Vous vous demandez sûrement — ou pas — ce que les auteurs et autrices de la scène littéraire francophone font de leurs samedis soirs. Écrivent-ils jusqu’à pas d’heure à la lueur d’une faible ampoule ? Relisent-ils une énième fois la Recherche de Proust ? Vont-ils se saouler de Daïquiris et de Dry Martinis dans quelque palace de la capitale jusqu’à que la bouteille de rhum soit vide et qu’ils vomissent des olives à l’odeur de citron ? Tant de questions...
Sachez que grâce à la Comédie du Livre de Montpellier — Dix jours en mai, ActuaLitté peut vous apporter un début de réponse. Rien de tout ce qui fut mentionné ci-dessus, donc, plutôt une activité bien moins clichée — et sans doute plus marrante : ils vont au karaoké. Mais attention, pas un karaoké comme les autres — on ne parle pas que n’importe qui ! — non, un karaoké littéraire.
Ce samedi 17 mai, à 21h au Gazette Café, deux auteurs et deux autrices, chacun dans son style, étaient invités à réécrire des classiques de la chanson française et internationale pour en faire de courts textes à lire devant un public, public dont l’objectif étant de deviner la chanson dont est tiré le texte. Mi karaoké littéraire, mi blind test, et Régis Penalva, le directeur de la programmation du salon, en maître de cérémonie.
Une fois le texte lu en entier, on lâche le costume d’écrivain, on prend le micro à deux mains, Cédric Laronche, pianiste de la soirée, démarre la mélodie, et c’est parti pour chanter de sa plus belle voix — ou alors à tue-tête — la version originale de la chanson choisie.
La première à passer est Laure Limongi. L’autrice de L’Invention de la mer (Tripode), attaque directement avec un texte qui mêle écologie et catastrophe, un texte sur la consommation excessive des humains, ceux qui rêvent « D’avoir les quantités d'choses / Qui donnent envie d'autre chose »… Les plus vifs ont déjà compris : il s’agit de Foule Sentimentale, du grand Alain Souchon.
Vient ensuite Félix Jousserand. Le poète et chansonnier des éditions du Diable Vauvert a l’habitude des scènes, et ça se sent. Slameur et chanteur du collectif Spoke Orkestra et du groupe Dum Dum, il fronce les sourcils et durcit sa voix pour nous déclamer un texte empreint de féminisme « avant le féminisme ». Puis Cédric Laronche joue les premières notes de La môme catch catch, la chanson bagarreuse de Fréhel.
Max Lobe est le troisième à passer. Il monte en finesse et en élégance sur la scène et récite un texte sur la nostalgie. Pas de doute, ce dont il nous parle, c’est d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre. Mais exit les violons qui pleurent d’Aznavour. Le talentueux pianiste du soir plaque ses accords plus rapidement que la chanson originale, Max Lobe invite les gens à le rejoindre sur scène, tout le monde claque des mains : c’est une version dansante et joyeuse du classique de La Bohème qui nous est offerte.
Une quatrième personne monte sur la scène, et pas des moindres : Alice Zeniter. Peut-être plus habituée au plateau de la Grande Librairie qu’à chanter devant un micro, elle n’en fait pas moins d’effet aux spectateurs. Il est 22h, le bar est plein et bruyant comme un samedi soir, mais quand elle parle, on l’écoute.
On écoute, mais on ne comprend d’abord pas bien où elle veut en venir — logique, l’objectif est qu’on ne reconnaisse pas tout de suite la chanson dont elle parle. Elle commence par citer Bourdieu puis nous raconte l’histoire d’un jeune britannique qui voulait écrire une comédie musicale, intitulée Revolussia, dans laquelle un jeune garçon qui veut rejoindre la révolution russe en est empêché par son père.
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Elle dit que ce Britannique s’appelle Demetre Georgiou — visiblement, personne ne le connait dans la salle — mais qu’il est plus connu sous son nom de scène, pour lequel son prénom est devenu son nom de famille, et son surnom son prénom… ou quelque chose comme ça. Quoi qu’il en soit, son projet de comédie musicale n'aboutit jamais, mais il en tirera un de ses titres les plus connus : Father and Son.
On serait presque peiné que le texte d’Alice Zeniter s’arrête là, si ce n’était pour laisser là place au grand Cat Stevens !
Chaque écrivain passe une deuxième fois sur scène, pour notre plus grand plaisir — ça change des karaokés que les collègues d’ActuaLitté proposent tous les week-ends…
Laure Limongi nous apprend que Joe le Taxi est Maria-José, une femme portugaise, qui a fui le régime de Salazar pour fréquenter les clubs lesbiens de la capitale. Félix Jousserand repart sur un thème féministe, et chante avec toute la salle L’Hymne des femmes, qui les invite toutes à se lever contre les « queutards qui continuent de régner ». Et Alice Zeniter reprend Les Mots bleus pour raconter une nouvelle histoire : la journée d’avril froid et gothique d’une secrétaire de mairie qui a réglé son horloge un peu en retard pour être surprise quand les cloches de l’église sonnent.
Chaque passage est ponctué par une intervention de l’encyclopédique Régis Penalava, qui confie être un grand fan de chanson française : il pointe une paronomase dans le texte de Souchon ; rappel que Cat Stevens a été repris par un obscur chanteur dont le nom fait au public le même effet que Demetre Georgiou ; balance l’entièreté des crédits de Joe le Taxi…
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Dans l’euphorie de la soirée, nous arrivons à l’arrêter pour lui demander comment lui est venue l’idée d’un tel concept. « C’est né d’une discussion avec Adélaïde Fabre, programmatrice du festival Le Livre sur les quais », nous explique-t-il : « Le but est de faire quelque chose de festif et de littéraire. Ce n’est pas juste un prétexte pour commander un texte aux auteurs. » (Pour ceux qui veulent voir ça de leurs propres yeux, le prochain karaoké littéraire est prévu au festival Mot pour Mots, à la Villette à Paris)
Nous ne l'embêtons pas plus longtemps, car voilà que Max Lobe lui demande de le rejoindre sur scène. Il est sur le point d’interpréter Paroles Paroles de Dalida et veut faire de lui son Alain Delon. Ça, c’est un directeur de la programmation multicasquette.
Crédits image : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - La Comédie du Livre de Montpellier fête ses 40 ans
Par Ugo Loumé
Contact : ul@actualitte.com
Paru le 16/01/2025
181 pages
Le Tripode Editions
20,00 €
Paru le 06/06/2024
144 pages
Au Diable Vauvert
25,00 €
Paru le 07/02/2025
176 pages
Editions Zoé
17,00 €
Paru le 14/08/2024
345 pages
Flammarion
22,00 €
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