Dans un entretien accordé à ActuaLitté, Jean-Philippe Jaworski exprimait récemment sa gratitude envers Les Moutons électriques, la maison qui lui a « permis de lancer sa carrière ». Ce mardi 27 mai, il est revenu sur les difficultés liées à la campagne Ulule Visions du Vieux Royaume, s’adressant directement aux lecteurs et souscripteurs dont les contreparties n’ont été livrées qu’en partie. À coeur ouvert, il confie plus généralement « que ces dernières années ont été particulièrement décevantes », et d'en détailler les raisons.
Le 28/05/2025 à 18:53 par Hocine Bouhadjera
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28/05/2025 à 18:53
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Dans un premier temps, il explique le contexte de cette prise de parole « tardive » : « Au cours du festival des Imaginales, un lecteur m’a confié qu’il regrettait que je n’aie pas pris la parole à propos des préjudices subis par les souscripteurs de la campagne Ulule. […] C’est assez juste. D’où ce billet. »
En janvier 2024, afin de célébrer leurs 20 ans, affirmaient Les Moutons électriques, la maison lançait une énième campagne de précommande, cette fois dédiée à l’univers du Vieux Royaume de Jean-Philippe Jaworski. Elle devait accompagner la sortie du dernier tome du Chevalier aux épines, avec des éditions de luxe illustrées de Gagner la guerre, Janua Vera et Le Sentiment du fer. Le 13 janvier dernier, l'éditeur partageait que tous les colis avaient bien été expédiés. Néanmoins, des contreparties n’ont été livrées qu’en partie, assurent des participants à la campagne...
« Jusqu’à la dernière seconde nous nous accrochions encore à quelques espoirs et nous nous battîmes, pour au moins ne pas trop léser nos souscripteurs, tenir encore pour tout envoyer... », a expliqué Les Moutons, restant dans une certaine ambiguïté.
Jean-Philippe Jaworski partage : « Bien sûr, je suis terriblement embarrassé par cette souscription dont les contreparties n’ont été que partiellement distribuées. J’en suis navré pour les acheteurs dont l’enthousiasme et la confiance ont été déçus. » Et d'ajouter : « Me voici d’autant mieux placé pour les comprendre que je suis dans le même cas. » L’auteur précise : « Sur les 116.000 € rapportés par la souscription, je n’ai pas touché un centime. Non seulement mes droits ne m’ont pas été versés, mais ma crédibilité s’en est trouvée entachée – et ce, alors que je n’ai même pas eu l’initiative de cette souscription. »
Un proche du dossier nous explique que si la somme récoltée lors de la campagne peut paraître importante, les coûts réels de production se sont révélés sensiblement équivalents aux gains. La fabrication des livres, notamment due à l'augmentation du prix du papier, ainsi que la quantité de goodies inclus dans les contreparties, ont engendré des dépenses bien supérieures aux prévisions initiales.
Toujours au sujet de cette initiative, le Jean-Philippe Jaworski affirme qu’il a donné son accord « parce qu’il en était en quelque sorte l’otage », Les Moutons électriques n’étant alors pas en mesure de lui verser ses droits d’auteur autrement... Il évoque un triple préjudice : « Non seulement cette souscription ne m’a rien rapporté et mon nom s’est trouvé mêlé à ce demi-échec, mais la faillite des Moutons électriques m’a également privé de deux ans de droits d’auteur. »
Même s’il a pu « récupérer certains de [ses] droits dérivés » grâce à des délégations de paiement, cela ne compense pas, à ses yeux, l’ampleur des pertes : « Elles représentent l’équivalent de plusieurs années de salaire d’un professeur », pour situer.
Il en profite pour formuler une critique à peine voilée à l’égard de son ancien éditeur : « Si Les Moutons électriques ont évoqué les réelles difficultés conjoncturelles qu’ils ont rencontrées, ils se sont gardés de mentionner publiquement les gains conséquents que leur ont rapportés certains de mes droits dérivés. » Des gains qui, selon lui, « suffisaient par exemple à couvrir les pertes dues à leur litige avec MDS ».
En août 2019, Mnémos, Les Moutons électriques et ActuSF rejoignaient Média Diffusion pour relancer leur développement, après une période difficile chez Harmonia Mundi. Le déménagement, coûteux, entraîne une perte d’activité prolongée. Mais dès 2021, les éditeurs rencontrent de nouveaux problèmes : retards logistiques, erreurs de facturation, avoirs non crédités, ouvrages non livrés ou défectueux...
Si Jean-Philippe Jaworski exprime malgré tout sa reconnaissance envers la maison d’édition qui l’avait lancée. Il conclut : « Pour parler net, je ne cacherai pas non plus que ces dernières années ont été particulièrement décevantes. » Quant à son silence jusqu’à présent, il explique avoir préféré l’abstention à l’expression de sentiments « difficiles à contenir », d’autant plus qu’une procédure judiciaire est actuellement en cours. Il reconnaît cependant que ce choix a pu être mal perçu : « Sachez que j’en suis navré et que je suis le premier à partager leur indignation », conclut-il.
Jean-Philippe Jaworski a en effet assigné en référé Les Moutons électriques, désormais représentés par le mandataire chargé de la liquidation judiciaire, afin d’obtenir le versement de ses droits d’auteur impayés. Il attend la décision du tribunal : « Il est peu probable que je récupérerai les sommes dues », confie ce dernier à ActuaLitté, et de complèter : « J’ai néanmoins décidé de recourir à cette procédure pour trois raisons : par principe, pour que le montant de ma créance ne soit pas contesté au cours de la liquidation, et afin que l’ordonnance de référé intègre le dossier que je soumettrai au fonds d’indemnisation SGDL/SNE/SOFIA. »
Contacté par ActuaLitté pour réagir aux différents points soulevés par Jean-Philippe Jaworski, André-François Ruaud, fondateur et ancien directeur de la maison, nous indique, « après renseignement », qu'il est tenu par le devoir de réserve, du fait de la liquidation en cours. « De plus, je ne peux présenter l'avis de l'équipe qui dirigeait la maison dans les deux dernières années », ajoute-t-il. Il renvoie, « par conséquent », au dernier billet du blog des Moutons électriques, « qui expose tout dans le détail ».
Le 13 janvier 2025, André-François Ruaud annonçait la fermeture définitive de la maison d’édition. Une fin après vingt ans d’activité dans le domaine des littératures de l’imaginaire. Malgré un bilan encourageant à l’issue de 2023, la situation s’est rapidement dégradée. « Les retours enflèrent peu à peu, révélant que nos parutions de 2023 ne s’étaient pas vendues », expliquait l’éditeur.
« Prêts, subventions, nouveau site, nouveaux contrats… fort peu de ce qui était projeté se concrétisa », poursuivait l'éditeur, évoquant aussi une subvention non versée, une cyberattaque sur le site web, et des négociations commerciales qui n’ont jamais abouti. En décembre, les librairies continuaient à effectuer des retours au lieu de vendre. À l’été 2024, les signes d’un effondrement imminent se sont multipliés. Face au manque de trésorerie, un appel aux dons est lancé début septembre, avec un objectif initial de 3500 €, finalement dépassé pour atteindre 25.405 €. Mais le besoin réel était bien plus élevé : entre 50.000 et 70.000 €, selon ses propres estimations.
À LIRE - Les Moutons Électriques rêvent-ils de l'argent de Bolloré ?
Pour tenter de sauver la structure, André-François Ruaud revendait ses parts dans la librairie bordelaise Le Basilic. L'enseigne a finalement fermé ses portes le 12 avril 2025, invoquant la crise économique, la baisse de la lecture et des travaux urbains. Le fondateur de la maison renonçait par ailleurs temporairement à son salaire et gelait le recrutement prévu de Maxime Gendron, chargé du marketing. La situation ne s'est finalement pas améliorée.
Les deux auteurs phares de la maison ont depuis trouvé une nouvelle maison d’édition : Jean-Philippe Jaworski a rejoint les éditions Denoël, tandis que Stefan Platteau est désormais publié par Au Diable Vauvert.
Crédits photo : Domaine public (PxHere)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
2 Commentaires
Eugène Morel
29/05/2025 à 12:50
Du droit à l'arnaque comme exception culturelle. Depuis le temps que je dis que tous les écrivains devraient avoir une rente à vie du CNL, un HLM de la Ville de Paris comme Monsieur Matzneff , plus un droit de tirage sur les taxe sparafiscales (droit de prêt en bibliothèque, taxe sur les livres d'occasion et sur la copie privée etc)
Comité Livre Libre
02/06/2025 à 11:48
Mais de quoi parlez-vous ???
#WTF