Portée par un intérêt renouvelé des éditeurs et des auteurs, l’édition jeunesse italienne résiste au léger repli du marché du livre. Face à la concurrence des écrans et à un soutien à la lecture encore perfectible, notamment dans les écoles, le secteur confirme sa bonne santé.
Le 05/05/2025 à 10:08 par Federica Malinverno
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05/05/2025 à 10:08
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En 2024, le chiffre d’affaires « trade » de l’édition italienne (librairies, e-commerce et grande distribution) atteint 1,5 milliard d’euros, enregistrant un léger recul de 0,9 % par rapport à l’année précédente. Le segment de l’édition jeunesse, après une année de croissance, subit pour sa part une très faible baisse de 0,2 %, pour un total de 258,2 millions d’euros — un montant qui grimpe à 276,8 millions si l’on y ajoute la bande dessinée destinée aux enfants et aux adolescents.
À titre de comparaison, le marché français de l’édition jeunesse pesait 385,4 millions d’euros en 2023 (données SNE). En Italie, donc, ce segment demeure relativement stable et il représente, en volume, un peu moins d’un quart des ventes totales, soit 24,2 millions d’exemplaires sur les 103,2 millions écoulés.
Signe encourageant, l’édition jeunesse est aussi le seul secteur à voir sa production de nouveautés progresser : en 2024, 12 % des nouveaux titres publiés lui sont consacrés.
Ces dernières années, l’intérêt des éditeurs et des auteurs pour ce secteur est également en croissance, comme on peut le constater à travers quelques exemples. Certains éditeurs comme Sellerio, maison indépendante de Palerme spécialisée dans la fiction italienne et étrangère, ou Hoepli, maison d’édition spécialisée dans la non-fiction et l’universitaire, ont récemment créé des collections jeunesse, respectivement La memoria dei ragazzi et les Hoeplini : ces dernières étant destinées aux enfants à partir de trois ans.
Quant aux auteurs, après le cas de Joël Dicker avec La très catastrophique visite du zoo (Rosie & Wolfe), traduit en Italie par La Nave di Teseo, la lauréate du prix Strega 2024 Donatella Di Pietrantonio (L’âge fragile, traduit en France par Laura Brignon, Albin Michel) a également fait ses débuts dans la littérature pour enfants avec Lucciole, squaletti e un po' di pastina (Salani).
Un autre élément clé pour le développement et la bonne santé du secteur concerne le travail autour de l’édition jeunesse faite par la Foire de Bologne. En témoignent les chiffres de l’édition 2025 de la Foire, qui a accueilli 33.318 visiteurs professionnels et 1577 exposants venus de 95 pays et régions du monde.
Antonio Bruzzone, directeur général de BolognaFiere, a souligné la vocation internationale de la foire : « Le succès en termes de nombre d’exposants du monde entier est le résultat du travail de prospection que la foire mène, un engagement constant et global : être présents dans le monde entier, toute l’année, est essentiel pour comprendre les tendances des marchés, même émergents, et tisser de nouvelles relations ».
Parmi les principales nouveautés de la dernière édition, on trouve le nouveau Games Business Centre – en collaboration avec la Buchmesse de Francfort et réalisé avec la Bologna Licensing Trade Fair/Kids – qui s’ajoute à la deuxième édition du TV/Film Rights Centre.
Rappelons, enfin, que la Foire a créé en 2013 le prestigieux BOP – Bologna Prize for the Best Children’s Publishers of the Year, un projet qui est né en collaboration avec l’Association Italienne des Éditeurs et l’Association Internationale des Éditeurs, qui distingue chaque année plusieurs maisons d’édition jeunesse à l’échelle internationale.
Le prix est attribué par les éditeurs eux-mêmes, appelés à voter pour les maisons qui se sont distinguées au cours de l’année par leur innovation, leur créativité et la qualité de leurs choix éditoriaux dans six régions du monde.
Les lauréats de cette année sont l’Italienne Fatatrac pour l’Europe, Imaginary House (Afrique du Sud) pour l’Afrique, Everafter Books - Beijing Everafter Culture Development Co., Ltd (Chine) pour l’Asie, Candlewick Press (États-Unis) pour l’Amérique du Nord, Companhia das Letras (Brésil) pour l’Amérique centrale, du Sud et les Caraïbes, et Mila’s Books (Nouvelle-Zélande) pour l’Océanie.
A l’occasion de la dernière foire de Bologne, pour mieux comprendre les tendances et défis du secteur, Il Giornale della Libreria a interviewé plusieurs éditeurs italiens, à savoir Il Castoro, Edizioni EL, Gallucci, Terre di Mezzo et Raffaello Ragazzi, qui ont fourni des éléments d’analyse globale sur le secteur.
Tout d’abord, Carlo Gallucci, fondateur de la maison éponyme, souligne la stabilité du secteur et attribue la baisse au manque d’un best-seller qui s’impose sur le marché : « Si le segment jeunesse a enregistré une légère baisse récemment, c’est uniquement en raison de l’absence d’un phénomène best-seller significatif. Mais le secteur reste solide. »
Quand on parle d’édition jeunesse, selon Gaia Stock, directrice éditoriale d’Edizioni EL, Einaudi Ragazzi, Emme Edizioni, il est important de distinguer entre les publications pour les plus jeunes et celles destinées aux adolescents : « Si l’on observe le secteur des albums illustrés, où la qualité de la production italienne est très élevée, on voit un marché florissant, avec des ventes bien plus importantes qu’autrefois, malgré la crise démographique. L’éducation à la lecture, portée par les familles, est forte dans les premières années de vie. »
Mais, lorsque les enfants grandissent, la situation évolue, et pas dans le bon sens : « Avec le temps (…) on constate un désengagement croissant des jeunes (envers la lecture), surtout lorsqu’on leur met un smartphone entre les mains (…) »
Si Giulia Rizzo, directrice éditoriale adjointe de Terre di Mezzo Editore, confirme le succès des albums illustrés, « un produit sur lequel nous avons beaucoup misé bien avant qu’il ne devienne aussi populaire et qui connaît aujourd’hui une floraison », Gaia Stock souligne que le choix de sa maison d’édition d’investir également dans le segment un peu moins rentable de la littérature pour les 7-12 ans est un « choix éthique, civique et culturel ».
En effet, un allié incontournable, en plus de la famille, pour soutenir la lecture chez les jeunes doit être l’école, qui, selon Renata Gorgani, fondatrice de Il Castoro, « en Italie a toujours apporté un soutien de façon discontinue. Il existe des enseignants et des écoles qui font un travail sérieux, qui se forment aux nouvelles propositions, qui écoutent les élèves, qui sont en contact avec les libraires et bibliothécaires et adhèrent aux projets de lecture comme #ioleggoperché ».
En effet le problème principal semble être le manque de coordination et de « structuration » en ce qui concerne le travail de l’école en matière de soutien de la lecture, même s’il existe, comme le rappelle toujours Gorgani, des initiatives vertueuses comme # ioleggoperché, instituée par l’AIE (Associazione Italiana Editori) qui soutient la lecture notamment à travers l’enrichissement des fonds des bibliothèques scolaires.
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Défendre le plaisir de lire est, pour Gorgani, un engagement collectif à entretenir en permanence, « une tâche qui ne peut être déléguée seulement aux éditeurs ».
Un autre facteur qui éloigne souvent les jeunes de la lecture est la concurrence des autres médias, qui valorisent une « culture de l’image » plus que du texte. Pour cette raison, selon Salvatore Passaretta, responsable commercial de la section « varia » de Raffaello Libri, il est nécessaire de miser sur des solutions comme le roman graphique ou le fumetto (bande dessinée) « avec lequel nous avons proposé des classiques pour enfants », mais aussi sur une mise en page simple, aérienne et inclusive.
Enfin, si tous les éditeurs s’accordent sur l’importance de promouvoir la pluralité des formes et des approches narratives des livres jeunesse, ainsi que le dialogue texte-image, certaines maisons comme Terre di Mezzo suivent une ligne éditoriale et une histoire très marquée.
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Cette maison, née en 1994 comme éditeur d’un journal de rue, vendu par des migrants, publie aujourd’hui environ 100 livres. Sa politique éditoriale se développe autour de l’idée de « fuir l’édifiant, le livre à thème porteur d’un message », comme le souligne Giulia Rizzo. Et elle ajoute : « Nous nous guidons sur des principes d’entreprise sociale : nous privilégions l’horizontalité dans la prise de décision, le dialogue, le pluralisme. »
Crédits image : Image d'illustration, par Tim Pierce (CC BY 2.0)
Par Federica Malinverno
Contact : federicamalinverno01@gmail.com
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19,00 €
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