#BookBanUSA — Quand on invite un spécialiste du stoïcisme à discourir sur le courage et la sagesse, mieux vaut ne pas espérer des discours tièdes. La prestigieuse U.S. Naval Academy d'Annapolis vient d'en faire l'amère expérience : Ryan Holiday, auteur et podcasteur à succès, s'apprêtait à donner une conférence sur l'importance du savoir... avant d'être déprogrammé une heure à peine avant son intervention.
La United States Naval Academy (USNA), souvent appelée simplement la Naval Academy, est une prestigieuse académie militaire située à Annapolis, dans l’État du Maryland (États-Unis). Fondée en 1845, elle forme des étudiants — appelés midshipmen — pour devenir des officiers dans la Marine américaine (U.S. Navy) et dans le Corps des Marines (U.S. Marine Corps). Elle avait sollicité l'animateur pour parler de vertu...
Et certainement pas la montagne de livres disparus et l’interdiction récente de près de 400 ouvrages dans la bibliothèque de l’établissement. (via The Baltimore Banner)
Ryan Holiday n’en était pas à son coup d’essai : après deux interventions très appréciées en 2023 et 2024 sur le courage et le sens moral, il revenait avec une conférence taillée pour des étudiants en éthique. Mais cette année, l’administration lui a gentiment demandé d’éviter tout commentaire sur le récent "nettoyage" de la bibliothèque, visant principalement des livres abordant le racisme, le sexisme et d'autres sujets estampillés "DEI" (diversity, equity, inclusion).
Face à une telle injonction, Holiday a refusé de se censurer. Comment pouvait-il prôner l’intégrité tout en fermant les yeux sur ce qu’il considérait comme un recul dramatique de l’accès à la connaissance ? « Cela aurait été un énorme éléphant dans la pièce », a-t-il déclaré, stoïque mais visiblement indigné.
Résultat : l'événement a été officiellement "reprogrammé" — une expression élégante pour signifier qu’il a été purement et simplement annulé.
La Naval Academy se défend en invoquant son caractère « apolitique » et son rôle dans la formation d’officiers vertueux, solides et disciplinés. « Elle se concentre sur le développement moral, mental et physique des aspirants afin de former des leaders honorables, de créer une culture d’excellence et de préparer les futurs officiers au service militaire », affirme le commandant Tim Hawkins, porte-parole de la Navy.
Un paradoxe savoureux, quand on sait que l’annulation survient dans un contexte de changements à l'Académie navale, notamment la fin de l'affirmative action et l'interdiction faite aux enseignants d’aborder le racisme et le sexisme systémiques. L'administration Trump a poussé à la suppression des initiatives de diversité dans les académies militaires du pays.
Holiday, fidèle à ses principes, comptait notamment rappeler que même Dwight Eisenhower, en pleine Guerre froide, refusait de censurer les ouvrages communistes dans les ambassades américaines. « Cacher ou interdire ne résout rien », affirmait le président d’alors — une leçon que l’on espérait intemporelle. Manifestement, elle a besoin d’être revisitée.
Au-delà de l’épisode cocasse d’un conférencier censuré pour avoir voulu parler de censure, c’est un avertissement plus grave que tire Ryan Holiday. Pour former des leaders capables de prendre des décisions sur des champs de bataille ou dans des négociations internationales, il faut leur faire confiance… y compris pour lire des ouvrages avec lesquels ils pourraient être en désaccord.
« On n’a pas besoin d’aimer ces livres pour comprendre qu’il est intellectuellement et moralement erroné de les retirer pour des raisons politiques », insiste Holiday. « Nous empruntons une voie très dangereuse si nous ne faisons pas confiance aux personnes chargées de prendre des décisions en matière de combat et de politique pour lire un livre de Stacey Abrams. »
Et si, à Annapolis, on enseigne toujours l’éthique, on a oublié que la première leçon de vertu commence par affronter ses propres contradictions.
Allez, on frappe dans ses mains en rythme : « In the Navy, come on, protect the motherland. In the Navy, come on and join your fellow, man. In the Navy, come on, people, and make a stand. »
DOSSIER - Aux États-Unis, une inquiétante vague de censure de livres
Par Clément Solym
Contact : cs@actualitte.com
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