« Je suis payé pour surfer, qu’est-ce que je vais aller foutre en Ukraine ? », se demandait Damien Castera au moment où éclate l’offensive russe en 2022. Pourtant, trois ans plus tard sort La liberté ne meurt jamais (Gallimard), récit où le surfer, aventurier et désormais écrivain publié à la Blanche revient sur ses trois voyages en Ukraine entre mars 2022 et mars 2024. Entre l’influence de Kessel et la naissance d’une nation en temps de guerre, nous avons discuté avec lui de son expérience.
Le 02/06/2025 à 17:28 par Ugo Loumé
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02/06/2025 à 17:28
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Alors qu'est-il allé y « foutre » ? Pourquoi ne pas plutôt avoir continué à faire le tour du monde de vague en vague, avec pour seul souci les compagnies aériennes qui maltraitent ses planches de surf ?
Champion d’Europe de longboard en 2010, l’angloye se hisse à la 5e place aux championnats mondiaux l’année d’après. Sur ce, il décide d’arrêter la compétition. « C’est un peu une école, déclare-t-il à propos de la compétition, ça forge le caractère », mais à 28 ans, il était temps pour lui de laisser parler l’aventurier qui sommeillait en lui depuis enfant.
« Je pratique une discipline qui est censée ouvrir à l’aventure, à la curiosité, à la découverte, mais ça ressemble de plus en plus à un sport comme les autres. Toute la partie romanesque tend à disparaître », regrette-t-il. Il quitte un world tour « très vite rébarbatif », pour se lancer dans la production de documentaires plus longs, qui laissent plus de place au surfeur basque pour s'exprimer : « Ma figure tutélaire c’est Kessel, qui a eu mille vies dans une seule existence. »
« Il y a très très peu de films de surf avec du fond derrière. C’est quasiment exclusivement orienté vers l’image », constate Damien Castera. Alors ses nouvelles expéditions l’emmènent en Alaska et en Papouasie Nouvelle-Guinée, en immersion la plus complète possible, en communion avec les éléments.
Puis vient le Libéria. Damien Castera y trouve une vague de classe mondiale à la frontière avec la Sierra Leone. La zone est encore traumatisée par les guerres civiles et leurs enfants soldats, « un passif hyper lourd, avec une grosse omerta ». Avec un budget de 15.000 €, lui et son ami Arthur Bourbon s'envolent pour un des pays les plus pauvres du globe. Les deux hommes y filment la première génération de surfeurs libériens et mettent la lumière sur les bienfaits du sport sur la jeunesse dans un contexte post-guerre civile.
Le documentaire s’appelle Water Get No Enemy, mêle des images d’archives de la guerre, un dessin animé et des plans de vagues surfées par Arthur Bourbon, Damien Castera et les locaux qu’ils ont rencontrés. Il remporte de nombreux titres et permet au surfeur-aventurier de toucher pour la première fois au sujet de la guerre.
« Quand j’étais gamin j’ai lu tout Jack London et tout Kessel », des auteurs pour qui l’aventure, c'est tout. Et « la guerre et l’aventure humaine par excellence », nous dit l’auteur de La liberté ne meurt jamais. Alors quand l’offensive russe débute, il remplit un camion de matériel médical et se dirige vers la frontière ukrainienne.
Au moment de partir, l’aventurier hésite : « Je me suis vraiment dit “qu’est ce qu’aurait fait Kessel ?”. J’avais la boule au ventre, j’avais besoin de ça pour me donner du courage, mais je ne pouvais pas ne pas y aller. »
S’en suivent pour Damien Castera cinq jours de route, « trois mille kilomètres d’asphalte monotone, de paysages endormis, de café chauds et de repas froids », tel qu’il le décrit en ouverture dans son récit. « Dans le camion je me pose beaucoup de questions », nous avoue-t-il, alors « pour faire passer le temps je me gave d’émissions de géostratégie ».
Puis à l’angoisse succède l’enthousiasme : « Pour une fois je participe à quelque chose de grand, qui me dépasse. » Parti pour une simple mission humanitaire, le basque se retrouve « deux mois plus tard dans des tranchées avec un casque et un gilet pare-balle ». Entre-temps le JDD lui propose d’écrire des articles sous forme de journal de bord et ses premières rencontres le motivent à revenir avec du matériel pour tourner un documentaire.
Il fait alors un bref aller-retour au Pays-Basque, le temps d’écrire son scénario et de convaincre son ami et caméraman Michael Darrigade, alias Boula, de l’accompagner. Pour construire la trame de son film, il se remémore la phrase d’Eva, Ukrainienne qu’il a rencontrée à son arrivée à Drohobytch : « Les journalistes font un travail remarquable mais, à force de parler des morts, on en oublie les vivants ! »
Damien Castera décide alors de « filmer la vie pour faire fleurir l’espoir ». Pour les images, pas de difficulté : habitué des tournages difficiles, « Boula » n'hésite pas une seconde et le rejoint en gare de Biarritz pour le grand départ : « C’est le seul mec que je pouvais emmener. » Pendant 2 mois, de mai à juin 2022, les deux hommes rencontreront les personnes qui font la fierté ukrainienne depuis le début du conflit.
Il y a Liev Skop, militant de l’indépendance au temps de l’URSS, un des premiers présents sur les barricades de l’Euromaïdan et peintre qui offre des icônes religieuses aux soldats ukrainiens. Olha Chernyshova, pianiste et chanteuse qui organise des ateliers de musico-thérapie pour les enfants traumatisés par la guerre. Seiby, jeune graffeur qui participe à l’effort de guerre en camouflant des véhicules civils réquisitionnés par l’armée. Ou encore Swampy, originaire de l'Île de Man et membre de l’unité de démineurs volontaires — disparu quelques jours avant la sortie de La liberté ne meurt jamais, nous apprend Damien Castera.
Le film, sorti en 2024 sur La Chaine Parlementaire, est une immersion dans la vie d’un pays et d’une population en guerre au 21e siècle. Les villes sont en ruines, les routes semées de débris, les terrains et les forêts minées, mais on y voit surtout des Ukrainiens résistants, soudés et volontaires. « Finalement, Poutine a construit l’Ukraine », analyse l’auteur.
Un troisième voyage sera organisé deux ans plus tard, à l’occasion de la diffusion du documentaire à Lviv. Damien Castera a du mal à y retrouver l'enthousiasme et l'énergie qui était celle des deux premiers voyages. La population est usée, une génération entière est sacrifiée, certains soldats n'ont pas été relevés depuis plus d'un an et demi, ce qui provoque un profond ressentiment dans les rangs : « L'euphorie patriotique s'est éteinte comme le feu meurt sous la pluie », écrit-il.
À LIRE — La guerre en Ukraine à travers les mots de ses écrivains
Ce sont ces trois expéditions qu'il raconte dans La liberté ne meurt jamais, toujours sous le mode journal de bord. Les personnages sont forts en caractère, hauts en couleur : « Je voulais écrire ce livre comme un roman sans fiction. Que mes personnages aient une consistance, des gueules, qu’on ait envie de les voir. »
« Je voulais que ce soit un récit d’immersion, dans lequel tu plonges », ajoute-t-il. Une recherche de récit brut, presque dénué d'analyse, « avec un souffle romanesque » : « Comme dans le documentaire d’ailleurs : il n’y a aucune voix off, pas de contextualisation, zéro explication. »
Une reconnexion à la réalité la plus pure possible, que permet paradoxalement l'expérience de la guerre : « Quand tu te retrouves dans une cave sous les bombardements avec quelqu’un, les liens sont instantanés, d’une évidence rare. » Une sensation de vie intense qui contraste avec la mort qui rôde partout : sur le front bien sûr, mais aussi dans les airs lors des bombardements.
C’est étrange... Tu composes avec tellement d’émotions différentes. Tu te demandes : "Est-ce que ça vaut vraiment le coup de risquer sa vie" ? Mais tu le fais parce que tu ressens le besoin de faire ta part, de participer à quelque chose. [...] Quand tu vis en France, tu te sens parfois déconnecté. Là-bas, tu retrouves une forme de réalité. Même si elle est atroce, elle est tangible.
- Damien Castera
En miroir, Damien Castera voit également un paradoxe dans nos sociétés en paix : « Aujourd’hui, en Europe occidentale, on a du mal à se construire parce qu’on ne vit plus ce genre de confrontation directe. On vit dans l’abondance, la paix, le confort. Et pourtant, nos démocraties vacillent. »
« On n’arrive pas à entretenir la paix que nos anciens ont construite, ajoute-t-il. Il faut vraiment que le couteau soit sous la gorge pour qu’on réalise ce qu’on a. On attend toujours le drame pour se réveiller, c'est vrai pour la guerre comme pour le climat. »
Crédits image : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Ugo Loumé
Contact : ul@actualitte.com
Paru le 08/05/2025
208 pages
Editions Gallimard
20,00 €
2 Commentaires
Yves
03/06/2025 à 07:25
Bon article sur un personnage atypique sans nul doute bien loin de la caricature du surfer oisif souvent relayée. Dites à un surfer que toutes les vagues se ressemblent, il vous rira au nez. Les vagues, comme les cieux, comme la neige et surtout comme les Hommes sont partout les mêmes et partout différents à la fois, cela nourrit le voyageur.
Jeune Poésie Publique
03/06/2025 à 13:12
"Aujourd’hui, en Europe occidentale, on a du mal à se construire parce qu’on ne vit plus ce genre de confrontation directe. "
hé Damien si tu kiffes autant la guerre & le sang ne te gêne pas pour repartir dans les tranchées boueuses et glacées, on attend tes mémoires de guerre avec impatience.
Danse avec les drones...
La psychologie à deux centimes, on en redemande.
#LOL