Astérix s’apprête à livrer un nouveau combat, et cette fois c’est sur le champ de bataille du streaming. Netflix a officialisé la diffusion exclusive d’Astérix & Obélix : Le Combat des chefs le 30 avril 2025, une mini-série animée en 3D tirée du célèbre album de 1966. L’événement est de taille : l’entrée du petit Gaulois dans l’ère du streaming.
Le 20/04/2025 à 15:27 par Nicolas Gary
4 Réactions | 867 Partages
Publié le :
20/04/2025 à 15:27
4
Commentaires
867
Partages
La nouvelle, annoncée en grande pompe le 5 février 2025, s’est accompagnée d’une affiche promotionnelle : « Très Gaulerie ! » — du calembour chabatesque qui donne le ton : Netflix mise sur l’humour et la fibre nostalgique pour attirer un vaste public, des fans de la première heure aux nouvelles générations.
Le choix n’est pas anodin : comme ses concurrents, la plateforme au “N” rouge cherche activement comment enrichir son catalogue de productions locales à forte valeur patrimoniale. La franchise Astérix, monument de la culture populaire, était une cible de choix. L'alignement des planètes et le confortable budget : ne manquait qu'un sanglier rôti...
Vingt ans après le cultissime Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (2002) – considéré comme la meilleure transposition de l’univers d’Uderzo et Goscinny – on frétille à l'idée que le réalisateur rempile. D'autant qu'une brouille entre le dessinateur et lui avait stoppé net toute collaboration ultérieure. Regrettable : le dernier film live en date, L’Empire du Milieu (2023) de Guillaume Canet, était digne des chansons d'Assurancetourix.
À LIRE - La Roue du temps : du monument de la fantasy à la série Prime
En s'attachant Chabat, l'Américain joue sur les deux tableaux : la réussite de 2002, l'échec cuisant de 2023... Et fait d'Astérix un héros de série sur cinq épisodes de 30 minutes. Un format inédit qui tient à l’approche créative de Chabat autant que la volonté de Netflix de fidéliser les spectateurs.
Et pour se dernier, l'objectif se résumait aisément : qu’apporter de neuf à cette franchise tout en y restant fidèle ? Car Chabat confiait n’avoir « jamais rompu le dialogue avec Hachette et les ayants droit » depuis Mission Cléopâtre, attendant simplement le bon format et le bon moment pour relancer la machine.
Voici comment le village vire à la vitrine planétaire, avec un marketing soigné en amont. Un teaser facétieux a circulé sur les réseaux dès juin 2024, pastichant le célèbre incipit de la BD : « Nous sommes en MMXXIV et toute la page Netflix est occupée par les Romains… Toute ? Non ! »
En décembre 2024, une première bande-annonce dévoilait les premières images : on joue de viralité et de complicité avec le public français, titillant la curiosité d’un public d'ici et d'ailleurs – qui découvrira peut-être Astérix pour la première fois.
Pour ce projet Alain Chabat renoue avec ses gauloiseries, entouré d’une équipe artistique de premier plan. Il co-réalise avec Fabrice Joubert (spécialiste de l’animation) et s’est adjoint deux co-scénaristes, Benoît Oullion et Pierre-Alain Bloch, pour l’écriture. Mais un Astérix en animation n’était pas une sinécure : l'ancien des Nuls admet volontiers avoir découvert la rigueur du long processus animé, se sentant parfois dépassé.
Le résultat à l’écran s’annonce visuellement propre, fruit d’un travail minutieux pour retranscrire en 3D l’esthétique d’Albert Uderzo. Le réalisateur, fan des BD, voulait « revenir à la base, remettre le dessin d’Uderzo au cœur du projet », selon Le Figaro. Le character design puise ainsi dans le style des années 1960-70 d’Uderzo, « entre Astérix aux Jeux olympiques et Les Lauriers de César ».
Pour garantir cette fidélité, un artiste a d'ailleurs sculpté des modèles physiques des personnages pour transposer en 3D chaque détail emblématique – nez, moustaches, menhirs, etc..
Le studio TAT a mis à profit son expertise (notamment acquise sur Les As de la jungle) pour apporter une patine « BD » aux images de synthèse. D’après Chabat, de nombreuses trouvailles esthétiques émaillent le projet : les onomatopées apparaissent à l’écran en lettres à l'image de phylactères, les arrières-plans et costumes ont des textures presque « tactiles » tandis que la peau des personnages reste volontairement simple et lisse, pour un rendu cartoon.
L’ensemble, ponctué de couleurs franches, rappelle par moments l’audace visuelle de Spider-Man: Into the Spider-Verse, une référence pour Chabat. La scène de potion magique aurait même un côté psychédélique proche du “spider-sense” de Miles Morales.
L'histoire est celle d'un grand danger : Panoramix, assommé par un menhir mal lancé, a perdu la mémoire et son secret de la potion magique. Ls Romains ne rêveraient pas mieux et organisent un duel entre chefs : Abraracourcix est défié par son rival Aplusbégalix, totalement galloromanisé.
D’après la règle, le perdant soumet son village à l'autorité du vainqueur donc de l’occupant romain pour les villageois. Crise majeure : l’invasion romaine semble inéluctable. « Le Combat des chefs m’a toujours plu. Comme ils sont irréductibles et invincibles, c’est compliqué de trouver une histoire dans laquelle nos Gaulois sont faibles. On veut être inquiet pour eux, se demander comment ils vont s’en sortir » assure Chabat auprès de BFMTV.
D'autant que Chabat y ajoute sa patte personnelle et quelques péripéties inédites pour épicer la trame. On murmure qu’un des duels de chefs pourrait prendre la forme d’un match d’arts martiaux mixtes façon Las Vegas.
Et Jules César, que campait Chabat dans Cléopâtre, s'est enrichi d'un improbable binôme : s'il multiplie les méfaits contre les Gaulois, c’est pour impressionner… sa propre mère ! « César en meuf », s’amuse Chabat. Cette figure maternelle impériale au caractère bien trempé, doublée par l’humoriste Jérôme Commandeur, promet des scènes mémorables.
Côté casting, le réalisateur prête sa voix à Astérix – un rôle qu’il n’était censé occuper qu’en test au départ, pour guider les animateurs, pour finalement le conserver tant il s’y amusait. Aux côtés du petit Gaulois, c’est Gilles Lellouche qui incarne Obélix. Judicieux : l’acteur avait endossé le rôle en chair et en os dans le film de 2023, et il reprend ici du service en version animée.
Autour d’eux gravite une pléiade de talents comiques français : Laurent Lafitte campe un Jules César plein de morgue, Thierry Lhermitte prête sa sagesse à Panoramix le druide, Grégoire Ludig tonne dans le rôle d’Abraracourcix, Géraldine Nakache interprète la truculente Bonemine, son épouse.
On compte aussi Anaïs Demoustier (dont le personnage, Metadata, reste à découvrir), Alexandre Astier en poissonnier Ordralfabétix – un joli clin d’œil, Astier ayant lui-même réalisé deux films Astérix en 2014 et 2018 – ou encore Fred Testot, David Marsais, Jeanne Balibar, Jean-Pascal Zadi… La liste est longue et donne le tournis.
Si Netflix investit autant de sesterces, c’est qu’Astérix incarne une institution, une marque chère au cœur des Français. Créés en 1959 par René Goscinny et Albert Uderzo, les personnages ont transcendé le 9e Art pour devenir des symboles de l’esprit frondeur gaulois – reconnu à travers le monde.
Les chiffres donnent le vertige : en 2023, on estimait à 393 millions le nombre d’albums vendus, des traductions en 117 langues et dialectes. Des BD, de l'audiovisuel, un parc d’attractions (ouvert en 1989, avec 65 millions de visiteurs en 2024), Astérix a conquis toute la Gaule. Quinze adaptations cinématographiques (animations ou prises de vue réelles) existaient déjà avant l’incursion de Netflix. Sans compter les innombrables produits dérivés.
Astérix, c’est ainsi une économie florissante, gérée de près par les Éditions Albert René pour garantir le respect de l’œuvre tout en la faisant fructifier. Chaque nouvel album se vend par millions dans le monde, depuis la reprise par Jean-Yves Ferri, puis Fabcaro et Didier Conrad au dessin. Quant à Mission Cléopâtre, il attira plus de 14 millions de spectateurs en salles en 2002, un record absolu pour une comédie française.
En 2023, L’Empire du Milieu avait beau avoir déçu, il a tout de même enregistré 4,6 millions d’entrées en France : la curiosité du public reste vive même quand la production a l'odeur des poissons d'Ordralfabetix.
Voilà qui explique longévité et attachement : grands-parents, parents et enfants partagent le souvenir complice de lectures des albums ou du visionnage du dessin animé. Les personnages sont entrés dans le langage courant comme le fameux Ils sont fous ces Romains !, ou l’évocation comique du ciel qui pourrait nous tomber sur la tête…). Tout le génie de Goscinny est là.
Conclusion, Astérix est devenu marque identitaire : le petit Gaulois moustachu incarne à sa manière une certaine idée de la France, frondeuse et maligne, qui refuse de plier face à un empire dominateur. Pour ses 60 ans en 2019, la BnF lui a consacré une grande rétrospective.
Né en pleine période des Trente Glorieuses et en parallèle de la décolonisation, Astérix a pu être lu comme une métaphore de la résistance face à l’envahisseur – un écho évident à l’histoire française de la Seconde Guerre mondiale. L’album Le Combat des chefs lui-même joue de ce thème de la « Gaule occupée » où l’on croise « envahisseurs, résistants et collabos », comme l’a souligné Chabat, y voyant un sujet « toujours, hélas, d’actualité ».
Netflix dispose de la puissance nécessaire pour franchir les frontières et séduire le public européen. En misant sur un héros emblématique comme Astérix, la plateforme renforce son catalogue local tout en respectant les quotas de production imposés. Le projet valorise un contenu exportable, mêlant action, humour et animation 3D, secteur dans lequel la France excelle.
La franchise Astérix continue de se renouveler. Tandis que la série Netflix sort au printemps, un 41e album est prévu pour l’automne 2025 avec de nouveau Fabcaro au scénario. Marque vivante, Astérix incarne une capacité d’innovation, entre fidélité au patrimoine et modernisation, chaque nouvelle création étant attendue par les fans et les médias.
Cette diffusion sera un événement du printemps. D’une part, parce que l’anticipation est immense, car beaucoup considèrent Chabat comme celui qui a « tout compris » à l’esprit Astérix. Or, Astérix aura à regagner la confiance du public après la bouse de L'Empire du Milieu.
Bien sûr, la réception ne sera réellement connue qu’après le 30 avril, mais on peut déjà en cerner les enjeux symboliques. Pour Netflix, c’est un test grandeur nature de sa capacité à diffuser un contenu très français à l’international. Si la série rencontre un succès mondial, la voie s'ouvrirait à d’autres adaptations de BD franco-belges sur la plateforme (imaginons Tintin, Lucky Luke ou Spirou chez la concurrence…).
En France, la série sera observée de près : le streaming remplace-t-il le cinéma pour les grandes licences ? L’arrivée d’Astérix sur Netflix illustre l’évolution des usages culturels. Si le succès est au rendez-vous, cela pourrait encourager les ayants droit à privilégier le streaming ; en cas d’échec, un retour vers le cinéma pourrait être envisagé.
Alors, fous, ces Romains de Netflix qui ont osé investir dans un petit Gaulois à gros nez ?
DOSSIER - Banquet pour tout le monde : Astérix et Obélix ont 60 ans
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
4 Commentaires
Luna
21/04/2025 à 06:01
Le numéro rouge ne trompe personne, il profite juste de cette batarde occasion pour annoncer l'augmentation de ses tarifs de 33% avant la taxe Trump de 20% sur les services numériques.
Dominique
22/04/2025 à 10:28
Est-ce que les dessins animés sortiront sur support physique ( Blu-ray et DVD ) ?
Arnaud Delplanque
27/04/2025 à 14:19
Oui.
Félix
03/05/2025 à 17:49
L'autre soir, nous avons vu "Le combat des chefs" sur Netflix : très drôle et divertissant, comme tous les albums d'Astérix!
Mais, pour la petite histoire, qui sait que René Goscinny - qui était aussi le dialoguiste de "Lucky Luke" et du "Petit Nicolas" et disparu en 1977 - était d'origine ukrainienne par sa mère et juif askhenaze polonais, de Varsovie, par son père?
C'est intéressant de savoir aussi que les deux compères Goscinny et Uderzo ont crée tous les personnages de leur bande-dessinée célèbre mondialement en "deux heures" seulement - c'est nous qui soulignons ici - et ce en 1959 à Bobigny (infos tirées d'une interview de Goscinny par Bernard Pivot in Lire Magazine no. 8 de Mai 1976 et reproduit dans le numéro Hors-Série Anniversaire, "Les 55 plus grands entretiens" de Mars-Avril-Mai 2025, aux pages 58 à 60).