C’est un ouvrage pour le moins singulier qui vient d’être exposé au Moyse’s Hall Museum, à Bury St Edmunds, dans le Suffolk en Angleterre : un livre relié en peau humaine. Ce cuir inhabituel appartient à William Corder, auteur du célèbre meurtre de la grange rouge (Red Barn Murder) en 1827. Longtemps oublié, l'objet a été redécouvert par les équipes du musée dans un bureau, parmi d’autres volumes à la reliure plus… traditionnelle.
Le 16/04/2025 à 12:32 par Ugo Loumé
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16/04/2025 à 12:32
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On entend souvent qu’il ne faut pas juger un livre par sa couverture, mais cette expression discutable ne résiste pas à l’épreuve de l’histoire de William Corder. Comme le rapporte la BBC, l’homme est un des criminels britanniques les plus célèbres du début du 19e siècle. Il avait été reconnu coupable du meurtre de son amante Maria Marten, qu’il avait tuée par balle et enterrée dans une grange après l’y avoir attirée en lui promettant de s’enfuir avec elle pour se marier.
À l’époque, le crime fait grand bruit. On en parle dans tout le royaume. L’affaire avait passionné la Grande-Bretagne, et inspiré de nombreuses adaptations littéraires, théâtrales et musicales. Il fut pendu en place publique en août 1828 devant plusieurs milliers de spectateurs. Son corps fut ensuite disséqué, et une partie de sa peau utilisée pour relier un ouvrage retraçant son procès.
Un exemplaire du livre — qu'on pensait être le seul — est déjà exposé au Moyse’s Hall Museum depuis 1933. Mais récemment, des conservateurs du musée ont trouvé sur leurs étagères un deuxième ouvrage réalisé avec la peau de William Corder. Pour cet exemplaire, la présence de cuir humain est fragmentaire, limitée à la couverture et aux coins. Les deux ouvrages sont désormais présentés ensemble.
Dans les faits, cette pratique de relier des livres avec la peau de condamnés, si dérangeante soit-elle aujourd’hui, ne choquait pas forcément à l’époque. Elle traduisait une volonté de marquer les esprits, de conserver une trace physique d’un crime, de son châtiment.
On a retrouvé des ouvrages médicaux reliés avec la peau de patients ou de défunts, parfois à la demande des médecins eux-mêmes. L’idée de posséder un objet unique, littéralement incarné, dépassait le simple goût pour le morbide. Elle relevait d’une autre relation au corps, à la mémoire, à la justice.
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Dan Clarke, responsable du patrimoine au musée, insiste sur l’importance historique de ces objets. « Nous voyons des restes humains dans tous les musées du pays », rappelle-t-il. Il ajoute n’avoir jamais reçu de plainte au sujet du premier livre exposé. Pour Daniel Clarke, responsable du patrimoine au musée, il n’y a là rien de choquant. Selon lui, ces objets font partie d’un patrimoine historique fascinant, révélateur des pratiques du XIXe siècle.
Il insiste sur leur intérêt documentaire. En onze ans de service, il dit n’avoir reçu aucune plainte au sujet de ces livres. Ce qui, curieusement, n’est pas le cas pour certaines pièces de la collection, notamment des chats momifiés présentés dans une section consacrée à la sorcellerie. Mais l’exposition d’une telle pièce ne semble aujourd’hui plus faire l’unanimité. Terry Deary, auteur d'histoires d'horreur historiques pour enfants, qualifie ces objets d’« artefacts écœurants » et se dit choqué par leur conservation : « Ce sont deux livres que j’aimerais brûler. »
Aujourd’hui, les musées doivent faire face à une question délicate : que faire de ces objets ? Les cacher ? Les retirer des collections ? Les contextualiser ? Face aux débats éthiques que soulève ce type de pièce, certains établissements ont fait un autre choix. En mars 2024, la bibliothèque de l’université Harvard a décidé de retirer la reliure en peau humaine d’un ouvrage du XIXe siècle, invoquant la nature « moralement problématique » de son origine.
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À Bury St Edmunds, le musée assume son parti pris. Pour Abbie Smith, assistante récemment arrivée, tenir ces ouvrages entre ses mains a été une expérience saisissante : « Ils ressemblent à n’importe quel autre livre. Si l’on ne vous dit pas de quoi il s’agit, vous ne pouvez pas le deviner. »
Un premier ouvrage ainsi conçu était déjà exposé au musée depuis plus de 90 ans. Le deuxième, récemment exhumé du bureau, avait été offert il y a longtemps par la famille du chirurgien ayant autopsié le criminel. Contrairement au premier, entièrement recouvert, celui-ci ne porte des fragments humains qu’à certains endroits : les coins et la reliure. Les deux livres sont aujourd’hui réunis, exposés ensemble dans une vitrine sécurisée.
Dans une vitrine discrète, ces deux livres reliés en peau humaine racontent bien plus qu’un fait divers. Ils parlent du corps comme outil de savoir, du crime comme mémoire publique, de la justice comme spectacle. Ils posent des questions qu’aucun autre objet ne permettrait d’aborder avec autant de force. Même si on n’ose pas toujours les toucher.
Crédits image : Moyse’s Hall Museum
Par Ugo Loumé
Contact : ul@actualitte.com
1 Commentaire
G. Hutenberg
16/04/2025 à 15:27
Dans la lutte contre la barbarie, il y a un marché ; j'ai déjà le slogan :
- tu as joué les incultes toute ta vie, ta mort au moins servira à éduquer les autres !
Quant aux plus cultivés, eh bien, on enchassera leurs reliques dans des autels, dans des maisons dédiées au Dieu Culture.