Katia Lanero Zamora, née en 1985 à Liège dans une famille d’origine espagnole, est une autrice belge spécialisée dans la fantasy et la littérature jeunesse. Diplômée en langues romanes et en communication, elle débute dans l’édition avant d’occuper des fonctions liées à la fiction à la RTBF (2017–2024).
Le 24/04/2025 à 11:42 par Anne-Charlotte Mariette
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Publié le :
24/04/2025 à 11:42
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Elle a publié plusieurs œuvres, dont Les Chroniques des Hémisphères, Les Ombres d’Esver et La Machine, récompensée par le Prix de l’Ouest hurlant. Elle participe à divers projets audio (podcasts, ateliers) et poursuit son engagement artistique à travers des résidences d’écriture. Depuis 2024, elle travaille comme script-editor chez Peyo Company et développe des projets chez Sequel Prod.
Cette nouvelle est la sixième parue aux éditions Argyll dans la collection RéciFs dédiée aux courts récits d’autrices du monde entier. Après Ketty Steward, Katia Lanero Zamora est la deuxième autrice francophone à faire son entrée dans la collection. Sa novella Re : Start, tout comme Foodistan, a pour sujet central la nourriture, mais la thématique est développée sous un angle totalement différent de l’autrice martiniquaise.
Les Lumineuses sont une communauté de femmes qui vivent en marge de la société dans la ville de Re : Start, fondée par la charismatique Geneviève Legrand, La Mentore. Cette société aux allures de secte a un but précis : rendre les femmes belles, minces, jeunes, à coups de privations alimentaires, traitements médicamenteux et chirurgies esthétiques.
Devenir la meilleure version de soi. Se hisser au-dessus de la masse médiocre. Répondre aux injonctions patriarcales de la beauté féminine.
Chaque femme de sa vie porte en elle la culpabilité de ne pas arriver à faire plus et la fatigue des responsabilités sur ses épaules sans se plaindre ; ce sont des battantes de tous horizons et de tous bords qui se démènent pour surnager. La société patriarcale est une gangrène.
Chaque Lumineuse a sa place au sein de la communauté et mieux vaut ne pas y déroger sous peine d’alerter Shannon, une IA omniprésente et omnipotente. Parmi elles, Mona a réussi à se hisser au rang de Semeuse et accompagne désormais les nouvelles arrivées à Re : Start pour les guider au mieux vers l’accomplissement. Cependant, lorsque Calliste, sa meilleure amie, perd totalement le contrôle, tout bascule dans ce merveilleux petit monde.
Re : Start, c’est un récit de science-fiction bien ancré dans le présent et qui aborde des thématiques aussi actuelles qu’intemporelles : le corps des femmes, les normes de beauté impossibles à atteindre, le combat contre la vieillesse. Ces sujets ont traversé les époques, de tout temps, les femmes ont été soumises à des critères physiques mettant en danger leur santé physique et mentale.
On demande aux femmes d’être mères sans le paraître, ça, elle l’a compris vite en voyant les efforts constants de sa mère pour avoir l’air d’avoir à nouveau vingt ans.
Ce récit s’inscrit dans la veine fantastique du body-horror. L’idée ici, c’est de susciter l’effroi, le malaise, en touchant à ce qu’on a de plus intime : notre corps. Le programme de Re : Start est une structure de contrôle qui passe par le corps, les femmes qui intègrent la communauté sont forcées de se transformer, d’avoir un corps « parfait ». La montée en grade (égérie, semeuse) évoque une mutation, en endoctrinement du corps et une perte de son identité.
En jouant sur le malaise corporel, Katia Lanero Zamora instille un body-horror social et intellectuel qui attaque le corps de l’intérieur via le mental, les normes, les injonctions. C’est un texte qui gratte sous la peau, qui amène à se questionner sur ce qu’on est capable de faire subir à son corps pour entrer dans la norme, cette façon dont on finit par croire qu’on doit se faire du mal pour être à la hauteur. Le plus glaçant, c’est que ça ne vient pas de l’extérieur mais bien de l’intérieur, de l’envie d’être valorisée, acceptée, aimée, d’être conforme.
Comme en atteste toute la partie consacrée au journal intime de Calliste dans lequel elle partage ses luttes vaines, ses tentatives désespérées pour être suffisante, pour elle-même, pour les autres, pour ce fichu système. On se trouve complètement dans le body-horror émotionnel : pas besoin de corps qui éclate ou se transforme en chair difforme, il suffit de voir combien une personne peut haïr sa propre enveloppe corporelle pour que cela devienne insoutenable.
Calliste se fait la voix de milliers, de millions de femmes, adolescentes qui vivent ces spirales infernales.
Pour ce corps, pourtant, elle a travaillé dur. Elle croyait qu’elle serait enfin heureuse avec la bonne longueur de cheveux, obtenue à coups de compléments alimentaires, de soins capillaires, d’outils professionnels. C’est Re : Start qui lui a fourni tout ce dont elle avait besoin pour gagner ces joues repulpées. Ces seins regalbés. Ses hanches ont fondu et ses abdominaux se sont dessinés au prix de nombreuses séances de Pilates, tous les midis avec Yasmina, dans la yourte Sculpture. L’épilation au laser qui lui a coûté tant de points, ses courbes harmonieuses, produits de sa faim… Tout cela est encore insuffisant. Quand elle se regarde, elle ne voit qu’un amas de douleurs. Ne sera-t-elle jamais débarrassée de ce démon qui chuchote à ses oreilles, pointe ses pires défauts et la fait se sentir minable ? Il la poursuit dans sa métamorphose ; ce n’est jamais assez.
Ce genre de lecture, ça met une grosse claque. Ce n’est pas une simple critique de la société. C’est une profonde remise en cause d’un système qui broie les femmes.
Leplus écœurant dans tout ça, c’est que le système est souvent déguisé en bienveillance : il te vend ça comme du « self-care », du « mieux-être », de la « reprise en main », alors que c’est juste une autre forme de contrôle. de violence socialement acceptable. Et quand ça échoue, comme pour Calliste, c’est encore la faute de la personne, jamais celle du système.
Re : Start, ce n’est pas juste une lecture. C’est une libération. Dire non à ce système, c’est déjà une victoire contre lui. Parce qu’il compte sur le silence, la fatigue, la soumission passive. Et ce récit lui oppose une prise de conscience, un refus. Ce que Calliste n’a pas pu faire à temps, nous le ferons à sa place en disant « non ». Et ça, ce n’est pas anodin.
Par Anne-Charlotte Mariette
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 14/05/2025
116 pages
Argyll Editions
9,90 €
Paru le 10/12/2024
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1 Commentaire
Patate
02/05/2025 à 22:45
Incroyable qu'en si peu de pages cela puisse être aussi percutant et explorer de tel thème.