La série Le Guépard, tirée du roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, est disponible sur Netflix depuis le 5 mars 2025. En six épisodes, elle retrace le déclin de l’aristocratie sicilienne au XIXe siècle, à travers le regard du prince de Salina, qu'incarne Kim Rossi Stuart. S'y mêlent fidélité au texte original et relecture contemporaine, notamment par une mise en lumière accrue des personnages féminins.
Le 15/04/2025 à 10:26 par Nicolas Gary
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15/04/2025 à 10:26
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Le Guépard (Il Gattopardo) est l'unique roman de l'écrivain sicilien Giuseppe Tomasi di Lampedusa, publié à titre posthume en 1958 et couronné par le prestigieux prix Strega en 1959 – équivalent du Goncourt dans le Bel Paese. Fresque épique retraçant la vie d'un prince sicilien pris dans la tourmente de l'unification italienne, ce livre dépeint la transition d'une Sicile féodale vers un ordre social nouveau.
Une citation avait suffi à résumer l’immobilisme aristocratique et l’Italie avec lui : « Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi ! » Si l’on souhaite que tout demeure en l’état, il faut que tout change — ou plus communément : Il faut que tout change pour que rien ne change. Considéré comme un chef-d'œuvre de la littérature italienne du XXe siècle, le roman a connu un immense succès à sa sortie et a été adapté au cinéma par Luchino Visconti en 1963.
L’intrigue du Guépard se déroule en 1860 en Sicile, pendant le Risorgimento qui voit la chute du royaume des Deux-Siciles et la naissance du royaume d’Italie. Le protagoniste, Don Fabrizio Corbera, prince de Salina, assiste impassible aux bouleversements : l’arrivée des troupes de Giuseppe Garibaldi – les « Chemises rouges » – et la fin du monde aristocratique qui était le sien.
Son neveu, Tancredi Falconeri, s’engage aux côtés des révolutionnaires, estimant que « pour que tout reste comme avant, il faut que tout change », formule paradoxale qui résume l’opportunisme de sa classe sociale. Après la conquête de l’île, la famille Salina se retire dans son palais de Donnafugata. Tancredi, tombé sous le charme de la belle Angelica Sedàra (fille d’un maire enrichi), obtient la bénédiction du prince pour l’épouser, scellant ainsi l’alliance de la noblesse déclinante avec la bourgeoisie montante.
Don Fabrizio refuse par ailleurs le siège de sénateur offert par le nouveau gouvernement italien, convaincu que la société sicilienne ne changera pas en profondeur. Un fastueux bal à Palerme célèbre les fiançailles de Tancredi et Angelica, tandis que le prince médite avec mélancolie sur le crépuscule de son monde. Enfin, la mort de Don Fabrizio marque la fin d’une époque, son nom et sa lignée sombrant dans l’oubli.
En 1860, le royaume des Deux-Siciles vit ses derniers instants : le jeune roi François II fait face à l’expédition des Mille de Garibaldi, débarqué en Sicile pour renverser les Bourbons. La Sicile bascule ensuite sous l’autorité du roi Victor-Emmanuel II de Savoie, concrétisant son rattachement au nouveau royaume d’Italie. L'ouvrage dépeint les tensions entre l’ancienne noblesse sicilienne et la bourgeoisie montante dans ce contexte révolutionnaire, où de nombreuses hiérarchies locales perdurent malgré l’unité politique.
Or, Lampedusa rédige Le Guépard au milieu des années 1950, dans l’Italie de l’après-guerre. Lui-même aristocrate déchu, il porte un regard mélancolique sur la disparition de la noblesse traditionnelle. À l’approche du centenaire de l’unité italienne, il dénonce alors l’opportunisme qu’il pointe comme dominant dans la société sicilienne de 1860 – bien loin de l’héroïsme exalté par l’histoire officielle.
L'ambition critique explique ainsi le la malinconia qui sous-tend le récit, mêlée d'une glaçante lucidité. Lampedusa achève son manuscrit en 1957, peu avant de s’éteindre en juillet de la même année, sans avoir goûté à la déferlante que provoquera son félin.
Eh bien, certainement parce qu'il fut longtemps prisé comme un animal de compagnie, utilisé comme auxiliaire de chasse dès l’Égypte antique, et ce jusqu’au XIXe siècle, notamment en Perse et en Arabie.
Symbole central du livre. Il incarne à la fois l’élégance, la noblesse, la puissance discrète, mais aussi une forme de résignation face à un monde en mutation. Cependant, sur le blason de sa propre famille, les Tomasi di Lampedusa, figurait un guépard stylisé — bien qu’il s’agisse en réalité d’un chat sauvage ou léopard héraldique, souvent confondu avec le guépard. Selon d’autres interprétations, il aurait été sensible à la musicalité du mot gattopardo, rare et évocateur, porteur à la fois de majesté et de mélancolie.
Giuseppe Tomasi di Lampedusa naît à Palerme en 1896 au sein de la haute noblesse sicilienne. Officier d’artillerie pendant la Première Guerre mondiale, il est fait prisonnier en 1917 lors de la défaite de Caporetto. Dans l’entre-deux-guerres, ce prince réservé mène une vie discrète consacrée à la lecture.
En 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale, son palais familial à Palerme est détruit par des bombardements – un choc qui marquera son imaginaire et nourrira la nostalgie du Guépard. Après la guerre, Lampedusa se lance tardivement dans l’écriture de son roman. Il meurt en 1957 à Rome, laissant derrière lui un unique roman qui lui vaudra une gloire posthume mondiale.
Dès sa parution en 1958, Le Guépard remporte l'immense adhésion des lecteurs. Publié par Giorgio Bassani chez Feltrinelli, il devient le premier best-seller de l’après-guerre en Italie et obtient le prix Strega en 1959. Sa publication suscite toutefois des polémiques : certains critiques de gauche jugent le style désuet et l’esprit réactionnaire du livre.
Louis Aragon, grande voix communiste française, prend sa défense en saluant « l’un des plus grands romans du siècle » et en niant tout caractère réactionnaire de l’œuvre. Après cet appui, les attaques cessent et Le Guépard s’impose comme un classique moderne. Traduit dans de nombreuses langues, il acquiert une renommée internationale désormais incontestable : Il Gattopardo est aujourd'hui un classique, au-delà des frontières italiennes.
En France, Le Guépard paraît en 1959 aux éditions du Seuil, dans une traduction de Fanette Pézard. Cette version française a régné sans partage jusqu’en 2007, année où une nouvelle traduction de Jean-Paul Manganaro (postface de Gioacchino Lanza Tomasi) a été publiée chez le même éditeur.
En 1963, le réalisateur italien Luchino Visconti porte Le Guépard à l’écran, signant un film de prestige aujourd’hui mythique.
Tourné en Sicile avec un casting international (Burt Lancaster en prince Salina, Alain Delon en Tancredi, Claudia Cardinale en Angelica), le film remporte un vif succès public et critique. Il obtient notamment la Palme d’or au festival de Cannes 1963, consacrant l’adaptation de Visconti comme un chef-d’œuvre du cinéma.
En 2025, le Guépard revient sur Netflix, avec le jeune Saul Nanni (Tancredi) et Deva Cassel (Angelica) en têtes d’affiche aux côtés de Kim Rossi Stuart (prince Salina). Tournée en Sicile, cette nouvelle version ambitionne de faire découvrir l’histoire à un autre public. Depuis le 5 mars, cette mini-série, sans suite prévue, a suscité un accueil critique globalement favorable. Réalisée par Tom Shankland, Giuseppe Capotondi et Laura Luchetti, le projet témoigne une fois encore de la vitalité de l’héritage du roman.
Sous ses dehors de roman historique, Le Guépard offre une réflexion profonde sur le temps qui passe et les mutations sociales. Son thème central est la fin d’une classe et d’un mode de vie : le prince Salina voit son univers aristocratique se dissoudre et assiste lucidement à l’avènement d’un ordre nouveau. L’illustre maxime de Tancredi – « Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi ! » – illustre l’opportunisme de l’ancienne élite, prête à tout bouleverser en surface pour conserver l’essentiel de son pouvoir.
Parallèlement, la conscience aiguë d’un déclin inéluctable imprègne le récit et lui confère une tonalité mélancolique et philosophique. Sur le plan du style, Lampedusa se distingue par une écriture élégante, imagée et empreinte de nostalgie ironique.
Des descriptions minutieuses des paysages siciliens et des rituels aristocratiques restituent la splendeur déchue d’un monde appelé à disparaître. La narration, lucide et sans complaisance, n’idéalise jamais l’Ancien Régime. Le Guépard propose une peinture nuancée des mutations sociales, servie par une prose riche et précise qui élève ce roman bien au-delà du simple récit historique.
Le retentissement du Guépard dépasse le cadre littéraire en Italie : il a introduit dans le langage courant le terme gattopardismo ("guépardisme"), attitude qui consiste à changer en apparence pour préserver l’ordre établi. La fameuse citation de Tancredi sert encore de référent pour décrire toute révolution en trompe-l’œil. Et l’œuvre de Lampedusa influence encore la culture populaire aussi bien que le discours politique.
Après tout, c'est pas Dante, ce Giuseppe... Certes non, mais tout de même, Il Gattopardo en VO ne se lit pas comme on sirote un verre de limoncello. D'abord, on l'a souligné, il est profondément enraciné dans la culture sicilienne et la philosophie du déclin d’une classe sociale. Sans un certain bagage culturel ou historique, le sous-texte échappera au lecteur - un peu comme lire les Chouans de Balzac...
Conséquence, les références à l’aristocratie sicilienne, aux réalités politiques du Risorgimento, ainsi qu’à des termes régionaux ou désuets... Voilà qui nécessite une réelle maîtrise du vocabulaire historique et politique.
Car, Lampedusa emploie une langue riche, élégante, et parfois archaïsante, reflétant à la fois le style de l’auteur et l’époque décrite (la Sicile du XIXe siècle). Ce n’est pas l’italien courant appris dans les méthodes de base : les phrases peuvent être longues, avec de nombreuses subordonnées, et une structure qui demande une bonne connaissance grammaticale.
Pas de chance : aucune édition bilingue français-italien n’existe… Tant pis : nous vous proposons une sélection de diverses éditions ainsi qu'une version italienne en fin d'article, pour tous les budgets. Et que rien ne change, surtout !
Crédits photo : Alain Delon, dans le film de Visconti
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 07/03/2025
357 pages
Points
8,95 €
Paru le 12/08/2020
357 pages
Audiolib
25,50 €
Paru le 03/05/2007
390 pages
Seuil
23,50 €
Paru le 24/04/1996
251 pages
Seuil
6,00 €
1 Commentaire
Félix
16/04/2025 à 17:30
En effet, excellente présentation, très approfondie, de l'unique ouvrage de Giuseppe Tomasi di Lampedusa (1896-1957).
L'incipit du roman est particulièrement efficace, car tout est dit en deux phrases simples qui le situe dans le temps et l'espace :
"Mai 1860.
"Nunc et in mortis nostrae. Amen!"
(Maintenant et à l'heure de notre mort. Amen!).
L'ultime prière du "Je vous salue, Marie")
Mais, je pense que Le Petit Larousse l'a très bien résumé ainsi :
"fresque romanesque d'une noblesse en crise."