Le 26 avril s'est tenue, à la Maison de la Poésie, la seconde édition du Festival des Littératures Urbaines. À cette occasion, a été remis les Prix des Littératures Urbaines, catégorie Roman, à un homme et une femme : Johann Zarca et son texte Clean (Goutte d'or), et Nadège Erika et son premier roman Mon Petit (Livres Agités).
« Je suis dépendant. » Johann Zarca prononce cette phrase chaque jour depuis cinq ans. Le 30 août 2019, il a choisi d’adopter une vie d’abstinence, renonçant à toute consommation de substances – drogues, alcool – susceptibles de modifier son état de conscience. Depuis, il participe quotidiennement à des groupes de parole réunissant consommateurs de drogues et anciens toxicomanes, et intervient régulièrement dans des hôpitaux ainsi que dans des établissements pénitentiaires. Ce parcours personnel lui a inspiré son onzième roman : Clean. Un récit au cœur de la lutte, parfois à mort, que livrent de nombreuses personnes contre leurs addictions.
Les personnages partagent une histoire commune : ils sont d’anciens « toxicomanes ». Sonia, fraîchement sortie de cure de désintoxication, tente d’échapper à son ex-compagnon, un dealer qu’elle a dépouillé de son argent. Sébastien, épris d’elle, part à sa recherche dans les rues de Paris. Redouane, ancien du grand banditisme et ex-videur de boîte de nuit, lutte contre ses propres démons : son attirance pour l’argent facile et la violence. Lucy, ex-héroïnomane devenue thérapeute, est à la recherche de son fils disparu dans les quartiers les plus troubles de la capitale. Ensemble, ils s’épaulent pour préserver leur abstinence. Mais l’équilibre fragile de leur groupe vacille lorsque Sonia retombe sous l’emprise de son ancien compagnon.
Johann Zarca est l’auteur de plusieurs romans, parmi lesquels Chems (2021), publié chez Grasset. En 2017, il a reçu le Prix de Flore pour Paname Underground, paru aux éditions Goutte d’Or.
Le premier roman de Nadège Erika se déroule dans le Belleville des années 1990 : Naëlle grandit chez Grand-Maman, dans une cité HLM de la rue Piat. Elle porte des robes à col Claudine, apprend qu’il faut parler « d’intempéries » plutôt que de « temps de merde », et s’arrête chaque jour devant le restaurant chinois de Mme Ah, où des canards sans tête s’exposent en vitrine. À Porte de Montreuil, elle retrouve Jeanne, sa mère infirmière, libre et bohème, abonnée aux visites d’huissiers. Là, les repas se composent de Banania et de biscottes, le tourne-disque crache les Jackson Five à plein volume.
Entre ces deux univers, Naëlle, entourée de ses frères et sœurs, fait la navette, grandit, questionne sans toujours obtenir de réponse. Elle croise des hommes qui ne sont jamais ceux qu’il faudrait, tombe amoureuse de Gustave, de ses yeux verts et de ses nouvelles Nike, et devient mère à dix-neuf ans. Les éclats de rire et les silences jalonnent son parcours. Le drame, lui, semble patienter, tapi dans l’ombre... Nadège Erika est une éducatrice spécialisée dans le médico-social.
Barbès Blues. Une histoire populaire de l'immigration maghrébine, signé Hajer Ben Boubaker, et Petit frère. Comprendre les destinées familiales, d'Isabelle Coutant et Yvon Atonga, remportent les prix des Littératures Urbaines, catégorie Essai.
Née à Paris et ayant grandi dans le 18ᵉ arrondissement, Hajer Ben Boubaker est chercheuse indépendante et documentariste franco-tunisienne. Elle est la créatrice du podcast Vintage Arab et l'autrice de la série radiophonique Une histoire du Mouvement des Travailleurs arabes, consacrée à l'organisation militante des années 1970, diffusée sur France Culture et récompensée par le Prix découverte sonore de la SCAM en 2022. En 2023, elle a reçu le prix Unesco-Sharjah pour la culture arabe.
Isabelle Coutant est sociologue, directrice de recherche au CNRS. Elle a notamment publié : Délit de jeunesse. La justice face aux quartiers (La Découverte, 2005) et Les Migrants en bas de chez soi (Seuil, 2018). Et réalisé avec Mehdi Ahoudig le documentaire radio Wilfried (Arte Radio 2018). Yvon Atonga est coordinateur d’équipes commerciales à la SNCF, artiste rap (fondateur du groupe Armaguedon) et entrepreneur. Il a créé en 2017 l’association « Ghetto Star No Limit » pour les jeunes de Villiers-le-Bel.
Cette année, les organisateurs ont souhaité créer un comité de lecture citoyen rassemblant celles et ceux qui partagent leur ambition : faire émerger de nouveaux récits. Un appel a ainsi été lancé pour constituer ce comité. Il a permis de réunir plus d’une centaine de participantes et participants, qui se sont engagés à lire et à donner leur avis sur une cinquantaine de romans et d’essais.
À partir de ces nombreuses fiches de lecture, plusieurs ateliers ont été organisés avec les membres du comité, afin de construire collectivement les fondations du futur prix. Ces rencontres ont notamment permis de définir une première liste de critères jugés importants pour évaluer les ouvrages, une réflexion sur les avantages et les limites des différentes modalités de sélection, entre objectivité des critères et subjectivité d’un jury, une méthode de présélection en petits groupes, reposant sur les fiches de lecture déjà remplies par les pairs et inspirée du « prix de la page 111 ».
Pour cette étape, les participantes et participants ont reçu en extrait la première et la dernière page de chaque livre, ainsi que la page 111.
Ces ateliers et échanges se sont déroulés à la fois en présentiel, aux Arches citoyennes à Paris, et en visioconférence afin de permettre à celles et ceux qui n’habitent pas en Île-de-France de participer pleinement au processus. L’ensemble de cette démarche collective a abouti à une sélection finale.
Fort de cette sélection, un jury a été mis en place, pensé pour être le plus représentatif possible de la société dans laquelle nous vivons et des publics visés, partagent avec nous les organisateurs : « L’objectif est que cette sélection puisse résonner autant auprès de celles et ceux qui lisent sans se reconnaître dans l’offre littéraire actuelle qu’auprès de celles et ceux qui ne lisent pas et se sentent exclus du monde du livre », assurent-ils.
Ce jury est composé de Juliette Arnaud, actrice, scénariste, chroniqueuse radio et autrice ; Nassira El Moaddem, journaliste et autrice ; Pauline Guéna, autrice et lauréate de la première édition ; Abdoulaye Sissoko, co-auteur du livre Quartiers de combat, militant associatif et gérant d’une entreprise de sécurité ; Mateo Corso, livreur ; Salim Keddouh, réalisateur de documentaires ; et Olivier S. incarcéré à la maison d'arrêt de Saint-Maur.
Les romans Reine de Pauline Guéna, édité chez Denoël, et Anissa de Rachid Santaki, paru dans les regréttés éditions Alibi, ont été primés lors de la première édition du festival des littérature urbaines.
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 10/01/2025
320 pages
Goutte d'or
21,00 €
Paru le 24/08/2023
280 pages
Livres Agités
20,50 €
Paru le 27/09/2024
304 pages
Seuil
21,00 €
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