Très attendue après les coupes budgétaires annoncées par la région Pays de la Loire, l'assemblée générale du pôle régional du livre et de la lecture, Mobilis, s'est tenue ce jeudi 24 avril à Nantes. La structure a présenté le bilan de son année 2024 et jeté des pistes pour son avenir. Sans dissimuler une réalité crue : le licenciement de ses cinq salariées prive l'interprofession d'un allié impossible à remplacer, sans des moyens à la hauteur.
Au sein de l’École des Beaux-Arts de Nantes–Saint-Nazaire, le pôle régional Mobilis et ses adhérents sont en terrain ami. Au détour d'un couloir de l'établissement sont ainsi placardées plusieurs affiches d'étudiants dénonçant les coupes budgétaires drastiques de la région Pays de la Loire, revendiquées par sa présidente, Christelle Morançais (Horizons). L'une d'entre elles, avec un humour particulièrement punk, invite à décorer son portrait d'un peu de salive, en visant bien : « Elle crache bien sur la culture. »
Comme ce secteur, le social ou le sport ont été durement touchés par les réductions de 100 millions € des dépenses publiques annoncées par le conseil régional. Une politique de la « tronçonneuse », façon Javier Milei ou Donald Trump, que la droite économiquement libérale française embrasse avec un plaisir non dissimulé.
Mobilis, le pôle régional du livre et de la lecture, fait partie des structures les plus durement touchées par les annulations de subventions, puisque son budget dépendait largement de celles attribuées par le conseil régional (elles en représentaient 43,6 % du total en 2024). Fin 2024, la région a annoncé la baisse de 50 % de sa participation au financement de Mobilis, avec 101.250 € manquants dans le budget 2025, puis 142.500 € l'année suivante, soit l'intégralité de la subvention versée en 2024.
Privé de cette part essentielle de son budget, l'association a dû se résoudre à licencier l'ensemble de son équipe de cinq salariées, une décision prise « la mort dans l'âme », a rappelé Yves Guilloux, enseignant PRCE à l'Université de Nantes et président de Mobilis, lors de l'assemblée générale de ce 24 avril.
Une cinquantaine de personnes, adhérentes de Mobilis, actrices du secteur du livre et de l'écrit, étaient présentes à l'occasion de l'assemblée générale. Celle-ci s'est ouverte sur une présentation du rapport moral 2024, effectuée par le président de Mobilis depuis 2023, Yves Guilloux. Le moral, justement, était quelque peu entamé par le constat « d'autres impacts sur la filière en fin d'année, puis en 2026 », après l'arrêt du financement régional.
Néanmoins, l'équipe salariée comme le bureau de l’association « se mobilisent pour pérenniser l'activité », mais aussi « honorer les engagements de Mobilis, avec une implication sans faille », a-t-il précisé. Dans ce contexte économiquement délicat, la présence maintenue de la Direction régionale des affaires culturelles, aux côtés du pôle, a été vivement saluée. Ainsi, si la fin de la mission patrimoine écrit jusqu'à présent assumée par Mobilis signifie la perte d'une subvention de 50.000 €, les missions d'observation et d'accompagnement des acteurs de la filière devraient rester financées par la Drac.
Malgré cet investissement, les coupes budgétaires ont condamné certaines actions, dont les Journées du patrimoine écrit des bibliothèques, en juin 2025, et Lire en circuit court, événement prévu en novembre prochain. Dès le second semestre 2025, les journées professionnelles, ateliers, sessions d'information et autres rencontres territoriales de Mobilis sont annulés, tandis que les missions patrimoine écrit et écologie du livre sont mises à l'arrêt.
S'y ajoutent la suspension des accompagnements et conseils, individuels comme collectifs, ainsi que l'arrêt de la veille professionnelle, de la mise à disposition et de la production de ressources.
« Dès le départ, l'idée s'est installée de ne pas arrêter Mobilis », rappelle Yves Guilloux, mais d'en repenser le périmètre. Parmi les réflexions entamées, la possibilité de travailler avec les autres pôles régionaux (filière musicale, spectacle vivant, arts visuels, patrimoine, cinéma et audiovisuel, tous fragilisés) et notamment de mutualiser des ressources, dont un « lieu à partager tous ensemble, en interpôle ».
La soudaineté de la décision régionale impose le mode de l'urgence, souligne le bureau de l'association, lancé dans « une course contre la montre pour capitaliser sur tout ce qui existe, avec des questions pratiques : le site internet de Mobilis, que va-t-il devenir ? », interroge Emmanuelle Morice, qui fut aussi présidente de Mobilis. L'une des premières étapes sera donc une phase de transition, à partir du mois de juin prochain, pour « maintenir l'existant ».
Dans un second temps, l'écriture d'un nouveau projet pour Mobilis sera l'indispensable préalable pour « demander des subventions aux collectivités, à la région comme aux autres », avance l'autrice Cathie Barreau. Sur ce point, Mobilis restera évidemment centré sur la filière du livre, avec une raison d'être assez claire.
Faire vivre une structure pensée par et pour tous·tes les acteur·ices du livre et de la lecture en Pays de la Loire, qui favorise la coopération interprofessionnelle. Mobilis accompagne la réflexion, la montée en compétences, l'interconnaissance et la valorisation de cette filière en complémentarité et en relation étroite avec les partenaires du territoire régional et national.
– Raison d'être de Mobilis
« À moyen et à long termes, il est nécessaire de repenser l'association face à des politiques qui veulent nous censurer », ajoute Cathie Barreau. « Militer fait partie de notre travail associatif à plein temps : il faut rappeler que la culture, que le livre et que le travail collectif doivent exister. »
Réunies autour d'Adèle Spieser, directrice de Mobilis, Mélanie Cronier, chargée d'accompagnement écologie du livre et de la lecture, Stéphanie Lechêne, directrice adjointe, et Amandine Huchette, chargée d'administration, ont passé en revue les actions de l'année 2024, particulièrement riche en journées professionnelles.
Très chargé (le détail est accessible dans le rapport d'activité en fin d'article), le programme 2024 de Mobilis sonne malheureusement comme un baroud d'honneur après le désengagement du conseil régional. Les rencontres, formations, accompagnements collectifs ou individuels manqueront particulièrement aux professionnels du livre, à en croire les quelques témoignages recueillis ce jour-là.
Adhérent à la structure depuis 6 ans environ, Francis Carpentier, auteur de nouvelles, estime ainsi qu'elle « a toujours été dynamique et ouverte dans ses propositions de formations : pendant un temps, elle fut la seule à s'adresser aux auteurs », nous indique-t-il. « Cela m'a permis de mieux connaitre le secteur du livre, de rencontrer d'autres auteurs, des éditeurs, au-delà de mon bureau d'écrivain. »
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Sandrine Scardigli, éditrice, libraire et correctrice, partage ces observations. Lorsqu'elle a monté sa maison d'édition, Gephyre, avec Paul Cosquer, en 2018, elle a pu s'appuyer « sur les conseils prodigués, les réponses données ». Elle assure que « ces structures d'échange entre les maillons de la chaine sont uniques, vitales, par l'accompagnement et des événements souvent gratuits ».
Dans les bibliothèques, qui sont plus éloignées de l'action de Mobilis, on reconnait malgré tout un « travail essentiel pour le bon fonctionnement de l'écosystème du livre », selon l'expression de Sandrine Coston, bibliothécaire-formatrice, membre du collège Associations professionnelles et organismes de formation de l'association pour y représenter l'Association des Bibliothécaires de France.
Fin 2023, Mobilis avait ainsi prêté main-forte au comité régional Pays de la Loire de l'ABF pour organiser une journée professionnelle dédiée à l'écologie du livre et aux « bibliothèques vertes », « une véritable problématique, qu'il est important d'évoquer dans toute la chaine ». L'investissement de l'association sur le sujet a permis d'en améliorer la perception par le secteur du livre, menant même à son évocation en ouverture des dernières Rencontres nationales de la librairie, du Syndicat de la Librairie française, avec une intervention de Mélanie Cronier.
Beaucoup s'inquiètent de la disparition de la force de frappe propre à Mobilis et à son équipe salariée. Revenant sur l'exposition « Du manuscrit à la BD – Nouveaux trésors des bibliothèques des Pays de la Loire », organisée au Domaine national du château d'Angers entre janvier et mai 2024, Adèle Spieser en a rappelé la complexité d'organisation, saluant le travail d'Émilie Chevalme, chargée de mission Patrimoine écrit. L'événement avait fait le lien entre plusieurs fonds de bibliothèques du territoire : « Sans Mobilis, qui aurait coordonné cette exposition ? », souligne Adèle Spieser en pointant la complexité liée à l'exposition de pièces précieuses et fragiles.
L'abandon du secteur par la région Pays de la Loire menace deux autres structures professionnelles, l'Association des librairies indépendantes en Pays de la Loire (ALIP) et Coll.LIBRIS, collectif d'éditeurs des Pays de la Loire. Ici aussi, des pertes de subvention remettent en cause les emplois et le champ des actions : « Comment les liens entre les associations peuvent-ils perdurer ? Que se passera-t-il demain, en 2026 ? », s'interroge Thierry Bodin-Hullin, membre du bureau de Mobilis. « Ce qui est sûr, c'est que nous ne pourrons pas fonctionner chacun dans notre coin. »
Le secteur du livre ligérien tend en tout cas le dos au vu du contrecoup des réductions budgétaires. « Toute la vie du livre est impactée en Pays de la Loire », s'inquiète Sandrine Scardigli en pointant les dispositifs abrogés par le conseil régional en décembre 2024 (accessible dans le document en fin d'article).
« Tous les festivals auxquels nous participons reçoivent des aides publiques et, lorsqu'elles sont supprimées, l'effet domino peut rapidement être fatal », explique-t-elle en évoquant, par exemple, le devenir du festival Les Affluents d'Ancenis, dont la dernière édition a eu lieu en mai 2024. Pour une jeune maison d'édition — qui compte néanmoins une trentaine d'ouvrages au catalogue, dont des traductions [à paraitre en 2025, Enchantement de fin de siècle (titre provisoire) de Yoss & Danilo Manera, traduit de l'espagnol (Cuba) par Jacques Fuentealba] —, la disparition d'un festival emporte avec elle la perspective de quelques ventes et d'une rencontre avec le public.
Sans trop de surprise, la stratégie budgétaire régionale, à la fois simpliste et court-termiste, n'a pas convaincu les adhérents de Mobilis. « Elle me semble prémonitoire de ce qui se passe actuellement aux États-Unis [où Donald Trump se livre à une véritable épuration administrative, économique et culturelle, NdR] », indique Francis Carpentier.
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« J'avais 17 ans en 1968, et les vieux d'alors nous faisaient chier : j'ai l'impression qu'ils sont de retour. Pour ma part, je me sens jeune, mais triste, face à une société sclérosée, repliée, élitiste, qui se traduit par une censure économique de la culture, y compris sur la partie qui n'était pas commerciale », déplore-t-il.
Bien malgré lui, le pôle régional Pays de la Loire se retrouve cobaye des coupes budgétaires et autres choix politiques délaissant la culture. Après les annonces du ministre de l'Économie Éric Lombard quant aux 40 milliards € d'économies supplémentaires à réaliser dans les dépenses publiques — sans évidemment augmenter les impôts, s'attaquer sérieusement à la fraude fiscale ou travailler sur les inégalités de richesse —, le secteur s'attend au pire.
Les associations culturelles anticipent ainsi à « un plan social massif mais à bas bruit », tandis que les professionnels du livre ne sont pas dupes. « Les collectivités, à toutes les échelles, ont le besoin ou le prétexte de faire des économies : la compression budgétaire se fait quasiment à tous les niveaux, du côté des événements culturels comme de la promotion du livre, et les bibliothèques sont elles aussi impactées », explique Sandrine Coston.
Les perspectives, assombries, mettront à l'épreuve la résilience du secteur. Francis Carpentier croit à un rebond après avoir touché le fond, tandis qu'Yves Guilloux lance une formule contre « l'injustice du conseil régional » : malgré la tentation du découragement, conserver « l'ardeur de penser l'avenir ».
Le rapport d'activité 2024 de Mobilis est accessible ci-dessous.
Photographie : Une partie de l'équipe salariée de Mobilis (de gauche à droite : Mélanie Cronier, Adèle Spieser, Stéphanie Lechêne et Amandine Huchette), le 24 avril 2024 à l’École des beaux-Arts de Nantes-Saint-Nazaire, à Nantes (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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