Il aura fallu près de 10 ans pour que la série de Fabien Cerutti, Le Bâtard de Kosigan, atteigne la consécration : le Prix du Roman Francophone des Imaginales 2025. Le roman lauréat, Un Printemps de sang, toujours publié chez Mnémos, est en réalité la première histoire qu'il a écrite : « J'ai rédigé tout le reste comme un prélude », nous assure-t-il, et de compléter : « Tous les romans ont leur histoire particulière, mais celui-ci occupe une place spéciale : c’est le point d’origine. »
Le 24/05/2025 à 18:15 par Hocine Bouhadjera
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24/05/2025 à 18:15
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« Ce prix représente une véritable consécration, après toutes ces années passées à développer une série qui m’accompagne depuis mes débuts », nous confie le lauréat, et de partager : « Les Imaginales, c’est un festival fétiche pour moi — il m’a suivi, soutenu depuis le départ. En 2015 déjà, le premier volume de la série, Le Bâtard de Kosigan, L'Ombre du pouvoir, remportait le Prix Imaginales des lycéens, alors que personne ne me connaissait encore vraiment. Cette nouvelle distinction, dix ans plus tard, donne son sens à tout un parcours. »
Le fondateur et directeur de Mnémos, Frédéric Weil, nous raconte la genèse de leur collaboration, sur plus d'une décennie maintenant : « Il m’a envoyé un manuscrit, je l’ai lu — et je me suis dit : "Mais qu’est-ce que cette tuerie ?" » Il le contacte immédiatement : « C’était un coup de cœur fulgurant », assure-t-il, et de développer : « À l’époque, je cherchais justement une fantasy capable d’allier souffle romanesque et exigence intellectuelle. Et là, j’avais entre les mains un texte porté par un véritable bagage d’historien : sourcé, maîtrisé, mais surtout mis en scène avec un sens aigu du rythme et de l’image. »
Ce qui l’a particulièrement fasciné dès le premier roman de l'agrégé d'histoire, c’est la maîtrise impressionnante de la construction narrative, portée notamment par cette idée de double intrigue entre l’époque du Bâtard de Kosigan et celle de son lointain descendant. « Cette manière rare de tenir le lecteur en haleine, de lui donner sans cesse envie de savoir ce qui va se passer, m'ont donné envie de m'engager avec ce primo-romancier », décrit l'éditeur. En plus, ils se sont tout de suite bien entendus...
Et pourtant, au départ, le diffuseur de l’époque n’y croyait pas. Frédéric Weil relate : « Lors de la présentation aux représentants, le livre n'a pas convaincu, malgré notre énergie pour le défendre. On nous expliquait que ça ne marcherait pas. On a continué à se battre, malgré un premier mauvais placement dans les librairies, le titre a fini par rencontrer son public, et aujourd’hui, la série Le Bâtard de Kosigan cumule près de 75.000 ventes — sans compter les formats audio ou ebook. C’est devenu l’un des plus gros succès de l’imaginaire francophone contemporain. Avec sa plume alerte, son sens du rythme et ce personnage inoubliable, Fabien Cerutti a su créer une littérature à la fois ambitieuse et populaire. »
Le cinquième volume de son cycle romanesque se passe en 1365 : alors que la guerre de Cent Ans fait rage entre Français et Anglais, Pierre Cordwain, bâtard de la puissante maison bourguignonne de Kosigan, revient dans le comté qu’il avait fui à la mort de son père. Ancien capitaine de mercenaires, espion et assassin redouté, il s’y infiltre discrètement pour ce qu’il annonce comme de « joyeuses retrouvailles familiales ». Au même moment, une délégation française entame des négociations délicates avec le duc de Bourgogne, tandis que Dùnevia Illavaëlle, aventurière italienne et polymorphe, sillonne les terres du comté d’Albret. C’est là qu’apparaît, pour la première fois depuis des siècles, un dragon dont le souffle embrase le ciel...
Si Fabien Cerutti nous explique écrire, avant tout, pour offrir ce plaisir de lecture qu’il recherche lui-même, derrière le rythme, l’action et les rebondissements, il aime à glisser des clins d’œil, des éléments cachés : « Ils ne sont jamais indispensables pour suivre l’histoire, mais lorsqu’ils font écho à une connaissance, une référence culturelle, ils peuvent provoquer ce petit déclic joyeux qui pétille dans l’esprit du lecteur. » « J’essaie d’y transmettre mon enthousiasme, avec une touche d’ironie, une affection pour le tordu, une forme de malice. Quant au Bâtard de Kosigan… je n’ai, évidemment, rien à voir avec lui, bien sûr », assure-t-il...
Et l'oeuvre de Fabien Cerutti est-elle « hors-norme », thème de cette année 2025 ? L'auteur part d'abord d'un constat : dans les littératures de l’imaginaire, la norme, c’est justement d’explorer le hors-norme. Et dans ce hors-norme, aller creuser derrière un plaisir immédiat de la lecture, derrière l’émerveillement et la découverte, pour toucher à quelque chose de plus profond, de plus vrai : « Curieusement, c’est souvent à travers l’imaginaire qu'on arrive à approcher le réel avec le plus de justesse », juge-t-il, et de développer : « Ce décalage me permet d’aborder des thèmes complexes, sans didactisme, mais avec une forme de liberté et de densité qui, je l’espère, résonne chez le lecteur. »
Le romancier a été couronné par le prix des Imaginales, tandis que sa maison d’édition de toujours, Mnémos, y célébrait ses 30 ans d’existence : « Pour cet anniversaire, si je devais retenir une chose, ce serait le plaisir, la joie et la passion intacte de découvrir de nouveaux auteurs dans les littératures de l’imaginaire », affirme Frédéric Weil : « Depuis le début, on poursuit de manière tenace une ambition : créer une voie singulière dans ce champ, proposer une création francophone forte dans des genres où, à l'époque, elle était encore peu visible. »
Mnémos, c’est une aventure née en 1995 donc, incubée chez Multisim, une maison dédiée au jeu de rôle : « On travaillait avec des rôlistes qui proposaient des textes incroyables, mais que personne ne voulait publier. On s’est alors fixé une place singulière dans le paysage éditorial, en défendant ces univers, ces voix, souvent à contre-courant. » Depuis, la maison a ouvert une collection dédiée au patrimoine de la science-fiction. Avec la collection Ourobores, elle propose des beaux livres illustrés, le label Hélios des poches, Naos des titres Young adult, via le label Modül des jeux de rôle et de société, ou avec son label Mu des « littératures transversales ».
Pour fêter ses 30 ans, Mnémos a lancé deux initiatives : une collection de « super intégraux » en tirage limité, avec un soin particulier apporté à l’objet : bandeau-titre, esthétique soignée, tirage à 2000 exemplaires : « On a commencé en janvier, et on termine cette série avec Les Arpenteurs de Rêves de Mathieu Gaborit, notre tout premier romancier. Une façon de boucler la boucle. »
Le deuxième projet, ce sont trois concours de nouvelles. Le premier, en janvier, portait sur la mémoire dans la fantasy. Le deuxième explore cette même thématique dans la science-fiction, et le troisième s’adresse à la littérature jeunesse « L’idée, c’était de proposer à des primo-auteurs, jamais publiés professionnellement, d’écrire dans un cadre éditorial exigeant. Montrer quel type de fantasy on veut défendre, rester fidèles à notre credo : la découverte de nouveaux talents », commente l'éditeur.
Ce dernier conclut : « Tout cela se fait dans un contexte où, soyons honnêtes, le marché du livre est compliqué. Mais on tient, on a des idées. On ne produit pas des volumes énormes, mais on essaie de soutenir nos amis libraires, d’innover dans les collections, de proposer autre chose. Il ne faut pas rater les trains qui passent : nous, on est des petites barques, mais elles se manient parfois comme des paquebots... Il faut s’y prendre très en avance, avec les risques liés. En deux ans, une toute petite structure comme la nôtre peut mourir si elle se trompe. Alors, non, on ne se repose pas sur nos lauriers. On se remet en question, sans relâche. »
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
DOSSIER - Un chihuahua et des elfes : Les Imaginales 2025 renversent les codes
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 21/08/2024
428 pages
Mnémos éditions
24,00 €
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Thierry Reboud
25/05/2025 à 10:53
Ah ben tiens, c'est amusant.
Il se trouve qu'à l'époque de la publication du Bâtard de Kosigan, j'étais l'un des représentants du diffuseur de l'époque. Je n'ai pourtant aucun souvenir que nous (je parle collectivement) ayons eu quelque doute que ce soit sur les possibilités commerciales de ce titre. Pour autant que je me rappelle, ce titre possédait toutes les qualités habituelles qu'on attend d'un roman de fantasy et je ne vois pas bien quelles objections nous aurions pu formuler.
Il est possible en revanche que nous n'ayons pas partagé l'enthousiasme de Frédéric Weil : après tout, l'équipe commerciale n'était pas particulièrement férue des littératures de genre et, pour celles ou ceux qui s'y intéressaient, je crois me rappeler que la science-fiction nous passionnait plus que le fantasy (c'était, et c'est toujours, mon cas, par exemple).
Pour ce qui est de la mise en vente, elle n'a en effet pas été au niveau de nos espérances, et surtout au niveau des espérances de l'éditeur. Toutefois, je me rappelle parfaitement que nous avons plusieurs fois remis ce titre en vente (soit dans des opérations commerciales, soit à l'occasion de retirages), ce qui semble infirmer l'hypothèse d'un défaut d'engagement (commercial) sur ce titre de la part du diffuseur.
Pour être plus précis, je me rappelle une unique fois où nous avons alerté les éditions Mnémos (et un autre éditeur, puisqu'il s'agissait d'un projet coordonné entre deux maisons diffusées par nous) sur le risque commercial que semblait présenter, à nos yeux, un de leurs projets. La mise en vente demandée nous paraissait alors tout à fait hors de portée du produit envisagé. Encore ne s'agissait-il que d'une alerte, les éditeurs étant évidemment libres d'en tenir compte ou pas.
Peut-être Frédéric Weil a-t-il confondu ?