Littérature de l’hypothèse par excellence, l’Imaginaire interroge toujours : « Et si…. » Alors ActuaLitté pousse le bouchon et la réflexion : « Et si l’Imaginaire entrait au Collège de France ? » La BD y fut conviée récemment par l’entremise de l’infatigable Benoît Peeters, comme un grand chambardement. Alors… science-fiction, horreur, fantasy, fantastique… pourquoi pas à leur tour place Marcelin Berthelot ?
Le 27/05/2025 à 12:48 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
27/05/2025 à 12:48
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Idée saugrenue ? Peut-être. Mais qui, surtout, laisse songeur : quitter la marge supposée, afin d'exister au sein des saints (ça commence bien...) : entrer dans cette institution, au risque de trahir ce qui fait la force du hors-piste : son romantisme, sa liberté ? C'est un sinueux chemin que nous avons collectivement arpenté pour en arriver là : tout commença dans nos locaux et s'achève au café l’Ambassade, à Épinal. Ici, entre utopies débridées et héros en marge, les Imaginales déroulent leur foire des possibles : au cœur, le Hors normes.
Voici comment l'Imaginaire s'est invité à la table. Comment je me suis retrouvé en compagnie de deux figures hautes en verbe et en couleur. Comment s'est imaginée une Leçon inaugurale ouvrant la voie aux littératures de l'Imaginaire, au Collège de France. Et sans oublier sa serviette...
Le train pour Épinal partira ce jeudi, en fin de journée. Quelques heures plus tôt, la conférence de rédaction s’interroge sur le thème 2025 des Imaginales : Hors-normes. Comment l’aborder sans tomber dans les lieux communs ? Le contre-pied s'impose, d'une simple question : quelle est la normalité de l’imaginaire ?
Après tout, la norme, dans les littératures de l’imaginaire, ne serait-ce pas précisément cette dimension hors piste, fuyant les ornières ? Gilles Francescano, directeur artistique du festival, n’en doute pas une seconde : « Tout le monde est hors normes. » Même moi ? Oui, toi aussi. Je me sens comme un Monsieur Jourdain...
Certes, mais un festival comme Les Imaginales n’a rien d’un salon comme Metz, Brive ou le très classique Livre Paris, rebaptisé depuis. Les lecteurs ne sont pas les mêmes, ils participent souvent à des communautés. Les éditeurs n’ont pas les mêmes dégaines. Les auteurs sont à l'aune. Ici, la spécificité ne se proclame pas : elle se vit, tout simplement. Elle s’éprouve autant qu’elle justifie au fil des ouvrages : qu’il soit question de futurs lointains, de fantômes errants, de planètes inconnues ou de jeunes vampires au charme ténébreux...
L’Imaginaire, c’est un corps, parfois divisé, comme lorsqu’on photographie un regard. D'un côté, cet œil, chargé de sa propre expression. Et l’autre, empreint d'une émotion différente, semble appartenir à un double. Alors forcément, l’idée de voir l'imaginaire franchir un jour les portes du Collège de France fait grincer quelques dents. D'autres bichent : enfin une reconnaissance légitime de leur travail.
Mathias Echenay, des éditions La Volte, annonçait récemment : l’Imaginaire entre à l’Académie française. Frisson, jubilation… jusqu’à ce qu’il précise : poisson d’avril. Un post sur LinkedIn – peut-être, l'intéressé ne se souvient plus si clairement - a provoqué l'enthousiasme ou les rires. D’autres ont tu leur agacement, dans un silence poli du clavier...
On devise, on rêvasse, on tourne autour de cette hypothèse farfelue et séduisante - l'Imaginaire au Collège de France, rappelons-le : il fallait bien convoquer ceux qui font l’Imaginaire pour nous aider à y voir plus loin... Nous avons proposé à Davy Athuil, co-directeur du label Mu des trentenaires Éditions Mnémos, de se prêter à l’exercice. Un ancien juriste en droit social qui questionne le genre sans relâche, le pousse dans ses retranchements, l’éprouve comme on teste un amour idéal. Pour l'accompagner, Marion Mazauric, qu’on ne présente plus - passée par J’ai Lu, capitaine fondatrice du singulier vaisseau qu’est Au Diable Vauvert...
À charge pour eux d’imaginer la Leçon inaugurale, si jamais ces littératures réfractaires franchissaient les seuils du Collège de France. Deux voix libres décidées à ouvrir grand les portes de l'établissement, pour entrer en fanfare... Ils sont fous : ils ont accepté. Et moi, soulagé : le papier aurait eu moins de cachet sans eux...
Rendez-vous est pris avec un cap clair : ne pas refaire la Nupes ? Non : si vous deviez écrire cette entrée en matière, qu’y mettriez-vous ? L'inventivité et l’engagement ont fait le reste : ce qui ne devait être qu’un simple échange s’est mué en deux textes à part entière, partagés à la fin de cet article. Deux visions, deux manières d’habiter l’Imaginaire : une plus idéaliste, l'autre plus matérialiste.
L'éditrice de Morgane Caussarieux est formelle : l’Imaginaire n’est pas un genre, mais le cœur vivant de toute littérature. Le cantonner à une catégorie, c’est céder à des logiques marchandes, étrangères à l’histoire littéraire. Depuis les mythes fondateurs jusqu’aux récits contemporains, la fiction puise dans l’étrange pour éclairer le réel. Aujourd’hui, le roman doit s’ouvrir à toutes les hybridations pour redevenir un miroir du monde. « Car, comme l’écrivait Aragon, il faut une littérature capable d’aller vers les étoiles. »
De son côté, Davy Athuil l'affirme : la littérature de l’imaginaire n’a jamais changé le monde à elle seule - ce sont les lecteurs, éveillés par ses récits, qui portent le changement. Elle capte les tensions du présent, éclaire les devenirs possibles, et agit comme un révélateur des mutations humaines. Face aux périls contemporains, elle peut nourrir une conscience lucide et solidaire. Car dans un monde assombri, croire en la lumière reste un acte de résistance.
Nous voici tous trois accoudés au zinc de L'Ambassade, à quelques encablures des Imaginales. Il est 15h, la lumière est douce, l’air léger. Marion a le cerveau en ébullition - la table ronde sur le body horror a allumé mille connexions. Davy, lui, arbore ce large sourire et des yeux rieurs. L'une comme l'autre prêts à fondre sur ce Collège.
La conversation est décousue : l’Imaginaire n’est pas un genre mais un geste, un pas de côté. Le roman s’est parfois figé en ornement bourgeois, tandis que SF, fantasy, fantastique disent toujours le monde autrement. La segmentation est une invention marchande récente, née pour ranger, vendre, baliser — et non pour créer. Toute œuvre vivante est, par nature, hors norme.
Et qu’au fond, ce ne sont pas les livres qui changent le monde, mais celles et ceux qu’ils réveillent...
D'ailleurs, Mozart n'aurait pas écrit son Requiem. Là je comprends : dans l'Imaginaire, tout devient possible. « Et si... »
Et tiens les coordonnées de mes interlocuteurs à disposition de ces dames et messieurs du Collège. En leur proposant, tout d'abord, de consulter les deux textes qui nous ont été confiés. Imaginaire, d'accord, mais avec sérieux.
La leçon inaugurale de Davy Athuil / La leçon inaugurale de Marion Mazauric
Crédits photo : Marion Mazauric et Davy Athuil (ActuaLitté, CC BY-SA 2.0)
DOSSIER - Un chihuahua et des elfes : Les Imaginales 2025 renversent les codes
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
2 Commentaires
Floriane
27/05/2025 à 16:10
Que de beaux articles à lire ! Bravo !! Il va me falloir un donjon à Naheulbeuck pour les lire en toute tranquillité et pas que 2 min comme le peuple ^^
Rose
28/05/2025 à 07:57
Non, non, Maurice, heu ! Actualitté, ne poussez pas le bouchon à aller coincer l'imaginaire dans un truc homologué, laissons-le circuler librement en lui laissant tous les possibles.