En juillet dernier, Emmanuel Khérad revenait, dans les colonnes d'ActuaLitté, sur l'arrêt brutal de son émission, La Librairie francophone, après près de 20 ans d'existence. Quelques mois plus tard, le journaliste engagé en faveur de la francophonie revient avec un nouveau prix littéraire, une chaîne YouTube, et une ambition : renouer avec sa passion, la radio.
Le 16/05/2025 à 17:57 par Hocine Bouhadjera
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16/05/2025 à 17:57
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« Pour moi, la fin de La Librairie francophone a aussi été un drame pour un bien », constate Emmanuel Khérad, et de développer : « Cette période de chômage, peut-on dire, m’a offert le temps de réfléchir en profondeur au sens de ma démarche. Depuis septembre, j’ai traversé des mois denses, faits de réflexion et de construction. Ce temps m’a permis de poser les bases de nouveaux projets, de tester des idées, d’observer. »
Il ne cache néanmoins pas : « S’engager fortement dans des projets abîme jusqu'à la vie personnelle. Comme beaucoup de passionnés, j’ai souvent eu la tête dans le guidon. On avance, on donne tout, sans toujours mesurer ce que cela coûte à côté. Mais quand on choisit le service public, quand on croit en la transmission, en la culture partagée, on fait ce choix-là en connaissance de cause. On agit dans une perspective commune. »
Reste la réaction du public après l'annonce de l'arrêt de La Librairie francophone, qui l'a « profondément marqué ». Il assure : « Je reçois encore des messages, des mots de déception, mais surtout un attachement fort à ce que nous avions construit. Cette mobilisation spontanée a été un moteur. Elle m’a rappelé que notre travail avait un sens, qu’il touchait des gens, et que l’envie de francophonie était bien vivante. »
L’idée de créer sa chaîne YouTube, Le Club francophone d'Emmanuel Khérad, lui est venue en revenant du Salon du livre de Montréal 2024 : « Nos voisins Canadiens m’ont encouragé à me lancer, car ces formats fonctionnent très bien de leur côté », nous explique-t-il. L’idée n’était pas seulement de continuer à défendre la francophonie, mais aussi d’élargir l’audience. Emmanuel Khérad constate : « Mon amour de toujours, la radio, perd du terrain auprès des jeunes, faut le dire, quand les plateformes numériques gagnent en puissance. De plus en plus de contenus se consomment sur YouTube ou via les réseaux sociaux. C’est dans ce contexte que j’ai décidé de développer ma chaîne, pensée comme un espace vivant, un prolongement de mes engagements. »
L’ambition à terme : créer un véritable réceptacle pour tout ce qui anime la francophonie, soit les auteurs, les éditeurs, les artistes, les projets indépendants, les initiatives portées à travers le monde : « Je veux y faire entendre toutes les voix, des plus connues aux plus discrètes, de Paris à Port-au-Prince, de Bruxelles à Beyrouth », détaille le journaliste, qui a le soutien du Quai d'Orsay et des Instituts français pour mener à bien cette initiative.
Une série de modules courts est notamment en préparation, d’environ dix minutes, qui seront pensés à la fois pour l’audio (en podcast) et pour la vidéo : « Le format se veut innovant, avec une esthétique inspirée du cinéma : des cadrages travaillés, une réalisation sobre mais soignée. Une manière différente de voir et d’entendre les écrivains. » Les premiers tournages se feront dans le sud de la France, dans l'optique de décentraliser la culture, « sortir du du « petit milieu parisien » comme certains aiment à dire. On y verra des auteurs au bord de la mer, des voix nouvelles, loin des cercles habituels. C’est aussi cela, ma vision de la francophonie : une ouverture permanente, sans frontières ni chapelles. »
À terme, il s’agirait de retirer le nom d’Emmanuel Khérad de l’intitulé de la chaîne, afin qu’elle incarne pleinement, jusque dans son appellation, un projet fédérateur : « J’ai toujours pensé dans une logique d’intérêt collectif », soutient-il : « Ce qui m’anime, c’est l’idée d’avancer ensemble, de construire des choses utiles, durables, accessibles. Cet esprit-là, je l’ai toujours porté dans mon engagement, que ce soit dans les médias ou les partenariats culturels. C’est une ligne que je ne perds pas. »
En parallèle, Emmanuel Khérad développe de nouveaux programmes à destination de médias nationaux : « Des contacts sont déjà établis, même si je ne peux pas encore en parler publiquement », nous explique-t-il, mais peut déjà nous dire : « Ce projet repose sur trois axes essentiels : le monde du livre, la francophonie dans toutes ses expressions (y compris les artistes), et bien sûr la littérature. » Une initiative qui répond à un constat : « Ces sujets sont portés aujourd’hui par trop peu de médias. Ce manque de visibilité n’est plus acceptable. Mon équipe et moi souhaitons monter des formats solides pour combler ce vide. »
Enfin, celui qui a officié 24 ans sur les ondes de France Inter entend bien retrouver un micro à la radio : « C’est indispensable. Elle fait à présent partie de mon ADN. J’en appelle aux médias audiovisuels français. Nous savons faire, nous avons le réseau et un public fidèle. Je travaille déjà sur des pistes avec certains contacts. Toute chaîne motivée pour accueillir un programme, même court, consacré à la francophonie ou à la littérature, peut entrer dans cette dynamique. C’est une cause nationale. »
Il analyse, non sans tristesse : « Ce qui se passe aujourd’hui, avec des livres retirés des bibliothèques, des interdictions de diffusion, doit alerter. L’affaiblissement de la culture ouvre toujours la voie aux pires dérives. Ce qu’on voit à l’étranger, notamment sous l’administration Trump, ne doit jamais devenir une réalité ici. On parle de moins en moins de livres, et cette absence alarme. Les professionnels du livre expriment leur inquiétude face à la baisse des ventes. Ce n’est pas acceptable. La culture est essentielle, elle structure nos sociétés. Si l’on ne réagit pas, on finira par vivre ce qui se passe aujourd’hui dans certains pays. Il est urgent de produire, de créer, de faire entendre des voix. »
Un retour à... Radio France ? « À cette question, la réponse reste difficile. J’y suis resté 24 ans lorsque tout a commencé, et cette radio a été, pour moi, une véritable famille. J’y ai trouvé des équipes soudées, une dynamique collective qui me manque énormément aujourd’hui. Ce que je défends, c’est toujours l’intérêt collectif. Cela suppose de ne rien fermer. »
Et « de tenir à le dire clairement : je n’ai jamais voulu attaquer Radio France. Je ne suis pas en conflit avec l’institution. Le différend a été unilatéral, lié uniquement à une décision prise par la directrice de France Inter, Adèle Van Reeth. Je ne me considère pas en opposition avec la présidente de Radio France, Sibyle Veil, avec laquelle j’ai conservé des contacts chaleureux et constructifs. »
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Si un accord entre avocats est trouvé d'ici à l'été, un retour dans la radio de son coeur sera donc envisageable, pourquoi pas dès 2026 ? « J’ai été évincé de manière très brutale, sans m’y attendre, et cette expérience m’a marqué, mais la radio reste ancrée en moi, je l’aime encore profondément. Je pense savoir en faire, et la mobilisation autour de mon départ a confirmé que d’autres le pensent aussi. » Pourquoi pas à France info, qui a lancé sa chaîne de télévision en 2016, doit récupérer le canal 16 de la TNT en juin prochain ?
Plein de nouveaux projets et autres aventures en perspective, on l'aura compris, mais aussi une qui a officiellement été lancée cette première moitié du mois de mai : le Prix du Quai d'Orsay. Cet hyperactif de la francophonie raconte : « J’ai été contacté par Didier Le Bret, directeur académique du Quai d'Orsay, qui m’a fait part d’une initiative enthousiasmante, le lancement d’un prix littéraire francophone porté par le ministère des Affaires étrangères. Il m’a demandé si j’étais partant pour en faire partie. J’ai dit oui sans la moindre hésitation. »
Emmanuel Khérad est membre du jury pour au moins trois ans. Il est accompagné du journaliste Pierre Haski, président, du poète Jean d'Amérique, de l'académicienne Barbara Cassin, du Prix Goncourt 2011 Alexis Jenni, de la vice-présidente du CAPES Isabelle Mimouni, et de la Prix Goncourt 2009 Marie Ndiaye. Du beau monde, en somme : « Nous avons constitué une première sélection à partir d’un appel à candidatures, comme ça se voit du côté du Goncourt par exemple. Une trentaine d’éditeurs ont envoyé leurs ouvrages. Ce sont les agents consulaires, déployés partout dans le monde, mais aussi d'alumnis de l'Académie diplomatique d'été et d'auditeurs du Collège des hautes études de l'Académie diplomatique, qui ont assuré une première lecture. En tout, 140 volontaires ont participé à cette étape, lisant tous les livres reçus. »
Six finalistes ont été retenu : Hajar Azell, autrice du Sens de la fuite (Gallimard), qui explore les tensions identitaires et les héritages silencieux; Marwan Chahine, avec Beyrouth, 13 avril 1975 (Belfond), qui revient sur le déclenchement de la guerre civile libanaise à travers un récit intime; Valérie Clo, qui signe Aziza (Buchet Chastel), portrait d’une femme entre deux cultures; Delphine Grovès, qui nous emmène aux confins de l’Argentine avec Les braises de Patagonie (Cherche Midi). Mais aussi Jean-Luc Marty, qui, dans Un garçon d’après-guerre (Mialet Barrault), interroge les souvenirs d’un pays encore hanté par les conflits passés. Enfin, L'Arabe qui sourit (Flammarion) d’Omar Youssef Souleimane, auteur franco-syrien, qui mêle humour, déracinement et réflexion politique. Le premier lauréat sera officiellement révélé le 4 juin prochain.
Le jury délibèrera à la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts, qui a accueilli en 2024 le Sommet de la Francophonie. L'heureux élu bénéficiera notamment d’une résidence d’écriture dans une des ambassades françaises dans le monde : « Notre souhait, partagé par le Quai d’Orsay, est de permettre à ces écrivains d’être accompagnés, promus et visibles dans un maximum de pays », expose Emmanuel Khérad, et de continuer : « Nous sommes en train de réfléchir à mettre en place des rencontres littéraires, avec captations en son et en image. L’idée est née de cette volonté commune : faire rayonner la francophonie autrement, à travers des œuvres fortes et engagées. »
Ce dernier est formel : « L’enjeu dépasse la simple création littéraire : il s’agit de valoriser, par une démarche économe en argent public, le prestige de la France en tant que porte-voix de la francophonie. » Au fil de ses nombreux voyages à travers l’espace francophone, il a multiplié les échanges, aussi bien avec les acteurs institutionnels de la francophonie qu’avec des citoyennes et citoyens rencontrés sur le terrain. Partout, les mêmes constats reviennent : une attente forte, parfois teintée d’incompréhension, face à la manière dont la France n'incarne pas assez ce projet commun... « Cette initiative repose ainsi sur une conviction simple mais déterminante : l’intérêt collectif commande de mobiliser toutes les énergies disponibles pour faire rayonner les langues et les cultures du monde francophone. »
Enfin, depuis plusieurs années, le journaliste s’investit dans l'organisation de la Fête du livre de Hyères, « qui reste pour moi le plus beau festival littéraire du sud de la France », assure-t-il. Il porte notamment une programmation dédiée, avec une dizaine d’auteurs et autrices qu'il sélectionne, en lien étroit avec l’organisation, parmi lesquels cette année, rien de moins que J. M. G. Le Clézio, Marc Lévy ou Yaël Braun-Pivet, Présidente de l'Assemblée nationale.
Ils sont les invités d'honneur de cette édition, qui se tiendra les 17 et 18 mai prochains. « Grâce à mon réseau, je contribue à faire venir des auteurs d’envergure nationale et internationale. L’an dernier, Dany Laferrière était l’invité d’honneur. Ce festival incarne pour moi un esprit de décentralisation de la culture : offrir un espace magnifique et ouvert où la littérature peut rayonner au-delà de Paris, là où elle est aussi attendue. »
Il conclut : « J’avance avec l’envie de bâtir des formats, de penser des programmes qui continuent à faire vivre la langue française, la littérature, la diversité des voix francophones. C’est ma spécialité, on peut le dire. Et c’est cette voie-là que je poursuis. »
Crédits photo : Emmanuel Khérad (Astrid di Crollalanza)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
1 Commentaire
Edco
16/05/2025 à 21:21
Oui , plein de projets , super !
Il nous manque mais on va le suivre, et attendre qu ' il revienne à la radio..... ( Il y a aussi Arte radio ....)