Dans les rues de la ville bourguignonne de Mâcon, les enfants vendent du muguet. Nos pas s’arrêtent devant la plaque commémorative du mur du Musée des Ursulines, réchauffé par le soleil du premier mai. Une plaque nous apprend que le père de Lamartine a été interné dans cet ancien couvent des Ursulines, devenu prison sous la Révolution.
Le 12/05/2025 à 12:00 par Maria Danthine-Dopjerova
243 Partages
Publié le :
12/05/2025 à 12:00
243
Partages
La mère habitait avec l’enfant la maison d’en face, aujourd’hui disparue, où le poète serait né. Les époux séparés réussissaient à communiquer.
« Ma pauvre mère m’apportait tous les jours dans ses bras au grenier, me montrait à mon père, m’allaitait devant lui, me faisait tendre mes petites mains vers les grilles de la prison. » (A. de Lamartine, Les Confidences, 1849)
En vingt minutes, nous nous trouvons devant le grand portail de la maison d’enfance de Lamartine à Milly, le trajet que jadis, Claude des Huttes, personnage du Tailleur de pierres de Saint-Point, a parcouru en marchant sept heures.
Nous sommes dans la cour entourée de maisons basses en pierre blanche. Les premières roses en fleurs, jaunes et orangées, grimpent sur les murs et les fenêtres enveloppées de glycines.
« Quand on sort de la jolie petite ville de Mâcon en se dirigeant du côté des montagnes où le soleil se couche, on suit d’abord, pendant plusieurs heures, une grande route bordée de vignes, qui monte et descend avec les ondulations du col comme la route d’un vaisseau sur une mer douce à larges lames. De nombreux villages, aux toits de tuiles rouges et aux murs blanchis par la chaux, et tapissés de pampres au-dessus de la porte, s’élèvent au penchant de tous les coteaux, et fument au fond de toutes les gorges. » (Le Tailleur de pierres de Saint-Point, Alphonse de Lamartine)
En Bourgogne, depuis des siècles, on construit des murs et des murets en pierres sèches, un calcaire compact oscillant entre les couleurs jaune et beige à grain fin et serré. Ces pierres ne tiennent pas ensemble grâce au ciment, mais s’emboîtent par leurs formes naturelles, adaptées l’une à l’autre. Leur stabilité réside dans leur solidarité.
Si l’une perd son équilibre, les pierres voisines la soutiennent, empêchent sa chute. Qui sait, peut-être que c’est justement grâce à la pierre affaiblie, qui semble vaciller, que tiennent aussi les pierres qui prétendent être posées solidement. Dans leur ensemble, on ne peut pas distinguer quelle pierre est plus forte qu’une autre.
Dans le livre S’adapter de Clara Dupont-Monod, ce sont les pierres qui racontent l’histoire. À la campagne bourguignonne, dans les villages posés parmi les vignes, les pierres sont aussi imprégnées des échos du passé.
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? », lisons-nous sur le mur de l’entrée de la maison où Alphonse de Lamartine, poète, écrivain, politicien, a passé son enfance. Nous sommes devant la maison, construite en 1705 par l’arrière-grand-père d’Alphonse de Lamartine, qui devait initialement servir de vendangeoir du domaine viticole. Au-dessus de la porte, le blason a été vidé, probablement par le père de Lamartine pour ne pas provoquer les révolutionnaires.
Nous sommes dans la seule maison d’écrivain en France dont les propriétaires sont toujours de la lignée familiale de Lamartine. Alphonse, enfant d’une famille de petite noblesse attachée à leurs terres, au roi et à la religion catholique, avait quatre ans quand ils sont arrivés dans cette maison en 1794. Sur le vieux dressoir dans l’entrée sont alignés les livres anciens de Lamartine.
À côté, un bol contenant des trousseaux de vieilles clés, une ancienne vis en bois de pressoir de vigne sert de chevalet. C’est dans cette maison aux sols en pierre de Bourgogne, où Alphonse de Lamartine a vécu pendant sept ans. Plus tard, il y revenait souvent et c’est là qu’il a « laissé son cœur ».
Nous sommes dans la cuisine, où la mère d’Alphonse, Alix des Roys, nièce de l’intendant du Duc d’Orléans, femme « à la main de fer dans un gant de velours », selon le propriétaire, accueillait quotidiennement toute la misère du village, pendant qu’Alphonse jouait avec les enfants des vignerons.
La céramique bleue sur les étagères en bois foncé, le tableau rapporté de Tunisie au-dessus de la cheminée, les casseroles en cuivre, les grands pots sous la fenêtre remplis de verdure et de petites touches orange de calamondins.
Dans le séjour au plafond élevé, rempli d’objets et de meubles d’une beauté émouvante, se faufile la verdure fraîche du châtaignier avec ses fleurs blanches à travers les grandes fenêtres ouvertes. « Ce n’est que maintenant que le séjour commence à être utilisable après l’hiver », dit le propriétaire de la maison.
Alphonse a dix ans quand sa mère l’envoie en pension à Lyon. Très vite, il se plaint par écrit à ses parents de la rigueur et de la discipline imposées par l’établissement. Cependant, sa mère tient bon pour qu’il termine l’année scolaire. Il a onze ans quand il entreprend de s’évader et est ramené à la maison par les gendarmes. Après cette année, sa mère l’envoie au collège jésuite de Belley.
À vingt ans, ne s’étant toujours pas engagé dans une voie particulière, sa mère le convainc de s’inscrire à la faculté de droit à Lyon. Très vite, il déclare à ses parents que le droit l’assomme. C’est à ce moment qu’il a commencé à écrire « sous le manteau ».
En 1826, Alphonse de Lamartine supplie son père de ne pas vendre la maison de Milly. En 1860, contraint de vendre, il écrit : « J’ai été obligé de signer la vente de la moelle de mes os, ma terre et ma maison natale de Milly, à un prix de détresse qui ne représente ni la valeur morale ni la valeur matérielle. J’ai emporté avec des larmes, en quittant le seuil, les vestiges de ma mère et les reliques de ma jeunesse. »
En 1820, le père d’Alphonse acquiert le château de Saint-Point, alors à l’abandon. Alphonse le reçoit en avance d’héritage à l’occasion de son mariage avec une jeune Anglaise fortunée, Mary-Ann Birch. Grâce au succès de ses Méditations, Lamartine transforme le château en demeure néogothique anglaise : balustrade dessinée par sa femme, portique orné de ses armoiries. La tour de l’horloge, à l’angle des écuries et de l’orangerie, attend sa restauration prévue pour 2026.
Plus tard, Alphonse fait construire un pavillon avec sa chambre et son cabinet de travail, sa « cellule de moine » comme il l’appelait, desservie par une étroite tour d’escalier. Sur son bureau, dans cette pièce sombre au bois foncé, repose le moulage blanc de la main de Mary-Ann. Ces deux pièces ont été conservées telles qu’elles étaient au décès du poète.
« On y attache à des clous les cages des oiseaux, les chiens s’y couchent à nos pieds sur les dalles tièdes ; des paons familiers, qui peuplent les jardins, à qui nous émiettons du pain dans leur enfance et qui s’en souviennent, perchent jour et nuit sur le parapet de la balustrade, leur queue brillant au soleil et flottant au vent. » (Le Tailleur de pierres de Saint-Point)
Dans les vitrines de la salle à l’étage du château : le sabre rapporté du Liban, les jouets des enfants de Lamartine, tous deux décédés en bas âge. Un petit berceau de poupée appartenait à Julia, morte de tuberculose à l’âge de onze ans sur un bateau entre Beyrouth et Marseille. Après la mort des enfants, Mary-Ann ne supporte plus de vivre à Saint-Point : elle a l’impression que tous les chemins mènent à la tombe de Julia.
En longeant le muret en pierres blanches, à côté des iris mauves dont les pétales tremblent dans la brise de mai, près du parc aux cèdres rapportés du Liban, on se retrouve devant l’église de Saint-Point. Lors du décès de sa mère en 1829, Alphonse fait construire, à côté de l’église, un caveau familial néogothique où reposent sa mère, ses deux enfants, sa belle-mère, sa femme. Et lui.
« Les vallées sont des mystères des paysages. On les pénètre d’autant à se recourber, à s’ensevelir, à s’abriter. Telle est l’impression de la vallée de Saint-Point à chaque pas de plus que le voyageur fait pour la découvrir. Plus on la découvre, plus elle s’enfuit. »
Les Lamartine passaient les hivers à Saint-Point, les étés à Prissé, au château de Monceau. Ce dernier était réservé aux grandes réceptions organisées par Mary-Ann. Dans la petite salle à manger de Saint-Point, avec sa vaisselle bleue aux paysages d’Inde et ses verres gravés des initiales AL, ils recevaient leurs amis les plus proches : Victor Hugo en 1825, George Sand, Chopin, Liszt qui y donna un concert.
Tandis que sa femme s’affairait au château, Alphonse partait à cheval et se retirait au Pavillon des Girondins, ou Pavillon de la Solitude, une petite tour en bois aujourd’hui envahie par la végétation, cachée parmi les vignes de Prissé. Depuis son bureau du pavillon octogonal, il voyait « l’océan vert » des vignes bourguignonnes du château de Monceau. C’est là qu’il écrivit une partie de L’histoire des Girondins.
« Je ne suis pas un poète, je suis un grand vigneron » lit-on sur la plaque du vieux mur d’entrée du domaine de Monceau.
Depuis son jeune âge, Alphonse de Lamartine était engagé socialement : il militait pour l’abolition de l’esclavage, de la peine de mort, pour la liberté de la presse. Royaliste en 1820, il évolua progressivement vers des idées républicaines. À partir de 1840, il délaisse la poésie pour se consacrer à la politique. Il devient ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire de 1848.
Cependant, Louis Napoléon Bonaparte, revenu d’exil, mène une campagne discrète et remporte l’élection présidentielle avec un très grand nombre de voix. Face à cet échec, Lamartine se retire de la vie politique. Durant ses dernières années, il dut écrire pour survivre : une période de « travaux forcés littéraires ».
Dans la vallée de Saint-Point, tout tourne autour des pierres, des vignes et du son des cloches. La verdure des champs est parsemée de taches blanches : vaches charolaises, apiculteurs en blanc, jeunes filles scoutes en bleu sous les voûtes des chapelles blanches.
À chaque tournant de la route sinueuse apparaît la Roche de Solutré. Et quand le soleil commence à bailler de fatigue, sous cette montagne aux formes curieuses, nous posons nos verres sur un muret en pierres sèches. Le Pouilly-Fuissé y scintille, coule comme de l’ambre dans la lumière du soleil couchant.
Nous quittons ce pays d’Alphonse de Lamartine avec un pot de miel du château Saint-Point, issu de fleurs sauvages : trèfle, tilleul et ronces, et un sachet du Thé du verger d’Alphonse, aux noix et aux pommes.
Quelquefois, au milieu des champs, quand tout fait silence dans la vallée sous la brûlante atmosphère du midi, un jour d’été, j’écoute involontairement, l’oreille inclinée du côté de la montagne, et je crois entendre son marteau régulier et lointain tomber et retomber sur la pierre sonore, comme un balancier rustique du cadran de l’éternité.
(Le Tailleur de pierres de Saint-Point)
Crédits photo : Maria Danthine-Dopjerova / ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Maria Danthine-Dopjerova
Contact : maria@danthine.com
Paru le 11/10/2006
572 pages
LGF/Le Livre de Poche
8,70 €
Paru le 23/04/2025
144 pages
Editions Gap
20,00 €
Paru le 01/12/2024
200 pages
Metvox Publications
25,00 €
Paru le 05/03/2024
186 pages
Culturea
14,00 €
Commenter cet article