À l’occasion de la 30ᵉ édition du Salon international de l’édition et du livre (SIEL), tenue à Rabat du 17 au 27 avril 2025, la Fondation du Roi Abdul-Aziz Al Saoud pour les Études Islamiques et les Sciences Humaines a publié son rapport annuel sur l’état de l’édition marocaine dans les domaines de la littérature et des sciences humaines et sociales, sous la direction de Pr. Mohamed El Ferrane.
Le 22/04/2025 à 17:33 par Hocine Bouhadjera
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22/04/2025 à 17:33
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Il propose un bilan bibliographique complet de la production nationale marocaine pour l’année 2023/2024, offrant aux professionnels du livre, aux chercheurs et au grand public une cartographie précise de l’activité éditoriale.
3725 titres ont été recensés, soit un rythme annuel moyen de 1863 titres et une augmentation de 6,98 % par rapport à l’exercice précédent (2022/2023). Cette production reste largement dominée par l’imprimé, qui représente 91,03 %, soit 3391 titres, tandis que l’édition numérique atteint 8,97 %, avec 334 publications.
Le rapport confirme la place centrale de la création littéraire dans le paysage éditorial national. Ce secteur représente 22,46 % des publications imprimées, soit 721 titres, ce qui en fait le champ disciplinaire le plus prolifique. Les études littéraires occupent également une place significative, avec 7,42 % du total.
Derrière la création littéraire, les études juridiques se positionnent en deuxième position, avec 462 titres (14,39 %), suivies par les études historiques (378 titres, soit 11,77 %), les études islamiques (316 titres, soit 9,85 %) et les études sociologiques (281 titres, soit 8,76 %). En revanche, d’autres disciplines des sciences humaines et sociales restent marginales : la philosophie, la linguistique et les sciences de l’éducation ne dépassent pas chacune 4 % du total, tandis que la psychologie représente à peine 0,53 % des publications.
Sur 3209 livres publiés, on recense : 1583 titres par 129 éditeurs professionnels, 983 titres par 253 éditeurs institutionnels, 643 titres à compte d’auteur (20 % du total). La littérature arrive en tête des publications à compte d’auteur (183 titres), suivie par le droit (175 titres). Les autres disciplines, comme la philosophie ou le management, sont peu représentées.
Parmi les éditeurs professionnels, seuls 26 ont publié plus de 20 titres. La majorité (103 éditeurs, soit 80 %) n’en ont publié que moins de 10. L’arabe est la langue dominante. En français, seuls quelques éditeurs se distinguent : Le Fennec, Marsam, La Croisée des Chemins, Orion. Les publications en anglais et amazighe sont quasiment absentes de ce segment.
Les œuvres traduites publiées à l’étranger par des auteurs marocains concernent principalement la littérature, avec 59 titres, soit 31,55 % du total, suivie par l’histoire (42 titres), les études sociales (14,44 %), la philosophie (7,49 %) et la politique (5,88 %). Parmi les auteurs les plus traduits figurent Fatima Mernissi, David Le Breton, Milan Kundera, Edgar Morin, Khalil Gibran et Abdelfattah Kilito.
Le Maroc est le thème de 60 ouvrages traduits (32,08 %), notamment dans des récits de voyage et des études historiques. Deux ouvrages de l'historien Edmund Burke, traduits par Mohammed Aafif, se distinguent par leur relecture du protectorat marocain. 75,16 % des titres publiés (soit 2412 ouvrages) portent sur le Maroc, confirmant une prédominance du cadre national.
Sur 2696 auteurs recensés, 87,20 % sont marocains. La présence étrangère est limitée : 3 % pour les auteurs européens, dont 2,26 % de Français. Les Tunisiens représentent 0,96 %, les Algériens 0,67 %. Côté genre, les hommes représentent 85 % des auteurs marocains, contre 15 % de femmes, une progression modeste par rapport à l’année précédente (82,22 % d’hommes).
187 ouvrages traduits ont été publiés, soit 5,82 % de l’ensemble des livres édités (contre 6,46 % en 2022/2023). La majorité des traductions sont réalisées vers l’arabe (150 titres, soit 80,21 %), principalement depuis le français (91 titres), l’anglais (30) et l’espagnol (15). Le français a reçu 21 traductions, l’amazighe 9, l’anglais 5, et une seule traduction a été effectuée vers l’espagnol et l’italien.
Parmi les publications féminines recensées en 2023/2024, 31,25 % relèvent de la création littéraire (150 titres), 17,5 % concernent le droit (84 titres), suivies des études sociologiques (55 titres), historiques (41 titres) et littéraires (39 titres). L’arabe est la langue d’écriture principale pour 71,25 % des auteures, tandis que 23,54 % écrivent en français, une part supérieure à la moyenne nationale de production en français (16,86 %). L’amazighe et l’anglais comptent chacun 12 titres, l’espagnol seulement un.
Au titre de l’année 2023/2024, l’édition institutionnelle au Maroc a connu une activité notable avec 253 éditeurs institutionnels ayant publié un total de 983 titres. Cette production émane principalement d’organismes publics, d’universités, de centres de recherche et d’institutions culturelles. Parmi ces éditeurs, le Policy Center for the New South se distingue particulièrement par son dynamisme dans l’édition numérique, avec 63 publications, dont 40 en anglais, ce qui en fait l’acteur le plus actif en matière de production anglophone au Maroc.
Concernant l’édition en langue amazighe, elle est assurée quasi exclusivement par deux institutions : l’association Tirra, qui a publié 16 titres, et l’Institut Royal de la Culture Amazighe, avec 13 titres, confirmant leur rôle essentiel dans la promotion de cette langue dans le champ éditorial.
La coédition constitue par ailleurs une pratique en développement dans le paysage éditorial marocain. Le rapport recense un total de 127 publications coéditées, réparties entre 77 titres issus de collaborations entre éditeurs marocains, 42 coéditions avec des partenaires du monde arabe, et 8 coéditions avec des éditeurs internationaux hors monde arabe. Parmi les partenariats arabes, la collaboration maroco-égyptienne se distingue avec 25 titres coédités, majoritairement produits par Dar al Kalima (Le Caire) en partenariat avec Addar al Maghribia li Nachr w Tawziaa (Rabat). De son côté, la coopération maroco-jordanienne a donné lieu à 12 publications, issues du partenariat entre l’éditeur jordanien Rikaz (Irbid) et deux structures marocaines : le Centre Fatima al-Fahria pour les recherches et les études (Fès) et le Centre Nobough pour les études et les recherches (Tanger).
Les publications issues des établissements universitaires restent relativement modestes, avec 130 titres recensés, soit un volume encore en deçà des attentes compte tenu du potentiel académique du pays. Toutefois, quatre universités se distinguent en publiant chacune plus de 10 ouvrages au cours de l’année : l’Université Ibn Zohr, l’Université Hassan II, l’Université Mohammed V et l’Université Mohammed Premier. Ces établissements confirment leur rôle de pôles majeurs dans la production intellectuelle nationale, bien que l’effort éditorial global du milieu universitaire marocain demeure à renforcer.
Sur la période étudiée, 516 numéros de revues ont été recensés, issus de 181 titres différents, soit une moyenne de 2,8 livraisons par revue. Parmi eux, 384 numéros imprimés et 132 numériques. La langue arabe domine largement (76,16 %), suivie par le français (22,67 %) et l’anglais ou l’espagnol (1,17 %). Sur le plan disciplinaire, les revues juridiques restent prédominantes avec 42,44 %, devant l’économie (15,12 %), l’histoire (11,24 %) et les sciences politiques (6,20 %).
Concernant les éditeurs, 331 numéros proviennent d’initiatives privées, 95 sont publiés par des institutions publiques, 59 par des universités, 31 par des associations. Il est à noter que 64,14 % des revues recensées émanent d’initiatives individuelles de chercheurs, souvent irrégulières et à diffusion limitée. Néanmoins, certaines publications anciennes comme Kitabat (depuis 1990) et Amal (depuis 1992) assurent leur continuité. Au total, 38 titres issus de travaux universitaires ont été publiés : 37 de doctorat et 1 de master, soit 1,18 % de la production totale, tous formats confondus.
Le soutien à l’édition et au livre au Maroc pour l’année 2023/2024 a concerné 302 ouvrages, soit 9,48 % de la production éditoriale totale dans les domaines des lettres et des sciences humaines et sociales. Cependant, un bilan exhaustif de ces aides reste difficile à établir, en raison de l’absence de données précises sur leur nature et leur volume.
Le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication s’affirme comme le principal pourvoyeur d’aide publique, ayant soutenu 214 titres, soit 70,86 % des publications bénéficiant d’un appui. À ses côtés, plusieurs institutions et organismes culturels et scientifiques ont également participé, bien que de manière plus limitée :
La Fondation allemande Hanns Seidel a financé 10 ouvrages, L’Institut français du Maroc, 9 ouvrages, Le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, 8 ouvrages, L’Institut royal de la culture amazighe, 4 ouvrages, et 57 publications ont reçu un soutien émanant d'autres entités diverses.
Concernant le prix moyen du livre au Maroc, il s’élève à 83,39 dirhams (environ 7,60 €) en 2023/2024, soit une baisse légère de 0,31 dirham (environ 0,03 €) par rapport à l’année précédente. Ce tarif demeure relativement abordable, surtout en comparaison avec le prix moyen du livre en Tunisie, qui atteint 120,76 dirhams (environ 11,00 €). À l’échelle internationale, le livre marocain représente environ 30 % du prix moyen d’un livre en France, confirmant une accessibilité tarifaire notable pour le lectorat marocain.
L’analyse linguistique des publications littéraires montre une nette domination de l’arabe, langue dans laquelle sont publiées 79,96 % de l’ensemble des publications, tous formats confondus (imprimé et numérique). Ce chiffre s’inscrit dans le prolongement du processus d’arabisation de l’enseignement supérieur entamé depuis plus d’un demi-siècle.
Le français est utilisé pour 18,72 % des textes littéraires, tandis que l’amazighe représente 6,52 % de cette production, et avec 57 titres, 1,78 % du total des publications papier. Cette production est marquée par une forte concentration géographique et une dominante littéraire. Les autres langues sont présentes de manière très marginale dans les ouvrages imprimés : l’anglais atteint 1,96 %, l’espagnol 0,34 %, et l’italien n’est représenté que par une seule publication.
L’évolution des genres révèle un glissement progressif de la poésie vers la narration. En 2015/2016, la poésie représentait 37 % de la production littéraire, avec 250 recueils recensés. En 2023/2024, ce chiffre chute à 230 recueils, soit 31,9 % des titres, confirmant une tendance à la baisse.
Parallèlement, la narration s’impose comme le genre littéraire privilégié par les écrivains marocains. En 2015/2016, 283 romans étaient publiés ; en 2023/2024, ce chiffre grimpe à 537 textes narratifs, dont 414 romans et 123 nouvelles. Cette évolution suggère une transition majeure dans la production littéraire marocaine : le récit supplante progressivement la poésie comme forme dominante d’expression littéraire. Cette dynamique reflète probablement une adaptation aux mutations sociales et individuelles que connaît le Maroc, les auteurs percevant dans le roman et la nouvelle un médium plus souple pour interroger les réalités contemporaines.
La production numérique marocaine est essentiellement issue d’acteurs institutionnels. Parmi eux, on retrouve des organismes publics tels que les ministères, le Haut-Commissariat au Plan, Bank Al-Maghrib, l’Office des changes, le Conseil de la concurrence, ainsi que plusieurs centres de recherche et conseils nationaux, dont l’Institut royal des études stratégiques, le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, et le Conseil économique, social et environnemental. Des institutions culturelles étrangères actives au Maroc, comme les fondations Konrad-Adenauer et Friedrich Ebert, participent également à cette dynamique.
Un acteur se détache nettement : le Policy Center for the New South, qui est responsable à lui seul de 31,19 % des publications numériques recensées, et de 46,92 % de celles rédigées en langues étrangères.
La répartition linguistique des publications numériques révèle une majorité de titres en français (89), suivie de 72 titres en arabe, et de 41 en anglais. Toutefois, il convient de préciser que la majorité des ouvrages en arabe sont des traductions de publications initialement rédigées en langue étrangère, le plus souvent à l’initiative d’institutions publiques.
Les publications numériques sont principalement rédigées en français, notamment dans des disciplines comme l’économie, le commerce, la finance ou les sciences sociales — des domaines fortement présents dans les institutions publiques.
Si la production numérique au Maroc a progressé au cours de l’année 2023/2024, elle reste fortement concentrée sur certains champs disciplinaires, laissant de côté des pans entiers de la production intellectuelle traditionnelle. La création littéraire, qui représente 22,46 % des publications imprimées, est totalement absente de l’édition numérique. Ce déséquilibre se confirme dans les études littéraires, qui ne constituent que 0,5 % des publications numériques, contre 7,88 % dans l’édition papier.
Les études islamiques, autre domaine structurant de la production marocaine, sont également absentes du paysage numérique, alors qu’elles représentent 10,51 % des publications imprimées. De même, les études juridiques, qui constituent environ 15 % de l’édition papier, ne représentent que 5,45 % des titres numériques. La discipline historique, bien ancrée dans l’édition traditionnelle (12,5 % des publications papier), est quant à elle quasiment absente du numérique, n’y occupant qu’environ 1 %.
Enfin, le nombre de traductions publiées en ligne reste extrêmement limité. Sur toute la période couverte par le rapport, seules trois traductions en arabe ont été recensées. Parmi elles, deux textes philosophiques — l’un traduit du persan, l’autre de l’espagnol — ont été publiés par la Fondation pour la recherche en philosophie et sciences dans les contextes musulmans.
Ce constat met en lumière une édition numérique marocaine encore inégalement répartie selon les disciplines, et surtout peu investie par les champs littéraires, juridiques, historiques et religieux, pourtant fondamentaux dans le paysage éditorial national. L’effort de numérisation reste donc à renforcer dans les secteurs non institutionnels, afin de refléter plus fidèlement la diversité de la production intellectuelle marocaine.
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
Par Hocine Bouhadjera
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