Le Who's Who in France, c’est ce pavé rouge vif qu’on repère au premier coup d’œil sur les étagères feutrées d’un bureau ministériel ou dans la bibliothèque en acajou d’un grand patron. Publié chaque année sans interruption depuis 1953, l’imposant bottin s’est imposé comme un repère dans le paysage des élites françaises. Depuis son rachat en 2023 par Franck Papazian, l’institution a connu un renouveau, multipliant les initiatives pour l’ancrer dans son époque.
Le 21/05/2025 à 18:26 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
21/05/2025 à 18:26
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Parmi elles, la création d’un prix littéraire, pensé pour mettre en valeur des parcours hors du commun. L'annonce du lauréat a été réalisée cette année lors d’un dîner du Club Who’s Who – autre idée portée par l'entrepreneur pour faire rayonner cette maison emblématique.
La cérémonie de remise du deuxième prix littéraire Who's Who s'est ainsi tenue à quelques mètres de l’Arc de Triomphe, au Victoria, restaurant niché dans l’ancienne salle de bal de l’hôtel Napoléon. Boiseries chaleureuses, lumière tamisée, effervescence feutrée : le lieu, cosy, offrit un décor idéal pour conjuguer littérature, conversation et art de vivre à la française...
Pierre Conte, entre autres directeur général d'Editis entre 2017 et 2019, chapeaute la récompense littéraire. Il a salué, à cette occasion, un jury composé de plus de femmes que d'hommes, et où se rencontrent des figures du monde littéraire et des entrepreneurs-lecteurs : une libraire des Grands Boulevards, Anne-Laure Vial; une directrice à la BpiFrance qui organise des rencontres littéraires en entreprise, Catherine Farin; la journaliste-écrivaine Anne Fulda; la femme de lettres Irène Frain; la galeriste Nathalie Obadia.
Mais aussi un ancien patron de la police judiciaire reconverti auteur de polars, Bernard Petit; le patron du groupe Ponant, Hervé Gastinel; l'homme de télévision, Fabien Guez; et l'homme d'affaires Benjamin Patou.
Le jury du prix littéraire Who’s Who est présidé par la journaliste et romancière française, Adélaïde de Clermont-Tonnerre, et ce depuis la première édition : « On m'a proposé de le présider, et j'ai tout de suite accepté, heureuse d’accompagner le lancement », nous confie cette dernière, et de développer : « Le Who’s Who est bien plus qu’une institution, c’est un symbole fort de l’ascension sociale, de la possibilité de se forger un destin. Ce prix rend hommage à celles et ceux qui, par leur parcours exceptionnel, leur courage et leur singularité, incarnent cette idée que rien n’est figé et que le mérite peut encore tracer sa voie. »
Avec ses camarades du jury, les délibérations ont été assez mouvementées, mais toujours dans la joie d'échanger, nous confie-t-elle : « Nous avons reçu de très bons textes, et il a été difficile de réduire notre sélection à six finalistes. Il y avait une grande richesse littéraire, des styles et des univers très différents, ce qui a suscité beaucoup de débats. Les derniers textes retenus nous ont profondément marqués, et les avis étaient très partagés jusqu’au bout. »
Finalement, c'est Badjens de Delphine Minoui qui a été choisie, publié au Seuil. La journaliste et grand reporter au Figaro passe ici par la fiction pour plonger au cœur de la révolte de l’automne 2022 en Iran, symbolisée par le slogan, « Femme, Vie, Liberté ». On y suit une adolescente de 16 ans qui, dans un geste de défiance, grimpe sur une benne à ordures pour brûler son foulard en public. La lauréate raconte : « Je me souviens comme si c’était hier de Nika Shakarami, 16 ans, qui après la mort de Amini a brûlé son voile en public. Cette image m’a hanté pendant des nuits : comment une si jeune femme a pu marcher vers la mort avec tant que courage pour le droit d’être en vie, d’être une femme. »
Elle, comme plein d’autres, n'est plus là pour raconter cette histoire, alors elle s'est appuyée sur ce qu'offre la fiction pour se glisser dans ses mots/maux, raconter ce cri de colère et de courage. « Elle et tous les autres sont symbolisés par mon personnage de Badjens, effrontée, impertinente : il y a toutes les Iraniennes derrière ce nom, mais aussi toutes celles et ceux qui se battent à travers le monde. C’est aussi Fatima Hassouna qui vient d’être tuée par un drone israelien, l’écrivaine ukrainienne Victoria Amelina tuée dans les bombardements russes, les jeunes filles en France victimes d’inceste, celles qui sont obligées de se voiler sous la pression des pères, des frères. Elles se battent dans l'ombre. Je reçois des messages de jeunes femmes sur Instagram qui me confient, « Moi aussi. » C’est là toute la puissance de la littérature : offrir une voix à celles qu’on n’entend pas, raccommoder les silences, et faire résonner l’intime dans le collectif. »
Pour son éditrice, Nathalie Fiszman, « le succès de Badjens tient à cette alchimie rare : un livre qui raconte la révolte iranienne de 2022, mais dont la portée est profondément universelle. » Elle assure : « J’avais déjà perçu, dans son précédent ouvrage publié au Seuil sur une bibliothèque clandestine en Syrie (Ndr : Les Passeurs de livres de Daraya), ce talent incroyable qu’a Delphine Minoui pour raconter la vie quand tout devient urgent, quand l’instant devient essentiel. Elle a cette capacité à saisir l’intime dans l’histoire, à toucher ce qui relie au-delà des frontières. Avec Badjens, elle va encore plus loin. Elle a travaillé pendant deux ans, menant une enquête d’une précision et d’une richesse exceptionnelles. »
Grâce à ses connexions en Iran, où elle a vécu dix années, Delphine Minoui a eu accès à des échanges personnels, à des blogs, ou des confidences précieuses : « Elle a patiemment rassemblé des histoires vraies pour tisser le récit de cette adolescente, avec sa liberté intérieure, ses ambivalences, ce qu’elle écoute dans sa chambre, les réactions à l’école, les sorties imposées… Elle capte tout, avec justesse, sensibilité et respect », décrit l'éditrice.
De son côté, Adélaïde de Clermont-Tonnerre évoque un texte « d’une densité exceptionnelle. La forme du livre est elle-même est marquante : des fragments, des ellipses, un texte coupé comme le souffle, qui épouse les pensées d’une adolescente en lutte. » Et de révéler : « Ce cri de révolte dans une société qui laisse si peu de place à la parole d'une jeune fille m’a profondément touchée. »
La présidente du jury conclut : « C’est aussi, pour moi, tout le sens du prix Who’s Who : récompenser non seulement une œuvre forte, mais un destin. Celui d’une femme, journaliste, écrivaine, qui a su prendre sa vie en main, aller au bout de ses engagements, et les dépasser par l’écriture. Ce prix ne distingue pas seulement des acteurs ou des figures établies : il salue celles et ceux qui transforment une expérience en parole, une indignation en littérature, et un combat en transmission. Ce texte nous a toutes et tous émus. C’est un hommage admirable à ces femmes qui se battent pour exister. »
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 19/08/2024
160 pages
Seuil
18,00 €
1 Commentaire
Editis
22/05/2025 à 13:19
Quel plaisir de retrouver Pierre Conte depuis qu'il est parti d'Editis. Lui au moins c'est quelqu'un de bien et il faudrait qu'il revienne redresser Editis à la place de nos dirigeantes actuels.