Voici les Editions Teny, pépite montante de l’édition malgache. Fano Razafimamonjiraibe est discret. Il entre sans faire de bruit, transporte son sac à dos souvent bien chargé… On pourrait presque ne pas le remarquer. Mais lorsqu’il sort ses livres, c’est un éclat de couleurs qui saute aux yeux : ce jeune éditeur, qui puise son inspiration dans tout ce qui l’entoure. Propos recueillis par Agnès Debiage (ADCF Africa)
Le 01/06/2025 à 12:30 par Agnès Debiage
1 Réactions | 286 Partages
Publié le :
01/06/2025 à 12:30
1
Commentaires
286
Partages
Fano achète et vend des droits, initie des coéditions, tisse son réseau professionnel et permet aux histoires malgaches de voyager. En moins de cinq ans, il s’est imposé comme une référence dans l’édition jeunesse, rayonnant également à l’international : Paris, Bologne, Abidjan, Sharjah, Chennai, Brazzaville, Lomé…
La première fois que j’ai vu ses livres, j’ai été admirative. Depuis 17 ans, je collabore avec les éditeurs et libraires à Madagascar, et c’était la toute première fois que je découvrais une telle qualité graphique, accompagnée d’une impression impeccable. C’était en 2022. Il débutait à peine. Puis, j’ai rencontré Fano quelques mois plus tard à Madagascar.
Derrière une personnalité d’apparence réservée, j’ai découvert un créatif et un entrepreneur, un curieux et un geek, un éditeur engagé dans le partage — et surtout un visionnaire, qui prend le temps de développer sa ligne éditoriale avec le plus grand soin. Depuis, j’avoue que mon enthousiasme pour les productions des éditions Teny n’a cessé de croître.
Agnès Debiage : Qu’est-ce qui vous a amené à créer les éditions Teny ?
Fano Razafimamonjiraibe : J’ai beaucoup reçu grâce aux livres. Je suis autodidacte depuis mes années de lycée. Lorsque j’étais à l’université, je me passionnais pour la création graphique, mais à la fin des années 1990, il n’existait aucune formation dans ce domaine à Madagascar. Je me suis donc plongé dans les livres pour me former : techniques, couleurs, fabrication, métiers, etc.
Depuis mon enfance, j’entretiens un lien fort avec les livres. À l’école primaire, je m’amusais à recopier les albums jeunesse à la maison — dessin et texte. C’était un immense moment de plaisir.
En travaillant pour des ONG, j’ai été amené à produire de nombreux livres pour un public qui n’aimait pas vraiment lire de longs textes. Les illustrations devenaient alors fondamentales, tout comme le choix des mots… Cela m’a naturellement orienté vers l’édition jeunesse.
Je voulais apporter quelque chose qui n’existait pas encore : la qualité. En tant que graphiste, je voyais bien que les livres malgaches, tant dans leur conception que dans leur impression, n’atteignaient jamais un niveau de qualité qui me satisfaisait. Voahirana Ramalanjaona, fondatrice des librairies Mille Feuilles, m’a aussi expliqué qu’il existait une demande non satisfaite pour des livres malgaches de qualité, même s’ils étaient plus chers que l’offre habituelle.
J’ai donc choisi de concevoir des livres différents, nouveaux, graphiques.
Quelles ont été vos plus grosses difficultés lorsque vous avez démarré ?
Fano Razafimamonjiraibe : Au début, j’ai découvert certains aspects du métier d’éditeur, notamment la relation avec les auteurs et les illustrateurs, le fait de trouver les bonnes personnes, et de réussir à atteindre le niveau de qualité que je visais. Par exemple, pour produire des livres tout-carton destinés aux tout-petits, j’ai dû moi-même chercher comment faire, d’un point de vue technique, pour y parvenir.
Votre catalogue est orienté jeunesse, souhaitez-vous continuer à être spécialisé ?
Fano Razafimamonjiraibe : Oui, je me spécialise dans ce domaine éditorial, d’abord parce que ce sont des livres qui me passionnent par leur dimension graphique, et aussi parce qu’il y a encore tant à faire sur mon île. Il m’arrive de produire des ouvrages pour adultes, à la demande d’auteurs, mais le catalogue des éditions Teny prévoit encore de nombreux beaux développements dans le secteur jeunesse pour les années à venir.
Du côté du marché, je me suis aperçu que les parents sont prêts à acheter des livres pour leurs enfants. On sent un véritable intérêt, notamment pour les titres bilingues. À Antananarivo, certains parents ont du mal à transmettre le malgache à leurs enfants, souvent scolarisés en français, et cherchent des histoires qu’ils puissent leur lire dans les deux langues.
Cela crée un réel engouement pour les ouvrages bilingues. À l’inverse, dans certaines régions de province, des parents rencontrent des difficultés à faire assimiler le français à leurs enfants, et eux aussi sont ravis de trouver des livres bilingues. La présence des deux langues constitue une véritable valeur ajoutée dans le livre jeunesse, car elle répond à un besoin concret du marché.
Vous avez suivi les ateliers de structuration de la chaîne du livre, quels en ont été les bénéfices concrets pour vous, en tant qu’éditeur ?
Fano Razafimamonjiraibe : Il y a eu beaucoup de bénéfices, à différents niveaux. Tout d’abord, en ce qui concerne ma réflexion sur le métier d’éditeur : les thèmes abordés en atelier m’ont ouvert de nouvelles pistes, et les cas pratiques traités ont permis de croiser les regards. J’ai découvert des points de vue inédits sur les livres, notamment ceux exprimés par les libraires, qui partageaient leur perception à travers le regard du client. Grâce à cela, j’ai pu intégrer de nouveaux éléments essentiels dans mes projets éditoriaux.
La dynamique des relations interprofessionnelles, ainsi qu’une meilleure compréhension des besoins, attentes et difficultés des autres acteurs de la chaîne du livre, m’ont amené à adapter mes approches et à chercher des solutions plus pertinentes. Ces ateliers ont enrichi mon réseau professionnel : les libraires sont devenus des amis, les auteurs également. Cette proximité a été favorisée par des échanges riches, qui ont permis de construire des relations de confiance durables.
Comment voyez-vous l’évolution du marché malgache sur les 5 dernières années et quelles perspectives se dessinent pour les éditions Teny ?
Fano Razafimamonjiraibe : Il y a encore mille et une choses à faire dans le secteur du livre jeunesse, la marge de progression est considérable si l’on fait preuve de créativité. Cela me donne plein d’idées de projets, le courage de prendre des risques à la hauteur des potentialités. Les éditeurs malgaches ayant amélioré la qualité de leurs livres, cela a tiré vers le haut les auteurs et illustrateurs. Cette nouvelle situation m’amène à des partenariats intéressants avec eux.
Oser investir dans mes projets m’ouvre de nouvelles perspectives. Avant, les éditeurs avaient peur de produire des livres plus chers que la moyenne, mais les évolutions récentes les ont amenés à reconsidérer cela, ce qui a, de fait, permis de progresser en qualité.
La professionnalisation du secteur, les soutiens du programme Ressources éducatives, les perspectives apportées par les ateliers de structuration de la chaîne du livre ont facilité l’évolution de cette situation et les éditeurs s’inscrivent désormais plus dans une démarche de qualité, de diversité, de créativité. Il reste encore mille et une choses à faire dans le secteur du livre jeunesse.
La marge de progression est considérable, à condition de faire preuve de créativité. Cela m’inspire de nombreuses idées de projets et me donne le courage de prendre des risques à la hauteur des potentialités. L’amélioration de la qualité des livres par les éditeurs malgaches a, par ricochet, tiré vers le haut les auteurs et les illustrateurs. Cette nouvelle dynamique me conduit à établir des partenariats intéressants avec eux.
Oser investir dans mes projets m’ouvre de nouvelles perspectives. Autrefois, les éditeurs hésitaient à produire des livres plus chers que la moyenne, mais les évolutions récentes les ont amenés à revoir cette position. Cela a permis une progression notable en termes de qualité. La professionnalisation du secteur, les soutiens apportés par le programme Ressources éducatives, ainsi que les perspectives issues des ateliers de structuration de la chaîne du livre, ont facilité cette évolution.
Désormais, les éditeurs s’inscrivent davantage dans une démarche de qualité, de diversité et de créativité. Ils s’aventurent de plus en plus vers une production qui gagne en exigence et en valeur.
Très rapidement, vous vous êtes positionné sur le marché international, qu’avez-vous découvert à travers ces différents programmes ?
Fano Razafimamonjiraibe : Cela m’a apporté de nouvelles perspectives. Si, à Madagascar, mes livres étaient considérés comme des références en matière de qualité, j’ai pris conscience, sur le marché international, que je pouvais encore progresser, m’inspirer de nouvelles idées, tant dans mes choix éditoriaux que dans la qualité de fabrication. De nouveaux horizons se sont ouverts.
J’ai pu initier des partenariats à l’international, m’engager dans des projets de coéditions, rencontrer des illustrateurs venus d’ailleurs. Mon réseau international se construit rapidement. Mes perspectives d’avenir ont pris une tout autre dimension, bien au-delà de ce qu’elles auraient été si je m’étais limité à mon univers malgache. Je peux désormais rêver plus grand, plus beau !
Les programmes internationaux vous ont permis de découvrir la pratique des cessions de droits, quelle en a été votre expérience ?
Fano Razafimamonjiraibe : Au début, il m’a été un peu difficile de comprendre le système des cessions de droits, mais grâce aux formations et à la pratique, je me suis lancé. En fait, j’ai aussi réalisé que c’était accessible pour moi. J’ai pu vendre et acheter des droits. Cela permet à des auteurs malgaches d’être diffusés à l’étranger, et les titres que j’achète viennent enrichir mon catalogue. J’ai déjà acquis plusieurs ouvrages qui sortiront dans l’année à venir.
Cette diversification est importante, car ces histoires apportent de nouvelles visions aux lecteurs malgaches.
La cession de droits prend du temps : il faut discuter avec mes auteurs et illustrateurs, négocier avec les éditeurs intéressés par mes titres, encourager de bonnes pratiques et s’assurer que les contrats sont bien établis. J’ai aussi découvert certaines difficultés, notamment liées aux paiements internationaux. Par exemple, lorsque j’ai acheté des droits en Turquie, le règlement a été complexe. Mais j’avance, j’apprends.
Cela m’a aussi apporté un bénéfice plus personnel. Nous, les Malgaches, avons parfois une forme de retenue vis-à-vis de nos voisins ou des étrangers. Or, à travers ma pratique professionnelle, j’ai pris conscience que les gens sont les mêmes partout dans le monde, et que moi aussi, petit éditeur malgache, j’ai la capacité de développer mon activité et de me sentir légitime sur la scène internationale.
C’est quelque chose de très personnel, mais ces expériences m’ont beaucoup valorisé. C’est aussi très culturel : elles m’ont aidé à faire évoluer mon propre référentiel, à la fois personnel et professionnel.
Dans quelle direction souhaitez-vous faire évoluer votre catalogue et quels sont vos objectifs au niveau éditorial ?
Fano Razafimamonjiraibe : Deux axes de développement sont amorcés pour l’année à venir. Le premier concerne l’achat de droits afin d’apporter davantage de diversité à mon catalogue. Nous avons acquis sept titres, dont deux sont actuellement à l’imprimerie, et d’autres sont en cours de négociation ou de traduction.
Pour les ouvrages portant sur Madagascar, j’ai prévu de renforcer nos collections documentaires. Jusqu’à présent, c’était moi qui réalisais toutes les recherches et rédigeais les titres documentaires, mais avec le développement de nos relations avec des auteurs, certains s’intéressent désormais à ces commandes éditoriales. Les axes faune et flore ainsi que la culture malgache restent pour l’instant nos priorités.
Enfin, nous allons introduire des titres destinés aux adolescents, notamment des bandes dessinées et des romans ; certains contrats ont déjà été signés avec des auteurs.
Nous avons également initié des coéditions documentaires avec des éditeurs africains pour élargir notre public et ne pas nous limiter à Madagascar. Ces connexions avec l’Afrique sont essentielles.
Je réfléchis actuellement au livre audio et au livre numérique, car j’ai la capacité de produire ces supports via mes autres entreprises, mais je dois encore renforcer mes investissements. Cela fait cependant partie de mes objectifs à moyen terme.
Si vous aviez un rêve réalisable pour les éditions Teny, quel serait-il ?
Fano Razafimamonjiraibe : J’aimerais que nos livres contribuent véritablement au développement de la maison d’édition, afin que nous puissions continuer à investir dans davantage de titres et participer à des foires internationales. Atteindre cette capacité financière et technique serait formidable. Pour l’instant, la maison d’édition est encore soutenue par mes deux autres entreprises. J’aimerais également trouver un réseau de diffusion international pour faire rayonner nos titres et accroître leur visibilité sur d’autres continents.
Crédits photos © Agnès Debiage
Par Agnès Debiage
Contact : adcfconsulting@gmail.com
1 Commentaire
Lalao-Elina Razanadriaka
01/06/2025 à 22:05
Tout d'abord c'est mon adresse mail personnelle.
Beau article Agnès. Tout est bien dit. Merci à Fano et à toi.