Quelque 300 auteurs francophones, parmi lesquels les prix Nobel Annie Ernaux et Jean-Marie Gustave Le Clézio, mais aussi plusieurs lauréats du prix Goncourt comme Leïla Slimani, Mohamed Mbougar Sarr, Nicolas Mathieu ou Éric Vuillard, appellent, dans une tribune publié dans Libération ce 27 mai, à « un cessez-le-feu immédiat » à Gaza, et qualifient les opérations israéliennes en cours de « génocide ».
Le 27/05/2025 à 17:13 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
27/05/2025 à 17:13
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Les signataires de cette tribune sont formels : « Tout comme il était urgent de qualifier les crimes commis contre des civils le 7 octobre 2023 de crimes de guerre et contre l’humanité, il faut aujourd’hui nommer le ‘génocide’. » La tribune rend un hommage appuyé aux écrivains et écrivaines de Gaza, tués, déplacés ou réduits au silence par la guerre, parmi lesquels Hiba Abu Nada, tuée par des bombardements israéliens le 20 octobre 2023, ou le poète Refaat Alareer.
« Israël tue sans relâche des Palestiniens et des Palestiniennes, par dizaines, chaque jour », développent-ils, et d'assurer : « Quand Israël ne les tue pas, il les mutile, les déplace, les affame délibérément. Israël a détruit les lieux de l’écriture et de la lecture − bibliothèques, universités, foyers, parcs. » Les auteurs de la tribune justifient leur prise de parole par leur métier même : « Une mort est aussi une censure. En tuant un écrivain ou une écrivaine, c’est une culture, une liberté, un témoignage, une archive que l’on efface. C’est tout un corpus qu’on oblitère et un silence qu’on impose. »
Pour les signataires, le devoir d’écrire ne s’arrête pas à la fiction. Il engage face à l’histoire : « Notre métier demande de nommer le réel et de rendre visibles ses zones d’ombres. Trop souvent, les mots ont servi à justifier l’injustifiable, nier l’indéniable, soutenir l’insoutenable. Trop souvent, aussi, les mots justes, ceux qui importaient, ont été éradiqués avec celles et ceux qui auraient pu les écrire. »
Face à la gravité de la situation, l’appel est clair : « Nous ne pouvons plus nous contenter d’appeler cela une "horreur", de faire montre d’une empathie générale et sans objet, sans qualifier cette horreur, ni préciser de quoi il s’agit. [...] Il faut aujourd’hui nommer le "génocide". »
Les écrivains tiennent à le rappeler : leur accusation s’appuie sur des positions déjà exprimées par de nombreuses organisations et institutions internationales : « La FIDH, Amnesty International, Médecins sans frontières, Human Rights Watch, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, les rapporteurs des Nations unies, et bien d’autres spécialistes et historiens. »
Les auteurs reprennent aussi à leur compte les mots récemment employés par des experts onusiens : « Alors que les États débattent de la terminologie (s’agit-il ou non d’un génocide ?), Israël poursuit sa destruction implacable de la vie à Gaza, par des attaques terrestres, aériennes et maritimes, déplaçant et massacrant en toute impunité la population restante [...]. Personne n’est épargné, que ce soient les enfants, les personnes handicapées, les mères allaitantes, les journalistes, les professionnels de la santé, les travailleurs humanitaires ou les otages. »
Les auteurs reprennent enfin une notion venue du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, rappelée par Alexis Deswaef, avocat à la Cour pénale internationale : celle de « spectateur-approbateur », ce responsable qui « regarde, se tait », et dont le silence devient une forme de complicité : « Nous ne sommes pas des responsables militaires ou politiques. Mais nous refusons d’être un public de spectateurs-approbateurs. Il y va non seulement de notre humanité et des droits humains, mais aussi de notre métier, mis en danger chaque jour à Gaza et chaque jour où nous refusons de dire et dénoncer ce crime. »
Le terme même de « génocide » est fermement rejeté par Israël, mais revient avec insistance dans les déclarations de plusieurs organisations de défense des droits humains, instances onusiennes et États tiers, notamment de « risque de génocide ».
Le génocide, en droit international, est défini par la Convention de 1948 comme l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Cinq actes peuvent constituer ce crime : meurtre, atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, conditions de vie entraînant la destruction, entrave aux naissances, transfert forcé d’enfants. L’élément central est l’intention génocidaire, qui doit être démontrée. Cette intention peut être déduite de discours, ordres, ciblages ou pratiques systématiques. Les juridictions internationales exigent aussi des preuves de caractère massif ou organisé. Des cas de jurisprudence comme le Rwanda ou la Bosnie ont établi ces fondements.
Des organismes comme l’ONU, Amnesty ou Human Rights Watch peuvent alerter sur un risque de génocide avant toute reconnaissance juridique formelle.
La tribune se conclut par un appel à une série de mesures immédiates : d’abord l’imposition de sanctions à l’État d’Israël, estimant que seule une pression internationale forte peut mettre fin aux violences. Ils demandent un cessez-le-feu immédiat, qui garantirait à la fois la sécurité et la justice pour les Palestiniens, la libération des otages israéliens encore détenus, ainsi que celle des milliers de prisonniers palestiniens incarcérés arbitrairement dans les prisons israéliennes.
Au-delà de ces urgences humanitaires et politiques, les signataires insistent sur la nécessité de nommer clairement les faits : reconnaître le caractère génocidaire des opérations en cours est, selon eux, un impératif moral, juridique et historique, auquel nul ne saurait se soustraire.
Parmi les signataires, outre ceux qui ont été cités précédemment, Julia Kerninon, Vanessa Springora, Paul B. Preciado, Rokhaya Diallo, Kev Lambert, Gaël Faye, Jérôme Ferrari, Mona Chollet, Maylis de Kerangal, Abdellah Taïa, Faïza Guène, Lydie Salvayre, Virginie Despentes, Laurent Gaudé, Martine Delvaux, Alice Zeniter, Hélène Dorion… La liste complète est à retrouver dans Libération.
Depuis le 17 mai, Israël a intensifié ses opérations militaires, affirmant vouloir libérer les derniers otages israéliens, prendre le contrôle total de Gaza et « anéantir le Hamas », mouvement islamiste au pouvoir dans l’enclave palestinienne depuis 2007.
Depuis la fin de la trêve le 18 mars, les bombardements israéliens sur Gaza ont fait plus de 3700 morts, dont de nombreux enfants. Lundi 26 mai, une frappe a par exemple détruit une école-refuge, tuant au moins 36 personnes, dont 18 enfants. Tsahal affirme cibler des infrastructures du Hamas, mais la population civile paie un lourd tribut.
Plusieurs hôpitaux et écoles sont visés, justifiés comme étant des « centres de commandement ». Une nouvelle proposition de cessez-le-feu incluant libération d’otages et trêve de 70 jours a été acceptée par le Hamas mais reste sans réponse d’Israël. Le ministre Ben-Gvir a aggravé les tensions en priant sur l’esplanade des Mosquées.
L’armée israélienne mène depuis plus de 19 mois une vaste offensive sur la bande de Gaza, territoire sous blocus, ravagé par les frappes et confronté à une crise humanitaire aiguë. Cette opération militaire a été déclenchée en réponse à l’attaque du 7 octobre 2023 : ce jour-là, des commandos du Hamas infiltrés depuis Gaza avaient lancé une offensive d’ampleur inédite dans le sud d’Israël.
Selon un décompte établi par l’AFP à partir de données officielles israéliennes, cette attaque a coûté la vie à 1218 personnes, en majorité des civils. Parmi les 251 personnes alors enlevées, 57 sont toujours retenues en otage, dont 20 sont « vivantes avec certitude », d’après le Premier ministre Benjamin Netanyahu. En représailles, les opérations israéliennes ont provoqué la mort de 53.977 personnes à Gaza, là encore majoritairement des civils, selon le ministère de la Santé du Hamas – un chiffre jugé fiable par l’ONU.
À LIRE - Gaza : une levée de fonds pour les bibliothécaires et leurs familles
Le 26 mai 2025, les dirigeants du Parti socialiste, du Parti communiste français et des Écologistes ont manifesté ensemble au Trocadéro pour dénoncer le « génocide » en cours à Gaza. Olivier Faure a évoqué une politique « pensée, planifiée et revendiquée », tandis que Fabien Roussel a fustigé la non-reconnaissance d’un État palestinien par la France. Marine Tondelier a souligné l’enjeu moral de la situation. Aucun élu de La France insoumise n’a participé au rassemblement, mais Jean-Luc Mélenchon a salué ce ralliement, jugé tardif, sur X.
Crédits photo : UN Women (CC BY-NC-ND 2.0)
Par Hocine Bouhadjera
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9 Commentaires
Cyril Balcon
28/05/2025 à 00:39
https://x.com/24hPujadas/status/1927426401130484218
Caroline Fourest toujours excellente
perkeo
29/05/2025 à 12:12
Affamer une population est une forme de génocide selon le droit international (e.g. l'Holodomor). Votre « excellente » devrait s'informer.
Cyril Balcon
30/05/2025 à 00:22
Votre championne Rima Hassan (si reconnaissante de sa naturalisation, qu'elle nous chie dessus H24 (elle crache pas sur le pognon des "gwers" par contre)) nous les brise depuis Octobre 2023 sur le génocide à Gaza (à trop crier au loup).
Et Vincent Lemire dit :
« Le mot ”génocide” provoque une sorte de court-circuit psychique dans l’opinion publique internationale, car on touche à l’épine dorsale des consciences humaines : comment les descendants des victimes de la Shoah pourraient-ils en commettre un ? »
« Concernant Gaza, en tant qu’historien, je parle de ”guerre d’éradication”, au sens étymologique, car il s’agit bien de ”déraciner” une population, par les bombardements, la faim, la soif, ou l’expulsion. Il s’agit de supprimer le ”problème Gaza”, pour reprendre la sémantique de Bezalel Smotrich, le ministre des Finances israélien, et ce plan remonte à fin 2023. »
sortant d'une IA :
En résumé, selon les éléments documentés et les analyses juridiques et humanitaires, il y a une forte argumentation pour considérer que la situation à Gaza pourrait constituer un génocide. Toutefois, cette qualification reste sujette à débat juridique et politique, et aucune reconnaissance officielle universelle n’a encore été formellement prononcée à ce jour.
C'est aux historiens et juristes de qualifier la guerre d’éradication de Netanyahou de "génocide" pas à des activistes (mais ça sert la propagande ignoble de LFI). Caroline Fourest a raison.
Je rajoute que le plus grand peuple sans pays que sont les Kurdes et eux ils vous intéressent très très peu (non en fait vous en foutez complètement) votre si belle "gôche" (et oui les bourreaux ne sont pas Juifs se sont des "bons musulmans" donc "ça va").
Rose
28/05/2025 à 08:08
Rien sur la planète ne justifie la destruction d'un peuple, quel que soit-il. Nous savons dans l'Histoire que cette inhumanité a déjà existé plusieurs fois et les dommages collatéraux sont encore présents. Nous pensions, avec notre intelligence et notre raison, que ces désastres n'adviendraient plus jamais. Que peut-on évaluer des civilisations humaines ? Évoluer ?
Noone
28/05/2025 à 09:35
Parler de génocide à propos d'Israël et des Juifs - qui eux ont bien failli disparaître sous la barbarie nazie - est tout simplement une infamie !
Ces écrivains manient très mal la langue française, un comble...
Le fait même de parler de génocide perpétré par des Juifs n'est pas le signe, comme certains s'y emploient, que nul n'est en mesure d'échapper au Mal absolu, mais plutôt celui d'autre chose, vous m'avez compris.
Faut-il rappeler que les victimes tombées à Gaza ont surtout servi de boucliers humains au très cynique et très criminel Hamas ?
Faut-il rappeler encore que si le Hamas rend tous les otages, tout s'arrête ?
Et faut-il rappeler toujours que si Israël s'arrête de combattre pour sa survie, demain les frappes meurtrières contre lui recommenceront "de plus belle" ?
C'est cela que souhaitent ces "belles âmes de gauche" ? Qu'Israël se laisse bombarder, pogromiser, effacer "du Jourdain à la mer" sans réagir le moins du monde ?
Mouais
28/05/2025 à 09:50
Une remarque préalable sur les chiffres du Hamas. Qui annonce plus de 50000 morts.
Depuis quand prend-on pour argent comptant ce que racontent les agresseurs et les criminels ?
Et la position de l'ONU, ouvertement pro-arabe, n'est pas plus un gage de véracité...
Sinon, un génocide, ça n'est pas ça. L'emploi de ce terme nécessite des preuves de la volonté politique de faire disparaître tout un peuple.
Israël a seulement affirmé qu'il voulait éradiquer l'organisation terroriste du Hamas. Les civils tués l'ont surtout été parce que le Hamas s'est abrité derrière ou sous eux - une lâcheté et un cynisme sans nom.
Faire semblant de croire, ou pire de vouloir faire croire le contraire n'est pas digne d'intellectuels ou de responsables politiques, même s'ils ont pour eux d'appartenir à la gauche.
L'Histoire les jugera. Et ne sera pas tendre avec eux.
Rose
29/05/2025 à 06:37
Mouais, mais non,
Pour les chiffres, ils viennent majoritairement des organisations humanitaires qui aident partout dans le monde ; The Lancet ajoute 41% de victimes en plus, sous les décombres, tout ça.
Par ailleurs, peut-être ne pas amalgamer Israël et ce gouvernement actuel sectaire. Ce n'est pas une histoire de politique mais une histoire d'humanité. Les faits démontrent beaucoup de morts et c'est bien triste.
Bien sûr que toutes les personnes destructrices seront jugées, tant par la Justice que dans l'Histoire quand la vérité éclatera et vous n'avez pas encore la vérité.
perkeo
28/05/2025 à 17:08
Bravo.
Tous les médias ont parlé de leur initiative.
Aujourd'hui, c'est une lettre de 380 écrivains britanniques et irlandais qui est publiée, portant le même message: bbc(dot)com /news/articles/c0qgpve3qzgo
Aurélien Terrassier
09/06/2025 à 09:30
Bravo à ces écrivains qui s'engagent contre la politique militaro-coloniale et genocidaire du gouvernement israelien. Adele Haenel apporte aussi son soutien légitime a Urgence Palestine menace de dissolution et Anasse Kazib qui doit être jugé pour "apologie de terrorisme" dans quelques jours alors qu'il n'a fait que critiquer la politique genocidaire de Netanyahu. Faire taire toute critique contre la politique criminelle de Netanyahu n'est pas digne d'une démocratie comme la France, c'est honteux! https://youtube.com/shorts/5gvd-4ofCOs?si=cvLqxvewZu98xB-6 Même si Emmanuel Macron a reconnu toutefois un massacre, nous verrons bien ce qu'il fera de sa promesse de créer un Etat palestinien. Mais je crains que cela soit un vœux pieux...