Oubliez un instant le Thor de Marvel : Mjöllnir plonge dans une légende nordique où un nain en colère brandit le marteau du dieu du tonnerre. Scénarisée par Olivier Peru et dessinée par Pierre-Denis Goux, la BD sortit en janvier 2013 et revisitait la mythologie viking. Heureux que vous êtes : l’intégrale réunissant les trois tomes est tout juste sortie.
Dès les premières pages, le ton est donné : combats homériques, créatures légendaires et prophéties anciennes se mêlent dans un tourbillon d’aventures. « Combien d'histoires du Nord devenues légendes chantent la vérité ? Aucune jusqu'à Mjöllnir. » Le décor est planté : le monde des hommes, des elfes et des nains est sur le point d’être bouleversé par l’irruption du divin.
L’idée de Mjöllnir est née de l’envie de dépoussiérer le mythe de Thor en changeant radicalement de point de vue. À l’écriture, Olivier Peru n’est pas un novice : Zombies, Elfes ou Nosferatu figurent déjà à son palmarès, et son goût pour la fantasy s’exprime aussi en romans. Ici, il imagine un Thor inattendu — non pas un dieu, mais un simple nain — et construit autour de lui une épopée sur mesure.
Le dessinateur Pierre-Denis Goux, lui, s’est illustré auparavant sur la série Merlin le Prophète ; il s’attaque avec enthousiasme à cette nouvelle légende nordique. Les deux auteurs conjuguent leurs talents pour donner vie à un projet ambitieux soutenu par la collection Soleil Celtic. L’univers de Mjöllnir puise aux sources de la mythologie scandinave tout en empruntant aux codes de l’heroic fantasy classique.
L’élaboration du trypique aura mobilisé le duo tout au long des années 2010, chacun apportant sa patte pour forger cette relecture de Thor, Loki, Odin et tout Asgard.
Dans les lointaines terres du Grand Nord, les nains vivent sous le joug des hommes, réduits en esclavage ou massacrés dans des arènes. Thor, représentant de cette race au caractère bien trempé, voit son frère tomber sous les yeux des bourreaux humains. Lors d’une expédition punitive désespérée, le destin lui offre l’arme des dieux : Mjöllnir, le marteau légendaire.
À peine en main, l’objet lui confère un pouvoir renversant qui foudroie la situation — ou l’inverse. Contre toute attente, ce petit guerrier devient le champion d’une prophétie ancienne, début d’une quête épique en trois actes. D’abord hésitant face à la gloire soudaine, Thor finit par embrasser son rôle de libérateur des siens.
Il rallie à sa cause d’autres peuples opprimés : les derniers elfes, chassés de leurs forêts, et même certains hommes, se joignent à lui pour marcher les terres d’Asgard. L’objectif de cette alliance improbable ? Affronter Odin et les dieux d’Asgard retranchés derrière leurs remparts.
Se profile alors le Ragnarök, la fin des temps. Batailles titanesques, trahisons et sacrifices rythment le voyage vers la cité céleste. Enfin, l’ultime tome de l’histoire voit Thor confronté à un dernier ennemi surgissant des profondeurs du mythe : les géants pétrifiés par Odin jadis se réveillent, menaçant d’anéantir le monde. Malgré la puissance que lui confère Mjöllnir, notre héros cherche avant tout à éviter un nouveau bain de sang — un comble pour celui que tous considèrent comme un dieu de la guerre.
Sous l’aventure se dessinent des thématiques fortes. La première est sans conteste la lutte contre l’oppression : les « petits » (nains, elfes) se dressent contre les « grands » (hommes, dieux) dans un renversement inspirant. La figure du héros malgré lui est également au cœur du récit – Thor n’avait rien demandé, et le voilà auréolé d’une mission divine qui le dépasse.
Son parcours initiatique questionne le poids du destin et la volonté personnelle : comment rester soi-même quand une arme sacrée vous investit d’un pouvoir illimité ? Le scénario explore aussi la cohabitation entre peuples autrefois ennemis, forcés d’unir leurs forces face à plus puissant qu’eux. De la fierté des nains à l’arrogance des dieux, Mjöllnir revisite les mythes nordiques en abordant des thèmes universels comme la liberté, le sacrifice et la tentation du pouvoir absolu.
L’ensemble baigne dans une ambiance de fin du monde — orages incessants, hiver sans fin — qui accentue le côté dramatique de l’épopée. Peru parsème enfin son récit de clins d’œil aux légendes : le Bifrost (pont arc-en-ciel vers Asgard), le nom des géants ou des artefacts sacrés parlent aux initiés sans jamais perdre le lecteur novice. Grâce à cette alchimie thématique, Mjöllnir s’impose à la fois comme un divertissement musclé et une quête héroïque porteuse de sens.
La publication de Mjöllnir s’est échelonnée sur plusieurs années, reflet d’un projet en constante évolution. Le premier tome, intitulé Le Marteau et l’Enclume, paraît en janvier 2013. Quelques mois plus tard, en août 2013, sort le Tome 2 : Ragnarök, qui pousse l’intrigue jusqu’aux portes d’Asgard. À l’époque, la saga est annoncée comme un diptyque et ce second volet semblait conclure l’histoire, du moins provisoirement.
On patientera pourtant trois ans de plus pour découvrir un troisième tome inopiné : Un monde sans Dieux, publié en juin 2016, vient offrir un dénouement épique au parcours de Thor. Désormais achevée, la série compte donc trois albums, chacun d’une cinquantaine de pages. Forte de son succès d’estime, elle a droit à une première intégrale en 2018, rassemblant l’aventure complète dans un beau volume cartonné.
Cette édition propose en prime quelques pages bonus – croquis, illustrations – faisant le bonheur des fans de la première heure. Mai 2025, les Éditions Soleil rééditent l’intégrale de Mjöllnir avec une nouvelle couverture, signe que l’ouvrage continue de susciter l’enthousiasme une décennie après ses débuts.
Cette longévité s’explique par la qualité de la BD, mais aussi par son inscription dans une ligne éditoriale solide : Mjöllnir a rejoint la collection Soleil Celtic : Légendes Nordiques, aux côtés d’autres sagas mythologiques de l’éditeur (telles que Le Crépuscule des Dieux).
Peru et Goux n’en sont pas restés là dans leur collaboration : on les retrouve ensemble aux commandes d’autres titres de fantasy chez Soleil (par exemple Les Maîtres inquisiteurs). Néanmoins, Mjöllnir demeure à part dans leur bibliographie, en tant que relecture inspirée d’un mythe universel qui a su marquer les esprits.
Dès sa parution, Mjöllnir a reçu un accueil chaleureux : l’ombre tutélaire de J.R.R. Tolkien plane sur l’univers, ce que certains commentateurs mentionnent comme un gage de dépaysement réussi — on y retrouve en effet une alliance de nains, d’elfes et d’hommes digne du Seigneur des Anneaux.
Visuellement, Mjöllnir fait presque l’unanimité : le dessin de Pierre-Denis Goux est souvent qualifié de splendide. Les critiques soulignent la richesse du détail et la puissance des scènes d’action, décrivant un graphisme bien léché.
Les planches déploient des panoramas tourmentés, des créatures imposantes et des combats épiques qui en mettent plein la vue. Le style artistique, à la fois minutieux et dynamique, immerge le lecteur dans ce monde brutal avec une intensité remarquable. En fin de compte, Mjöllnir a su convaincre par son équilibre entre fond et forme : un scénario classique mais maîtrisé, servi par un dessin à la hauteur de l’ambition mythologique du projet.
Si quelques réserves doutent de l’originalité de l’intrigue, l’enthousiasme l’emporte largement. Après tout, qui bouderait son plaisir devant un tel cocktail d’aventure nordique et de bravoure ?
Alors il suffit de le demander. Nous avons retenu trois autres oeuvres, classiques, incontournables et/ou à découvrir (et dans ce cas, quelle chance !) :
Adaptée de Wagner, la trilogie Siegfried d’Alex Alice mêle mythologie nordique et peinture épique. Le jeune héros affronte Fáfnir sur ordre d’Odin. Forêts magiques, dieux corrompus et anneau maudit composent cette fresque visuelle grandiose et tragique.
Héros né des étoiles et élevé par les Vikings, Thorgal traverse un monde mêlant mythologie scandinave, magie et science-fiction. Depuis 1977, la saga l’oppose à dieux, sorciers et créatures dans des aventures épiques portées par le trait saisissant de Rosiński.
Saga culte de Kentarō Miura, Berserk suit Guts, guerrier maudit au passé sanglant, dans un monde médiéval hanté par démons et magie noire. Épopée violente et tragique, portée par un dessin d'une rare intensité, l’œuvre incarne la quintessence de la dark fantasy.
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 09/05/2018
168 pages
Soleil Productions
25,50 €
Paru le 16/01/2013
52 pages
Soleil Productions
15,50 €
Paru le 21/08/2013
55 pages
Soleil Productions
15,50 €
Paru le 22/06/2016
56 pages
Soleil Productions
15,95 €
Paru le 15/12/2023
48 pages
Le Lombard
13,95 €
Paru le 18/01/2017
224 pages
Glénat
7,20 €
Commenter cet article