Commercialiser des cours d’écriture, que dispensent romancières et romanciers internationaux est devenu un modèle économique parmi d’autres dans les médias. À l’instar des croisières avec Christophe Barbier en guest-star. Mais qu’Agatha Christie figure sur la liste des profs, alors que décédée en janvier 1976, ça sent l’intelligence artificielle et l’ayant droit à plein nez…
Le 31/05/2025 à 11:17 par Nicolas Gary
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31/05/2025 à 11:17
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Près d’un demi-siècle après sa disparition, Agatha Christie « revient » enseigner l’écriture à une nouvelle génération, grâce à une masterclass proposée par BBC Maestro. Moyennant 79 £, les aspirants écrivains peuvent suivre ce programme animé par un double numérique de l’autrice, reconstitué à partir de ses archives, de ses textes et d’une performance d’actrice augmentée par l’intelligence artificielle.
La voix d’Agatha Christie, restituée par synthèse vocale, y dispense ses conseils sur des thèmes variés, de la construction d’un récit aux retournements de situation, sans oublier l’art de maintenir le suspense.
Les contenus pédagogiques s’appuient exclusivement sur ses écrits, lettres et entretiens, minutieusement compilés par quatre spécialistes reconnus de son œuvre : le Dr Mark Aldridge, Michelle Kazmer, Gray Robert Brown et Jamie Bernthal-Hooker.
Cette initiative survient dans un climat de débat intense autour des usages éthiques de l’intelligence artificielle, notamment au Royaume-Uni, où une réforme du droit d’auteur alimente les inquiétudes des milieux artistiques. Ici, toutefois, le projet a été validé par la famille de Christie, qui détient les droits de son œuvre.
« Nous ne prétendons pas ramener Agatha à la vie, seulement transmettre son savoir à travers ses propres mots », précise Michael Levine, directeur de BBC Maestro. Son arrière-petit-fils, James Prichard, a fixé des limites claires : « Notre seule ligne rouge, c’était que ce soient ses propres mots », explique celui qui est aussi directeur général d’Agatha Christie Ltd. « Et que l’image et la voix lui ressemblent. »
Aux côtés de Christie, BBC Maestro aligne une véritable communion d’auteurs : Isabel Allende, Jojo Moyes, Harlan Coben, Carol Ann Duffy, Lee Child… Douze apôtres et une messie de l’intrigue, en version IA. Alors certes, BBC Maestro le voit comme un moyen de transmettre l’héritage et de démocratiser le savoir, mais les critiques fusent : exploitation mercantile, consentement posthume inexistant, effets perturbants de l’image numérique.
Et dans le même temps, la concurrence devient rude pour les auteurs qui proposent eux-mêmes ce type de prestations : l’IA est certes devenue le bouc émissaire idéal, alors même que les revenus sont en baisse depuis longtemps. Cependant, faire passer pour une innovation technique et patrimoniale une utilisation marchande, c’est prendre les enfants du Bon Dieu pour des Anars sauvages.
D’autant que BBC Maestro est bien la filiale commerciale de BBC Studios, si besoin était de le préciser. Et que le groupe audiovisuel britannique entretient depuis longtemps une relation étroite avec le patrimoine Christie. Ces dernières années, elle a en effet produit plusieurs adaptations des romans.
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Et pourtant : tirer sur l’ambulance trop rapidement serait une erreur. Plutôt que de supprimer des emplois, ce projet illustre comment l’IA peut stimuler la création de nouvelles opportunités professionnelles. Pas moins de 100 personnes ont contribué à sa réalisation, élargissant l’équipe habituelle de BBC Maestro pour inclure des costumiers spécialisés dans les tenues d’époque, des maquilleurs et coiffeurs, des experts en effets visuels chargés de recréer l’apparence de Christie.
On fit aussi appel à des ingénieurs du son responsables de la transformation vocale de Keene en celle de l’autrice — laquelle affirme avoir ici joué « le rôle le plus inattendu de ma vie ».
Restent alors les aspirants écrivains qui inséreront dans leur CV ”a suivi les cours d'Agatha Christie”, perturberont plus d’un recruteur. « Ce n’est pas un contenu généré par IA. Ce sont des universitaires qui ont exhumé tout ce qu’elle a dit sur l’écriture. Et je crois que son message est ici mieux transmis et qu’il touchera plus de monde en étant présenté — si je puis dire — “par elle” », assure James Prichard auprès du Telegraph.
Selon BBC Maestro, le script utilise uniquement ses mots authentifiés, sélectionnés par des chercheurs, et le patrimoine conserve la supervision. BBC Maestro présente l’initiative comme un pont entre héritage et innovation, exploitant l’IA pour démocratiser l’accès au savoir littéraire. Et si les ayants droit sont heureux, alors pourquoi ne pas s’en réjouir ?
D’ailleurs, Tolkien, Proust, Socrate attendent déjà de prendre part à ces révolutions numériques indispensables et l’on frétille à l’idée que Jane Austen et la Comtesse de Ségur animeront des formations littéraires Romance et Enfance. Une technologie, par laquelle les morts reparlent, constituera ces prochains temps un petit marché lucratif pour des nostalgiques fortunés.
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À quand des cours de philo avec Sartre en hologramme existentiel, un Émile Zola coach en emails de dénonciation ou la rédaction de Mémoires avec un Rousseau en podcast. Et quid de Balzac conseil en business plans, version Comédie humaine 2.0 ou Molière, star ressuscitée… du spectacle vivant ? (NdR : d'accord, j'arrête).
La polémique n’a pas traîné, la société se trouvant accusée d’avoir réalisé un deepfake d’Agatha — sorte de crime de lèse-majesté outre-Manche. « Ce cours révolutionnaire a été élaboré pendant deux ans par une équipe d’environ 100 personnes, composée d’universitaires, de chercheurs, de créatifs et de spécialistes internationaux de l’œuvre d’Agatha Christie. Tous ont étudié en profondeur ses écrits et ses propos pour concevoir un programme fidèle à ses enseignements », répond le communiqué officiel de la BBC.
Or, le terme de deepfake désigne bien des vidéos, images ou extraits audio créés à l’aide d’intelligence artificielle pour paraître réels. Ils peuvent être utilisés à des fins ludiques ou de recherche, mais aussi pour imiter des personnalités comme des hommes politiques, dans le but de tromper délibérément. Que l’on ait l’accord des ayants droit n’y change rien.
À ce titre, rappelons que le Congrès américain a d’ailleurs récemment adopté le Take It Down Act, destiné à endiguer la prolifération des deepfakes et des contenus malveillants.
Car ce projet, aussi ambitieux qu’audacieux, ne se contente pas de faire revivre une figure iconique. Il positionne Agatha Christie comme une passeuse d’expérience pour le XXIe siècle, tout en posant les bases d’un nouveau dialogue entre mémoire, éthique et innovation.
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Nous entrons dans une ère où les figures majeures de la culture et de la pensée peuvent prolonger leur influence sous forme d’enseignants interactifs. Le désir du public d’apprendre des plus grandes voix de l’histoire littéraire trouve ici un écho tangible, rendu possible par les avancées technologiques.
La reconstitution d’Agatha Christie s’inscrit, de manière remarquable, dans une démarche empreinte de respect et de finesse. Chaque étape — de la sélection de l’interprète à l’élaboration vocale, jusqu’au travail minutieux sur les expressions visuelles — témoigne d’une volonté constante d’honorer l’intégrité de l’autrice.
À une époque marquée par les usages controversés de l’intelligence artificielle — deepfakes, répliques numériques sans consentement — ce projet se distingue par son exigence éthique et sa rigueur conceptuelle. Lorsqu’il s’agit de faire revivre les disparus, le public attend désormais une approche profondément réfléchie, respectueuse et porteuse de sens.
D'ailleurs, les curieux se rendront sur le Tiers Livre de François Bon, qui lui aussi s'est amusé avec un certain Honoré, en lui conférant une existence bien réelle : pas un Balzac prof de littérature, mais tout de même...
Crédits illustration : Marcel Proust à son bureau reconstitution par IA. Et pour rigoler, ci-dessous, la Comtesse de Ségur
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
3 Commentaires
Edco
31/05/2025 à 18:32
Je retiens : prendre les enfants du bon dieu , pour des anars sauvages ..... excellent !
Du coup , on nous dit , que c 'est de l ' AI ...( Artifice Intelligent) , aï(e) aï(e..)..
Ou IA ( Intelligence Artistique).
3615 code qui n' en veut pas
Ou
3615 code cherche prof remplaçant
......
Énervé
01/06/2025 à 03:18
C'est dégoûtant. Vraiment n'importe qui peut apprendre à écrire sans payer 79 livres pour une FAUSSE REPRÉSENTATION d'Agatha Christie qui t'apprends à écrire, qui sait ce qu'elle t'aurait RÉELLEMENT appris? Il y a pas d'auteurs VIVANTS et DISPONIBLES pour réellement t'enseigner? La paresse ultime, et vous osez agir comme si c'est super cool. Vraiment on devrait vous jeter du bateau
Marie
02/06/2025 à 07:32
On atteint vraiment le fond...de la bêtise, de l'inculture voire de l'acculture , j'en passe et des pires...Mais il ne faut pas faire avec, du moins c'est mon cas. Se gaver encore et encore des deux tomes "Anthologie de la répartie" par exemple, pour utiliser à l'écrit ou à l'oral. ?Que voila du bon et du vrai Français.