#BookBanUSA — Depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, les attaques contre les institutions culturelles et la liberté d’expression se multiplient. Tandis que des coupes fédérales plongent la bibliothèque d'État de l'État de Californie dans une crise budgétaire sans précédent, une plainte vient d’être déposée dans le Tennessee contre l’interdiction de plus de 145 livres dans les écoles du comté de Rutherford. Entre censure idéologique et démantèlement des services publics, un même climat de régression s’installe...
Le 18/04/2025 à 13:15 par Hocine Bouhadjera
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18/04/2025 à 13:15
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L’administration Trump a suspendu pour 90 jours l’ensemble du personnel de l’Institute of Museum and Library Services (IMLS), l'agence fédérale qui accorde des subventions aux musées et aux bibliothèques à travers tout le pays. Cette mesure s’inscrit dans un décret signé le 14 mars dernier, visant à supprimer l’agence dans le cadre d’une réduction de la « bureaucratie fédérale ».
Le gouvernement fédéral a retenu les 21 % restants d’une subvention de 15,7 millions de dollars que la California State Library devait recevoir pour cet exercice fiscal, a indiqué Jeff Barbosa, porte-parole de la bibliothèque d'État, partage Le Sacramento Bee. Les fonds fédéraux représentent 28 % du budget de fonctionnement global de l'institution, même si la majorité de cette enveloppe est redistribuée sous forme de subventions à des bibliothèques publiques et à d’autres organismes.
Actuellement, la California State Library ne sait pas si elle recevra des fonds de l’IMLS pour l’année fiscale à venir, qui commence le 1er juillet. Pour éviter toute catastrophe, elle a instauré un gel des embauches et des dépenses, et a mis fin aux contrats de personnel temporaire, y compris un retraité rappelé en activité et 21 étudiants travailleurs. Néanmoins, elle ne prévoit pas de plan de licenciement pour l’instant. Actuellement, 34 postes permanents de la bibliothèque sont financés par des fonds fédéraux.
Par ailleurs, en cas d’absence de nouveaux financements dans les mois à venir, plusieurs initiatives risquent d’être suspendues. Parmi les programmes menacés figurent la Braille and Talking Book Library, qui fournit des livres audio et en braille aux personnes aveugles, malvoyantes ou dyslexiques dans près de cinquante comtés ; les Early Learning Play Spaces and Storytimes des bibliothèques publiques locales, qui soutiennent le développement moteur, émotionnel et linguistique des jeunes enfants issus de familles à faibles revenus ; ainsi que le projet California Revealed, destiné à préserver et à rendre accessible en ligne le patrimoine culturel de l’État par la numérisation de trésors historiques.
Face à ces menaces, Anica Walls, présidente du syndicat SEIU Local 1000, représentant les employés de la bibliothèque d’État, alerte : « Les coupes budgétaires fédérales ne touchent pas seulement Washington — elles affectent les familles de travailleurs et les services publics ici même en Californie. » Dans ce contexte, elle exhorte les parlementaires à intervenir pour rétablir les financements.
Parallèlement, une action en justice a été engagée plus tôt ce mois-ci par le procureur général de Californie Rob Bonta, rejoint par plusieurs de ses homologues d’autres États. Ensemble, ils contestent la légalité de la tentative de suppression de l’IMLS et d'autres agences créées par le Congrès, accusant le président Donald Trump d’agir au mépris des fondements institutionnels.
Plus généralement, la politique de l'administration Trump menace directement plus de 125.000 bibliothèques et 35.000 musées, en particulier en zones rurales et défavorisées. L’impact serait considérable : fermeture d’établissements, arrêt des services numériques, réduction de l’offre éducative et culturelle, notamment pour les populations vulnérables. Les formations de bibliothécaires et la préservation du patrimoine seraient aussi compromises.
L’American Library Association (ALA) a vivement réagi, rappelant que l’IMLS représente seulement 0,003 % du budget fédéral. Elle appelle les citoyens à défendre les bibliothèques auprès des élus. En parallèle, le ministère de l’Éducation (Department of Education) a supprimé le poste de coordinateur des censures de livres et soutenu un retour au contrôle local des contenus scolaires. Enfin, 160 écoles du Pentagone ont temporairement retiré des livres dans le cadre d’une révision ciblant les programmes (Diversité, Équité et Inclusion , touchant 67.000 élèves. Ils visent à promouvoir un environnement où toutes les personnes, quelles que soient leurs origines ou identités, sont respectées, traitées équitablement et pleinement intégrées.
Partons cette fois du côté du Tennessee, où le 16 avril 2025, l’Union américaine pour les libertés civiles du Tennessee (ACLU-TN), accompagnée de l’avocat Kerry Knox, a saisi la justice pour contester une vague d’interdictions de livres dans les écoles du comté de Rutherford. La plainte, déposée auprès d’un tribunal, émane de trois familles locales – dont les enfants sont inscrits en classe de seconde et de terminale pour l’année scolaire à venir – et de l’organisation PEN America, qui défend la liberté d’expression et les droits des écrivains.
Pour Stella Yarbrough, directrice juridique de l’ACLU-TN, la plainte était devenue inévitable :
« Le premier amendement est un pilier fondamental de la démocratie de notre pays. Une minorité bruyante tente de parler au nom des parents du comté de Rutherford en interdisant des livres – notamment ceux qui traitent des droits LGBTQ+, de la race et du racisme – dans le cadre d’une attaque coordonnée contre l’éducation inclusive », explique-t-elle. Et d'ajouter : « Alors que ces interdictions infondées continuaient de se multiplier, nous n’avons eu d’autre choix que de saisir la justice pour défendre la liberté d’expression des auteurs et le droit des élèves à apprendre. »
L’action en justice vise à obtenir du tribunal qu’il ordonne la réintégration des livres censurés et interdise toute future exclusion d’ouvrages reposant sur des considérations idéologiques.
Elle vise directement le conseil de l’éducation du comté, accusé d’avoir restreint ou interdit plus de 145 ouvrages dans les bibliothèques scolaires, sans réunion publique ni vote formel. La plupart de ces décisions ont été fondées sur des fiches de notation publiées sur un site lié à l’organisation conservatrice, à présent tristement bien connue, Moms for Liberty, ciblant notamment les livres abordant les questions LGBTQ+, le racisme, la religion, ou contenant des éléments de nudité ou de langage jugé vulgaire.
Selon PEN America, 32 de ses auteurs membres sont concernés, parmi lesquels Margaret Atwood, Khaled Hosseini, Angie Thomas, John Green, Rupi Kaur, ou encore Judy Blume.
L'autrice Elana K. Arnold, également visée par la censure, dénonce dans un communiqué de PEN America : « Mon travail, tout comme celui de mes collègues sur cette liste, possède une valeur littéraire significative. Personne de sérieux ne peut prétendre le contraire. Essayer de qualifier ces livres d’obscènes ou de pornographiques en isolant quelques lignes de leur contexte pour prétendre qu’elles reflètent l’ensemble de l’ouvrage est soit de l’ignorance, soit de la malhonnêteté intellectuelle, soit les deux. » Et d'être formelle : « Les lecteurs méritent un accès libre aux livres. Je suis solidaire des bibliothécaires, enseignants, parents et éducateurs qui reconnaissent que notre devoir est de défendre la liberté d’information, l’art littéraire et l’accès des jeunes à l’ensemble des collections disponibles dans les bibliothèques. »
En novembre 2024, le conseil scolaire a mis en place un comité de bibliothécaires chargé d’évaluer les ouvrages. Mais dans plus de 70 % des cas, les recommandations de ce comité ont été ignorées, entraînant le retrait systématique de nombreux titres, y compris des classiques de la littérature enseignés dans les cours dits AP English Literature - suivis par des lycéens, généralement en dernière année, mais d’un niveau équivalent à celui de l’université -, et présents dans les bibliothèques depuis des années.
Rachel Roe, élève plaignante entrant en seconde, témoigne : « J’ai remarqué que beaucoup de livres retirés racontent des histoires de personnages LGBTQ ou parlent de racisme ou des expériences d’auteurs non blancs en Amérique. Je trouve que c’est mal de les retirer, car je pense que les livres d’une bibliothèque doivent représenter tout le monde. Chacun doit se sentir inclus et pouvoir lire des histoires dans lesquelles il se reconnaît. Une bibliothèque sans ces livres serait juste ennuyeuse. »
De son côté, l’avocat Kerry Knox insiste sur les inégalités engendrées par cette politique : « Les interdictions de livres constituent une violation manifeste du premier amendement, bâillonnant les auteurs et privant les élèves de la possibilité de lire, de débattre et d’apprendre à partir d’œuvres essentielles, reconnues et historiques. Refuser aux élèves du Tennessee l’accès aux mêmes ressources que leurs camarades revient à les désavantager considérablement dans leur développement en futurs leaders de leur communauté. »
À LIRE - États-Unis : une nouvelle étape dans l'attaque trumpiste des bibliothèques
Aux États-Unis, les tentatives de censure de livres dans les bibliothèques atteignent un niveau inédit en 2024, selon l’American Library Association (ALA). Elle souligne que 72 % des censures proviennent d’acteurs institutionnels, contre seulement 16 % de parents. Dans son top 10 des ouvrages les plus censurés figurent Gender Queer de Maia Kobabe, L’Œil le plus bleu de Toni Morrison, ou encore Pas raccord de Stephen Chbosky. Pour l’ALA, cette offensive est avant tout politique et non un élan spontané des citoyens.
L’administration Trump a signé des décrets interdisant certains ouvrages dans les établissements dépendant du Département de la Défense, au nom de la lutte contre « l’endoctrinement radical ». Freckleface Strawberry de Julianne Moore, pourtant centré sur l’acceptation de soi, figure par exemple...
Crédits photo : LearningLark - (CC BY 2.0)
DOSSIER - Aux États-Unis, une inquiétante vague de censure de livres
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
2 Commentaires
un antifa
18/04/2025 à 15:07
« Contre la décadence et la corruption morale, pour l'éducation et la tradition au sein de la famille et de l'État ! »
« Contre la valorisation excessive de la vie pulsionnelle qui dégrade l'âme, pour la noblesse de l'âme humaine !»
Familier, non ?
Ca vient du texte des autodafés nazis.
Regardez les valeurs défendues et celles attaquées, comparez-les aux interdictions Trumpistes et faites vos conclusions.
La similarité est troublante, non ?
Un peu plus tôt, ils avaient mis dans leurs propositions "pour l'esprit allemand", les lignes suivantes : "Nous exigeons que les étudiants et les professeurs soient sélectionnés en fonction des garanties qu'ils présentent de ne pas mettre en danger l'esprit allemand."
"Nous exigeons que les facultés soient le sanctuaire de l'identité allemande et le lieu d'où partira l'offensive de l'esprit allemand dans toute sa puissance."
Si vous voulez l'historie complète :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Autodaf%C3%A9s_de_1933_en_Allemagne
On pourra pas dire qu'on était pas prévenus ...
Agnel Papier-Arracher
19/04/2025 à 03:20
"les Early Learning Play Spaces and Storytimes des bibliothèques publiques locales, qui soutiennent le développement moteur, émotionnel et linguistique des jeunes enfants issus de familles à faibles revenus"
M'enfin, les moins riches ne lisent pas de livres !