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Ravivant le souvenir d’un des procès historiques les plus importants de notre histoire contemporaine, Le procès Mein Kampf d’Harold Cobert est un livre remarquable, captivant, fascinant, qui se lit d’un trait. La description des personnages tous plus charismatiques les uns que les autres est très étoffée. Un souffle et un lyrisme indéniables emportent ce récit de bout en bout.
Le procès Mein Kampf raconte avec brio la folle épopée de la publication de ce texte en français et du retentissant procès qu'elle a entraîné porté par le flamboyant avocat Philippe Lamour, ténor du barreau, considéré alors comme le nouveau Zola depuis l’affaire Seznec, possédant une rhétorique hors normes. L’homme est plein de stratégies pour requalifier l’affaire au pénal (mais hélas, il échoue en connaissance de cause).
2025 : la publication de ce texte abject Mein Kampf (Mon Combat) a 100 ans. Rappel : Mein Kampf est un livre dégueulasse écrit en prison par le monstre Führer. Sa diarrhée verbale (quelques lignes sont reproduites dans le livre d’Harold Cobert) éclaire totalement sur les intentions funestes et antisémites écrites depuis 1924. Le livre est publié en Allemagne en 1925.
C’est un texte si mal écrit qu’il en est illisible – le traducteur André Calmettes aura du mal à parvenir à ses fins –. Sa dégueulasserie permet toutefois de lire avec beaucoup d’évidence la haine du juif, des métèques et des nègres, qui suinte à chaque ligne. Hélas, dès sa publication, Mein Kampf rencontre un immense succès en Allemagne et dans le monde. Le roman de Cobert débute sur un pan méconnu de l’Histoire : un entretien fameux entre de Brinon et Hitler qui va tout préciser et précipiter…
Harold Cobert retrace comment tous les protagonistes de cette affaire en sont parvenus à cet improbable complot, comment des opposants politiques de tous bords se sont alliés contre l’ennemi commun : Hitler. Deux ou trois anciens soldats de la guerre de 14, tous membres de l’Action française ou d’extrême-droite – et volontiers antisémites –, les acolytes de Maurras, les Royalistes disent qu’Hitler ment sur ses intentions.
L’attelage pour le moins inattendu et peu glorieux entre tous comprend également des militants de la cause juive. Tous ces ennemis politiques que pourtant tout oppose unissent, en effet, leurs forces pour révéler au grand jour les véritables intentions du Führer. C’est leur dénominateur commun. (« Nous avons un ennemi commun qui dépasse nos oppositions : Hitler – Eux pour les intentions belliqueuses qu’ils lui prêtent et vous pour sa haine des Juifs ? – Exactement. » - dialogue Lamour)
Pour continuer de faire croire à un rapprochement entre l’Allemagne et la France, interdire la traduction du livre est pour le dictateur sanguinaire un prétexte pour ne pas dévoiler ses funestes arrières-pensées, ses véritables intentions de destructions massives. Il va habilement se servir du droit français pour empêcher la publication du livre en France et manipuler toutes les opinions, y compris celles de ses plus fidèles proches.
Nul besoin d’être historien pour se laisser prendre par ce récit intelligemment construit et rondement mené, à la maîtrise romanesque parfaite, où l’on rencontre des figures connues (Fernand de Brinon, André Calmettes, Lapouze, Lacaze, Maurice Vanikoff) et d’autres moins. Le texte raconte avec efficacité et concision la succession d’événements qui conduiront au chaos.
Le roman est très documenté (quelques pièces sont publiées en toute fin de l’ouvrage), la plume est vive, énergique, acérée, faisant sentir et ressentir au lecteur le climat très anxiogène de cette époque, et les multiples facettes de l’âme humaine. Le roman bascule à son mitan vers un polar historique et juridique, lui donnant des allures d’épopée. Le climat des années 30 est parfaitement restitué.
J’ai bien aimé les successions de scènes mondaines et de fragments, comme on le verrait dans une pièce de théâtre. Les scènes au Ritz ou au Palais de Justice sont des tableaux vivants à part entière. Mais en effet, nous ne sommes pas au théâtre, et les séquences qui se lisent là sont des faits historiques et véritables, dont l’insoutenable tragédie est parfaitement restituée.
Fernand Sorlot, éditeur antisémite, publie donc une contrefaçon du texte ordurier avec une équipée composée de Vanikoff, Bernard Lecache (de la LICA, antérieure de la LICRA), entre autres. L’ouvrage est traduit en 5000 exemplaires. Quelques-uns plaident pour un programme politique libre de droits, les autres, pour la protection du droit d’auteur. Sorlot est condamné pour contrefaçon, et Hitler gagne son procès contre l’éditeur français, au nom de la protection du droit d’auteur. Ce fait peut apparaître surréaliste.
En s’appuyant sur les instabilités gouvernementales de l’époque en miroir de celles d’aujourd’hui, en évoquant les thèses de la liberté d’expression et des montées de toute forme d’extrémisme, Harold Cobert rappelle que le temps réactive les mêmes dévastations, les mêmes tragédies : L’Histoire se répète de manière infinie, comme en témoigne la frappante contemporanéité de cet excellent récit avec les événements actuels marqués par un regain puissant de judéophobie et d’antisémitisme.
Dans les coulisses de la scène où il s’apprêtait à prononcer un discours, Hitler allait et venait à grandes enjambées crispées devant Joseph Goebbels, Joachim von Ribbentrop, Max Amann et Rudolf Rienhardt.
Je suis le chancelier du Reich, le maître de l’Allemagne et bientôt de toute l’Europe ! vitupérait-il. La France est un état dégénéré, gangréné par les Nègres et les métèques, contaminé par la peste juive !
Il s’immobilisa et resta un long moment pensif. Seule la clameur de la foule attendant son chef habitait le silence. Soudain, un rictus terrible entailla le visage du Führer. « Ne pourrait-on pas, questionna-t-il en se tournant vers ses fidèles, supprimer cet éditeur d’une balle dans la tête, brûler sa médiocre librairie et raser son imprimerie renégate ? »
Sous son impulsion, tous éclatèrent d’un rire martial. L’air brusquement grave et sombre, Hitler se remit à faire les cent pas. « Je t’entends, Joseph, débita-t-il à l’intention de Goebbels, cela aggraverait encore plus la polémique au sujet de ce que renferme Mein Kampf et de mes véritables plans concernant la France. Quelle tragédie que nous ne puissions pas régler ce problème à l’allemande, d’une manière virile, la seule qui vaille !
… Je crois que vous vous méprenez autant sur le Faisceau que sur mon compte, monsieur Lecache. Je vais essayer d’être clair à défaut d’être bref. Bien que le Faisceau fût considéré comme le premier parti fasciste à la française, sa ligne se voulait d’un côté antiparlementaire, à savoir opposée à la décrépitude morale de nos hommes politiques actuels qui ne cessent de dévoyer nos institutions, et de l’autre socialiste révolutionnaire.
Preuve en est qu’il rassemblait autant des hommes de droite que des hommes de gauche, tels Philippe Barrès et Paul Nizan pour ne citer qu’eux. En somme, il incarnait le désir d’une union sacrée trans-partisane au service du peuple et d’une certaine idée de la France. Quant à moi, notez que je n’en ai pas été à proprement parler membre, j’aime trop ma liberté et exercer mon esprit critique pour faire allégeance à une doctrine en particulier.
En revanche, j’ai effectivement assuré le secrétariat de sa revue, Le Nouveau Siècle. Mes accointances avec ce mouvement, pour reprendre vos propres termes, s’arrêtent là, et, avant sa dissolution, à cette ambition de mêler souci national et souci social…
Par souci national, n’entendez pas l’instauration d’une préférence indexée sur des thèses raciales, mais une préférence accordée aux citoyens français, où que puissent remonter leurs origines dans leur arbre généalogique. C’est l’universalisme des Lumières, celui de Mirabeau, celui qui a abouti à l’accession pleine et entière des Juifs de France au rang de citoyens français
Par Laurence Biava
Contact : laurence.biava@cegetel.net
Paru le 16/01/2025
240 pages
Editions Les Escales
21,00 €
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