Necroko
07/06/2025 à 01:16
Vu Naoki Urasawa dans "28 minutes" (je me demande si Élisabeth Quin a vraiment lu "20th Century Boys" et "Monster") toujours très intéressant "28 minutes" mais là encore plus.