On continue le tour des maisons d'éditions qui ont quelque chose à célébrer cette année, à La Comédie du Livre — Dix jours en mai de Montpellier. Au Diable Vauvert fête ses 25 ans. Avec un catalogue aussi singulier qu'éclectique, il est devenu depuis sa Camargue natale, terre de cornes et de têtes dures par excellence, un incontournable de l'édition indépendante française.
Le 18/05/2025 à 19:23 par Ugo Loumé
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Publié le :
18/05/2025 à 19:23
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Créées en 2000 par Marion Mazauric, les éditions Au Diable Vauvert se sont donné pour mission de devenir le P.O.L des contre-cultures — même si sa fondatrice nous confie que « Paul [Paul Otchakovsky-Laurens, fondateur des éditions P.O.L, Ndlr] détestait qu’on dise ça ». Installée en pleine campagne, la maison a su imposer une vision audacieuse, indépendante et décentralisée de l’édition, tout en gardant un fort esprit de famille.
Jamais enfermé dans un genre spécifique, le Diable revendique une identité multiple et assumée : féministe et aficionado, queer et dark, prolétaire et geek, weird et réaliste… Car dans un secteur toujours plus concentré, la maison n’a jamais renié ni sa folie, ni son âme d’apprentie sorcière. Double preuve : d’une part la parution en février 2025 du titanesque récit choral de Christophe Siébert, Une vie de Saint ; d’autre part le lancement récent de la collection écoféministe Nouvelles lunes, dirigée par Élise Thiébaut.
C’est accompagnée de ces deux auteurs que Marion Mazauric célèbre les 25 ans de son Diable, ici à Montpellier, non loin de sa Camargue natale. Une table ronde qui aurait mérité de durer bien plus d’une heure, tant l’histoire de la maison est déjà riche et tant on pourrait entendre sa fondatrice parler longtemps de son métier et du secteur.
Rien ne la prédestinait à devenir patronne d’une maison d’édition, « dans ma famille on est plutôt du côté des CGTiste », plaisante-t-elle. L’origine du Diable Vauvert — et semble-t-il toute son histoire — est plutôt une affaire de circonstances, ou de rencontres, ou d’alignement des énergies, ou de trajectoires qui prennent telle direction parce qu’elles le doivent… enfin appelez ça comme vous voulez.
Toujours est-il que, même si elle revenait tous les week-ends en Camargue, Marion Mazauric explique qu’elle « étai[t] très bien chez J’ai Lu », où elle occupait le poste de directrice littéraire jusqu’en 2000. C’est lorsqu’arrive son enfant que tout change : « Je ne pouvais plus retourner à Paris tous les lundis. » Un ami lui glisse donc une idée toute simple, celle de monter sa propre maison d’édition, chez elle.
Une position géographique qui la place de facto à la marge du milieu littéraire parisianocentré. Une « décentralisation » — mot qu’elle préfère à celui de « périphérie » — qui a paradoxalement permis à la maison de forger son identité, celle qui fait 25 ans plus tard son succès : « La décentralisation nous a permis de ne pas avoir peur des transgressions. »
« Ça nous a maintenus en vie, car sans ça on aurait été moins libre », explique Marion Mazauric : « Paris s’est enfermé et nous on est sorti du bocal. » Cette dernière dresse d’ailleurs un portrait peu flatteur de l’industrie d’aujourd’hui : « La fonction se démocratise, mais paradoxalement l’édition est de plus en plus bourgeoise. »
« Tout éditeur indépendant se met au service de quelque chose qui le passionne et qui est plus grand que lui », dit-elle. C’est son éthos, reprenant celui de son exemple en la matière, P.O.L : « Je publie des textes qui déplacent le paysage littéraire. » Alors la mission est claire, il faut « renverser la littérature, qui commence à s’académiser, pour parler du monde en y intégrant les cultures populaires avec un regard extrêmement critique ».
« On l’a vu avec Zoé et l’émergence d’écrivains suisses à partir des années 70, nous c’est ce qu’on essaye de faire depuis les années 2000 », dit-elle. Ancrage local, identité forte et esprit familial, Marion Mazauric espère que sa structure pourra suivre la même trajectoire que la maison genevoise qui fête ses 50 ans cette année.
Pour y parvenir, l'éditrice semble s’être posé deux règles simples. Un : « On doit publier ce qu’on n'a pas lu », c’est-à-dire ne jamais se répéter. Deux : faire confiance à ses auteurs : « Si ce sont de grands écrivains, ils font tout ce qu’ils veulent. C’est la norme pour un éditeur.
Une vision qui convient parfaitement aux personnalités de Christophe Siébert et Élise Thiébaut, présents aujourd’hui. Le premier raconte comment il a présenté Une Vie de Saint à Marion Mazauric : « Je vais la voir, je lui raconte grosso modo que j’ai inventé une ville de 4 millions d’habitants entre l’Ukraine et la Russie, je lui dis que je vais y raconter plein d’aventures et que ça va durer 20 volumes. Je lui demande ce qu’elle en pense et elle me répond : bah écoute, pourquoi pas ! »
« Personne ne fait ça dans l’édition, ajoute-t-il, normalement on te dit “tu fais un premier bouquin et si ça marche pas tu rentres chez toi”. » Élise Thiébaut, elle, a eu l’idée de proposer la collection Nouvelle Lune à Marion Mazauric en se réveillant d’une sieste, « je lui en ai parlé pendant 15 minutes à peine et elle m’a dit “ok” ».
L’autrice confie qu’elle a toujours rêvé d’être éditée au Diable « mais à chaque fois que je voulais envoyer un manuscrit ils faisaient une annonce “désolé on ne reçoit plus de textes” ». C’est finalement en gagnant le Prix Hemingway, concours de nouvelle autour de la tauromachie, qu’elle intègre la maison camarguaise.
Une relation d’entente et de confiance mutuelle, presque une histoire de « rencontres amoureuses » dit la directrice du Diable Vauvert, qui ne tarit pas non plus d’éloges au sujet de ses auteurs. Quand elle rencontre Élise Thiébaut, elle explique qu’elle trouve enfin en elle « cette manière de faire du narrative non-fiction » qui lui manquait pour faire le livre sur la ménopause qu’elle fantasmait depuis longtemps : Ceci est mon temps.
Quant à Christophe Siébert, elle parle de ses bouquins comme de « chefs-d’oeuvre ». La Landaise Morgane Caussarieu, présente dans l’audience, est décrite comme une « Marcel Aymé des temps d’aujourd’hui ». Et Nicolas Rey est « le Radiguet du monde qui arrivait ». « Un éditeur c’est un agrégateur, quelqu’un qui doit créer des circulations », dit la directrice du Diable Vauvert. À en croire Christophe Siébert, Marion Mazauric excelle à cette tâche : « Je suis enfin dans une maison dont j’aime le catalogue. »
Des circulations, des connexions entre auteurs et autrices qui s’apprécient et se lisent, mais aussi avec l’équipe complète de la maison, qui compte 7 personnes aujourd’hui — comme Zoé : « Quand on est en Salon, on se déplace toujours en bande », explique Christophe Siébert. Lequel conclut joliment : « C’est une très belle fiction que je vis, d’être édité au Diable Vauvert. »
Crédits image : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - La Comédie du Livre de Montpellier fête ses 40 ans
Par Ugo Loumé
Contact : ul@actualitte.com
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6 Commentaires
Pierre la police
19/05/2025 à 15:22
Le problème du diable, c'est qu'à part avoir fait découvrir en France David Forster Wallace, au niveau écrivain Français, ils n'ont jamais trouvé un écrivain qui sorte de l'ordinaire un peu vain et branchouille de leur catalogue.
Laetitia Pacarow
19/05/2025 à 20:29
Le problème c'est surtout qu'iels paient très mal…
Jeune Poésie Publique
20/05/2025 à 13:20
Que voulez-vous, tout le monde n'a pas la chance d'avoir Yann Moix dans son catalogue
LOL
#monnombrilestplusgrandquemoncerveau
Pierre la police
20/05/2025 à 17:28
Pas sûr que Yann Maalox soit une chance pour un éditeur !😜😜😜 Faut trouver autre chose, là !
Laetitia Pacarow
19/05/2025 à 20:29
Ça nous a maintenu**S**
*à s’académiser*
ce qu’on *n'a* pas lu
on ne reçoit plus de texte**s**
qui ne *tarit* pas non plus d’éloges
**chefs-d’oeuvre**
**excelle à cette tâche**
Ugo Loumé — ActuaLitté
20/05/2025 à 09:17
Bonjour,
merci pour votre vigilance.
Bien à vous,
Ugo Loumé