Singulier roman ! Un Christ apaisé, quasiment hippie, en orne la couverture, sur fond de ciel bleu. On y croise Jésus, donc, devenu luthier, ou encore Marie-Madeleine, ou plutôt sa réincarnation. D’étranges meurtres se produisent, sur des jeunes filles devenues poupées empaillées, tandis que le messie a un fils… Tradition chrétienne et mythologie païenne se mêlent, pour fonder une sorte de théogonie inédite, faisant de L’Absolue rencontre un livre hybride, inclassable. Publié par les soins de Jacques Cauda à « La Bleu-Turquin » (éditions Douro), illustré par Nicolas Le Bault, ce nouvel opus signé Frederika Abbate surprend autant qu’il séduit. Par Etienne Ruhaud.
Le 26/05/2025 à 11:36 par Auteur invité
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26/05/2025 à 11:36
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ActuaLitté : Tu es d’abord critique d’art et essayiste. Tu as ainsi écrit sur le néo-féminisme, ou encore sur Letizia Battaglia, figure de la lutte anti-mafia. Mais tu es aussi romancière. Y a-t-il un lien entre ces deux aspects de ton œuvre ?
Frederika Abbate : C'est l'inverse si on peut dire. Je suis en premier lieu romancière. J'ai publié plus de romans que d'essais. Et ma source vive est le romanesque. C'est la faculté d'imaginer d'autres mondes qui me permet de mieux saisir le mien. C'est par le romanesque que se développent mes facultés d'observation, d'analyse, de pensée.
Ce qui lie l'écriture des essais et l'écriture des romans, c'est le rapport au monde, les personnalités, ce qu'elles sont, leurs actions. Mais c'est beaucoup plus difficile d'écrire un roman qu'un essai. Un essai, il y a une base, des éléments concrets, la réalité tangible. Pour un roman, il faut tout construire. Et puis, l'analyse et l'observation ne suffisent pas pour écrire un roman. Il faut transposer, sublimer.
Peux-tu nous éclairer sur le titre ? Quelle est cette « absolue rencontre » ?
Frederika Abbate : L'absolue rencontre, c'est l'amour. Ce qui ne se choisit pas. Ce qui ne se décide pas. Ce qui ne meurt jamais. Ce qui est inconditionnel.
Le roman semble polyphonique. Plusieurs jeunes filles sont assassinées dans des circonstances particulièrement sordides. Es-tu influencée par le polar ?
Frederika Abbate : On ne sait pas vraiment comment elles sont assassinées. Ce qui est impressionnant, c'est la mise en scène des corps morts des jeunes filles. Elles sont transformées.
L'entité qui assassine veut délivrer un message. Le choc provient de la cruauté de la mise en scène et de la beauté du tableau. Cela forme un court-circuit dans l'esprit. La cruauté, la mort, et la jeune fille avec aussi la beauté de la transformation. C'est cela qui est cruel et qui signifie quelque chose. Que nous ne dévoilerons pas pour laisser le plaisir au lecteur.
Ces meurtres sont d’une grande brutalité. Par ailleurs on assiste à des scènes sexuelles dures, sado-masochistes. Pourquoi ce choix ? Peut-on parler d’une sorte de théâtre de la cruauté ?
Frederika Abbate : Les meurtres ne sont pas montrés. On ne sait pas comment ils se déroulent. Ce n'est pas cela qui est important dans le livre mais le tableau que l'entité fabrique à partir de corps des jeunes filles. C'est cruel, oui. La cruauté est en opposition avec le monde de douceur et d'amour qui occupe une très grande place dans le roman, et qui est son principal message.
Pour moi, l'un ne va pas sans l'autre. Il n'y a rien de gratuit dans ce que j'écris. Les scènes sexuelles masochistes auxquelles tu fais allusion concernent le personnage de Marguerite de Mongereaux, qui écrit deux types d'ouvrages, avec un pseudonyme différent pour chacun. Il y a ses livres mystiques et il y a ses livres érotiques. Elle fait la séparation entre le corps et l'esprit. L'arrivée de Jesùs (je mets l'accent sur le « u ») la bouscule dans cette séparation du corps et de l'esprit.
Le premier Jésus a dit : « Je suis venu apporter le glaive. » Le glaive qui tranche entre le faux et le vrai, etc. Là, le nouveau Jesùs a tranché dans son opposition, justement, opposition de la chair et du mental. C'est cela qui la traumatise et chamboule sa sexualité. Elle retourne cela contre elle.
Pour moi, la séparation du corps et de l'esprit, qui sévit de plus en plus actuellement, est très néfaste. Le monde se déréalise. Les écrans, la perte de sens, ces modes fluides, liquides, effacent les corps. D'où le « désert sensuel » dont je parle dans mon essai La femme est une île – Vie et mort d'Éros à l'heure du néo-féminisme. Le problème, ce n'est pas le corps. Le problème, c'est la dé-corporéisation. Et cela crée de la violence. Violence envers autrui ou violence retournée contre soi.
Ces jeunes filles deviennent des sortes de poupées empaillées. Dans un précédent roman (La Transparence des voiles, Nouvelles Editions Place, novembre 2018), tu avais déjà mis en scène une artiste fabriquant des poupées. D’où te vient cette obsession ? Faut-il y voir une référence à Kokoschka ou à Hans Bellmer ?
Cette petite obsession vient de ma mère. Ma mère m'a eue tard, elle avait eu déjà trois enfants et j'ai une grande différence d'âge avec eux. Elle pensait ne plus tomber enceinte. Elle m'a reçue en quelque sorte un peu comme un don du ciel et je crois qu'elle a voulu faire de moi une poupée quand j'étais petite. Elle prenait grand soin de mes vêtements, de mes coiffures.
Mais au-delà de ce souvenir, la poupée concerne le semi-vivant, l'artificiel, les créatures fabriquées, comme le Golem ou Frankenstein, ou la créature du film Ghost in the Shell de Oshii, ou les Réplicants de Blade Runner. J'adore ce film. Ces créatures font plonger dans le mystère absolu de l'humain, du vivant. Que sommes-nous en réalité ?
Cette omniprésence du sexe fait-elle de L’Absolue Rencontre un roman érotique ? Le rapport entre Jésus et Magdeleine Sauvan est d’une grande tendresse…
Frederika Abbate : Le sexe n'est pas omniprésent dans L’Absolue Rencontre. Mais je comprends que tu puisses le penser car dès qu'on met des scènes d'amour dans un livre, l'érotisme fait aussitôt pencher la balance de son côté. L'érotisme occupe une place spéciale dans notre esprit, c'est pour ça. Oui, le rapport entre Jesùs et Magdeleine est d'une grande tendresse. C'est la fille simple, douce. Elle est puéricultrice, près des petits.
Elle a la faculté de communiquer avec eux, ceux qui ne parlent pas. Elle est au-delà de la simple communication verbale. Parce qu'elle parle de cœur à cœur comme disent les Japonais. C'est aussi quelqu'un qui a été blessée dans son enfance et son adolescence. Tout cela la porte à avoir une relation privilégiée avec Jesùs.
On oublie souvent de voir que la personne qui a découvert que le tombeau de Jésus était vide, la première personne qui l'a croisé quand il est ressuscité, c'est Marie-Madeleine. La résurrection constitue la base du christianisme. Et c'est par Marie-Madeleine que cela s'est révélé.
Tu mets en scène un retour de Jésus (Jesùs Salgado, dans le roman). Ce même messie est différent évidemment du Christ historique. Il est luthier, entre autres, porte un nom hispanique… Pourquoi avoir ainsi brouillé les pistes ?
Frederika Abbate : Mon personnage est inspiré de la figure du Christ. Mais il revient maintenant, donc je l'ai imaginé revenir de nos jours. Le Jésus historique et de la croyance était menuisier, comme son père. Je l'ai voulu luthier parce qu'en cela, il travaille le bois comme un menuisier, et il est artisan.
Mais là, il a aussi un rapport avec la musique. Sa mère vient du chant. Le premier Jésus n'avait pas de patronyme car à cette époque les gens n'en avaient pas, mais maintenant, oui. Alors j'ai choisi que son nom soit d'origine hispanique car Jesùs est un prénom usité dans ces régions.
Quel est ton propre rapport au Christ ? Te sens-tu mystique ?
Frederika Abbate : J'aime cette phrase de Flaubert « Je suis mystique au fond et je ne crois à rien ». Je ne peux pas dire que je ne crois à rien, mais j'aime ce que dit Flaubert parce que cela rend compte de la profondeur de la question, de l'impossibilité de trancher. Se déclarer athée par exemple me semble un peu puéril. Et je pense que cela a à voir avec le rapport au père. Car pour la divinité, au fond, on ne peut pas savoir. Et la Nature, de toute façon, existe. Elle nous dépasse.
Mais il faut comprendre que Dieu n'est pas le père Noël. Il ne nous évite pas le malheur. Il nous aide à le supporter. Et les rituels ont une importance capitale car ils nous coupent momentanément du monde de l'utile et de la course temporelle qui nous fait courir tout le temps. Ce sont des plages de hors-temps bénéfiques. Je dois dire aussi que je suis farouchement anti-cléricale et je déteste les dogmes et les superstitions.
Peut-on parler d’une sorte de cinquième Evangile ? D’une nouvelle religion, en quelque sorte ?
Frederika Abbate : Il faut laisser la littérature à la place qui lui convient. Je sais qu'à l'heure actuelle, la mauvaise qualité romanesque est omniprésente. Mais mon texte n'est pas sacré, même si la part de sacré est importante dans ma vie et dans mon écriture. L'écriture est sacrée.
La théogonie que tu proposes correspond à une forme de syncrétisme, puisque tu mélanges traditions païennes (mythologie grecque, pour reprendre tes propres mots, p. 98), et religion chrétienne. Pour autant, là où Jésus semble amour, les figures païennessont brutales puisque les jeunes filles sont donc sacrifiées pour devenir ces fameuses poupées. Devons-nous en conclure que tu te sentes d’abord chrétienne ?
Frederika Abbate : Dans cet extrait, qui est un écrit de Marguerite de Mongereaux, ce qui est pointé, c’est le passage d'une étape de la religion à une autre. Cela fait allusion à la mort, à la renaissance perpétuelle. J'aime les églises baroques car en elles, on a un mélange raffiné et subtil de paganisme et de christianisme. Et la place Saint-Pierre de Rome est un exemple parfait de cet alliage.
Il y a les colonnes et l'harmonie grecques, la douceur et la rotondité de l'esthétique catholique. J'aime ces mélanges, parce que cela montre que le sacré est au-dessus des églises, des dogmes et même des religions.
Quelques allusions au satanisme apparaissent au détour de plusieurs pages. Peux- tu nous en dire plus ? Lis-tu, par exemple, Aleister Crowley ?
Frederika Abbate : Le satanisme en tant que tel ne m'intéresse pas. La sorcière dans mon roman est importante car elle joue un rôle par rapport au mal, ce mal que va combattre la puéricultrice, jeune fille au cœur pur.
Il peut sembler contradictoire, sinon blasphématoire, d’associer Jésus au sexe. Le nouveau Christ a effectivement un très beau rapport avec Magdeleine, à la fin. Souhaitais-tu provoquer ou tout simplement imaginer un Jésus différent, plus humain, plus charnel ?
Frederika Abbate : Je te remercie beaucoup de dire que Jesùs a un très beau rapport avec Magdeleine. Je suis contente qu'on y soit sensible. C'est le cœur du livre. La particularité du christianisme c'est la divinité faite chair, la double polarité esprit/chair. En effet, cela peut sembler blasphématoire d'associer la divinité au sexe mais telle n'est pas mon intention.
Notre monde est malade, malade de dé-corporéisation. Il y a ce « désert sensuel » dont j'ai déjà parlé, le manque d'amour, la dénatalité. Les gens ne pensent qu'à consommer. Ils sont pris dans un écoulement privé de sens, où leurs sensations sont affadies, réduites à répondre à des standards. J'ai fait revenir la divinité sur terre pour sauver le monde de cette maladie. Il est le Dieu fait chair. Donc, avec moins de consumérisme et plus de sens, d'art, de littérature, de vie tout simplement, nous pouvons être divins.
Parfois cruel, le livre s’achève sur une forme d’apaisement total. Ton lyrisme semble se déployer dans les dernières lignes. « Mon seul salut reste dans l’écriture », pouvons-nous lire page 98. Penses-tu que la littérature sauve ? Qu’elle apporte le bonheur, ou, à tout le moins, une forme de quiétude ?
Frederika Abbate : Oui et pas que cela. La littérature, l'art non seulement sauvent, mais c'est ce qui fait le monde. Car ce sont les garants de la durée au-delà d'une vie humaine, et en cela, ils donnent le sens. Seul ce qui vaut de durer donne le sens à la vie et au monde. C'est pourquoi un monde sans art, sans littérature, est un monde voué à mourir. Alors, oui, il faut le sauver.
Par Auteur invité
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3 Commentaires
Voisurtonchemin
27/05/2025 à 18:43
Je n'ai rien contre la masturbation, mais il faut arrêter d'essayer d'en faire des bouquins...
ETIENNE RUHAUD
30/05/2025 à 05:09
Vous pourriez vous montrer plus explicite? Et user de votre vrai nom, quand vous écrivez. Bonne fin de semaine, ETIENNE RUHAUD
Psilocybine
28/05/2025 à 03:20
LOL un peuple de PRIMATES qui se croit d'Essence Divine :
"Ainsi, si notre planète existait depuis 24h, la Terre aurait commencé à se former à minuit, La Lune aurait été créé à la treizième seconde. Vers 21h la vie commence à apparaître dans les océans, puis à se développer sur terre à 21h50. Les dinosaures arrivent à 22h53 pour disparaître à 23h39. Les mammifères arrivent à leur tour à 23h44 et les premiers humains à 23h59 et 21 secondes. L'homo sapiens apparaît alors à 23h59 et 59 secondes. A minuit, nous sommes en 2023."
Dieu est-il un champignon ? (voir la Théorie du Singe Enivré)